Il est normal, dans un premier temps après les annonces, de faire des commentaires mesure par mesure. Ce sera aussi le cas quand on connaîtra les projets de textes législatifs.
Entre les deux, une lecture transversale peut être utile, en englobant d’autres mesures déjà annoncées ou décidées.
Ce qui saute aux yeux en matière d’emploi c’est que trois mesures phares (heures supplémentaires, régime fiscal des pensionnés qui travaillent, développement des flexijobs avant la pension) concernent ceux qui ont déjà un travail et n’auront pas d’impact sur le taux d’emploi. Il s’agit d’une vision, fréquente, de favoriser – de facto ou intentionnellement – les in au détriment des out.
Certes, l’économiste sait bien que le gâteau de l’emploi peut gonfler et que la répartition des heures de travail – entre catégories d’âges, entre temps pleins et temps partiel, entre catégories d’emplois (emplois « normaux », intérims, flexijobs, heures supplémentaires…) – n’est pas figée. Mais toutes choses égales par ailleurs, la probabilité pour un exclu du chômage de trouver un emploi diminue, d’autant que la demande en travail intérimaire se contracte en faveur de formes d’emplois (flexijobs, jobs étudiants) ou d’heures de travail (heures supplémentaires) qui, par définition, ne lui sont pas accessibles.
De même, augmenter la population active (au travers de l’allongement effectif des carrières qui sera obtenu par diverses mesures) peut avoir, à terme, un impact positif net sur l’emploi. Mais comme l’ont montré les travaux du Bureau fédéral du Plan et du Comité d’étude sur le vieillissement, à court terme cela se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une augmentation du taux de chômage [1]. D’où moins de chance encore de trouver un job.
Organiser de fait une concurrence stupide entre formes d’emplois montre que les principes libéraux – dont celle essentielle de garantir les mêmes règles du jeu (a level playing field) – ne valent pas grand-chose quand il s’agit d’écouter les lobbys ou ses supposés clients. La Xième mesure de faveur pour l’HORECA (en l’occurrence ici plus d’heures supplémentaires défiscalisées) est une illustration parfaite de ce libéralisme qui n’en a que l’étiquette.
Ce n’est pas en matière fiscale qu’on appliquera l’idée fondamentale de l’équité, idée qui devrait être défendue par tous, a fortiori par des libéraux.
Pourquoi, dans certaines situations et à revenu égal, un pensionné qui travaille devrait-il être moins taxé que celui qui n’a pas d’autres revenus qu’un salaire ? Pourquoi une heure supplémentaire dans n’importe quel emploi devrait-elle être défiscalisée et pas l’heure de nuit d’une infirmière aux urgences ? Pourquoi supprimer le crédit d’impôt dont bénéficient les chômeurs et pas celui dont bénéficient les pensionnés ?
D’une manière générale ce gouvernement démultiplie les régimes fiscaux plutôt que de les harmoniser et les simplifier, ouvrant ainsi la porte à de l’ingénierie fiscale, individuellement intéressante mais collectivement stérile, voire contre-productive. Ce n’est pas la limitation – partielle – des formes de rémunération moins taxées ou l’augmentation de la rémunération minimale des dirigeants de 45 000 à 50 000 € (pour freiner, non décourager la constitution en sociétés) qui vont vraiment changer la donne. Le principe démocratique qu’un euro de revenu est un euro et doit être taxé de la même manière vaudra de moins en moins. Entre ceux qui s’organiseront pour prester 1/5 temps en flexijob – pour in fine à revenu égal payer moins d’impôts –, ceux qui continueront de loger tout ou partie de leurs activités en société pour payer moins de cotisations sociales et ceux qui abuseront des droits d’auteur dans le secteur informatique, il n’y a aucune différence de nature : l’équité et les finances publiques en sortent grandes perdantes.
Il faut être culotté pour affirmer, comme ose le faire le ministre des finances, que « Travailler, c’est contribuer. » alors qu’on défiscalise à tout vent ou qu’on favorise le développement de régimes qui rapportent moins.
La promesse d’un écart de 500 € sera-t-elle honorée ? Rappelons d’abord, il faut continuer à taper sur le clou tant le mensonge est gros et a la vie dure, que ces 500 € sont déjà là dans beaucoup de situations. Mais quelqu’un peut-il m’expliquer comment en proposant demain des emplois de 8 ou 10 heures semaine (puisque on pourra désormais proposer des emplois de moins d’un tiers-temps) on va garantir ces 500 € ? De même, les nouvelles règles en matière de cohabitation pour les bénéficiaires du revenu d’intégration diminueront l’incitation à travailler puisque le revenu net du ménage risque de stagner en cas de (re)mise à l’emploi d’un de ces membres ? Où sont les 500 € dans cette configuration ? L’augmentation de la quotité exemptée d’impôts ne compensera pas la perte des primes de nuit avant minuit et ne contribuera pas dans ce cas à atteindre les 500 €. Du fait de l’augmentation du bonus emploi, certains salariés perdront le bénéfice d’avantages sociaux (c’est le revenu imposable qui sert de référence dans beaucoup de dispositifs, or il augmente quand le bonus emploi est amélioré), rendant de ce fait le travail financièrement moins intéressant.
¹ Pour une discussion sur ces questions, voir notamment : Philippe Defeyt, « Retarder (encore) l’âge de départ (effectif) à la retraite ? », Institut pour un Développement Durable, août 2014.