Le transfert d’entreprise et le transfert du personnel: quand et comment s’applique la CCT32bis ?

Lorsqu’une entreprise est transférée à un nouvel employeur, qu’advient-il des travailleurs ?

Hormis en cas de faillite[1], les aspects sociaux d’un transfert d’entreprise sont régis par la Convention Collective de Travail (CCT) n°32bis, qui transpose la directive européenne 2001/23. Son objectif est d’assurer la protection des travailleurs en garantissant la continuité de leurs droits, même en cas de changement d’employeur.

Lorsqu’un transfert d’entreprise implique des éléments d’extranéité et est lié à la fois à la Belgique et à un autre pays, il convient de vérifier le champ d’application territorial de la CCT n°32bis.

Avant même d’envisager les effets d’un transfert sur les relations de travail, il est essentiel de vérifier si la CCT n°32bis trouve à s’appliquer (champ d'application matériel).

La CCT n°32bis s’applique à tout changement d’employeur résultant d’un transfert conventionnel d’entreprise ou d’une partie d’entreprise. Pour être concerné par cette réglementation, un transfert doit répondre à trois critères essentiels :

  • Un changement d’identité de l’employeur
  • Un transfert résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion
  • Un transfert portant sur une entreprise ou une partie d’entreprise

Changement d’employeur

La CCT n°32bis couvre toute modification juridique de la personne de l’employeur.

Ce qui constitue un transfert :

  • Vente, donation, échange ou apport d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise.
  • Apport de son entreprise par l’employeur personne physique qui fonde une société (l’employeur devient alors une personne morale).
  • La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE)[2] a considéré qu’un transfert de propriété n’est nullement requis. Il suffit que le contrat entraîne le transfert de droits réels (usufruit, emphytéose, superficie) ou de droits personnels (comme un bail), à condition que le repreneur dispose de pouvoirs suffisants pour exercer les prérogatives d’un employeur.

Ce qui n’est pas considéré comme un transfert :

  • Un simple changement de forme juridique sans modification de la personnalité juridique de l’employeur.
  • L’achat de parts sociales ou d’actions d’une société par une autre, car l’autonomie juridique de l’entreprise n’est pas affectée[3].

Caractère conventionnel du transfert

La CCT n°32bis ne s’applique que si le changement d’employeur résulte d’une cession conventionnelle ou d’une fusion.

Exclusions :

  • Transferts consécutifs au décès de l’employeur.
  • Transferts intervenant dans le cadre d’une faillite ou d’une procédure similaire.

Hormis ces exclusions, la jurisprudence de la CJUE adopte une interprétation large du concept de « cession conventionnelle »[4].

L’objet du transfert

Pour relever de la CCT n°32bis, le transfert doit concerner une entreprise ou une partie d’entreprise.

La question de l’objet du transfert est complexe et nécessite une analyse spécifique, adaptée à chaque situation.

Il se déduit de la jurisprudence de la CJUE que la conservation de l’identité de l’activité est un critère clé. Cette évaluation repose notamment sur :

  • La poursuite de l’exploitation (notamment l’autonomie fonctionnelle d’une partie d’entreprise transférée)[5].
  • Le transfert d’éléments d’actif[6], bien que ce critère ne soit pas, à lui seul, déterminant[7].

En conclusion

Le transfert d’entreprise ne se limite pas à une opération économique ou juridique : il a des implications sociales majeures, encadrées par la CCT n°32bis.

Avant même de se pencher sur les effets concrets du transfert sur les relations de travail, il est indispensable d’identifier avec précision si cette convention s’applique.

La qualification du transfert (changement d’employeur, acte conventionnel, objet transféré) conditionne la mise en œuvre de toutes les garanties prévues par le droit du travail.

L’analyse rigoureuse de ces critères est donc une étape préalable essentielle pour sécuriser l’opération.



Le département Droit social de CENTRIUS? vous accompagne à chaque étape de cette démarche, afin de :

  • Déterminer si la CCT n°32bis trouve à s’appliquer à l’opération envisagée
  • Vous informer, le cas échéant, sur l’ensemble des conséquences sociales et juridiques d’un transfert de personnel
  • Identifier les risques liés au projet et les mesures à mettre en œuvre pour assurer sa conformité

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[1] En cas de faillite, les entrepreneurs aux abois se voient offrir une voie de sauvetage de leur entreprise appelée transfert sous autorité de justice. Dans ce cas, le transfert du personnel obéit à un autre régime résultant de la combinaison du Code de droit économique et de la convention collective n°102 qui est nettement moins protectrice que la CCT n°32bis.

[2] C.J.U.E., 17 décembre 1987, Ny Molle Kro, aff. 287/86.

[3] R. Blanpain, « Le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprise, la directive du 14 février 1977, Rev. Trav. 1977, p. 477.

[4] C.J.U.E., 13 septembre 2007, Jouini, aff. 458/05 ; C.J.C.E., 15 juin 1988, Bork International, aff. 101/87, Rec., 1988, p. 3057, §13 ; C.J.C.E., 17 décembre 1987, Ny Molle Kro, aff. 287/86 ; C.J.C.E., 5 mai 1988, Berg, aff. 145/87 ; C.J.C.E., 10 février 1988, Tellerup dit « Daddys’s Dance Hall », aff. 324/86 ; C.J.C.E., 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys, aff. C-171/94 et C-172/94 ; C.J.C.E., 20 novembre 2003, Abler, aff. C-340/01, § 38 ; C.J.C.E., 10 décembre 1998, Sanchez Hidalgo, aff. C-173/96 et C-247/96 ; C.J.C.E., 25 janvier 2001, Liikenne, aff. C-172/99 ; C.J.C.E., 24 janvier 2002, Temco, aff. C-51/00 ; C.J.C.E., 14 septembre 2000, Collino et Chiappero, aff. C-343/98 ; C.J.C.E., 26 mai 2005, Celtec, aff. C-478/03 ; C.J.U.E., 29 juillet 2010, UGT-FSP, aff. 151/09 ; C.J.C.E., 19 mai 1992, Redmond Stichting, aff. C-29/91, Rec., 1992, I, 3189.

[5] J.-F. CESARO, « La notion de transfert d’entreprise », Droit social, 2005, p. 719 ; C.J.C.E., 9 septembre 2015, Ferreira da silva e brito, aff. C-160/14, § 31 ; ; C.J.C.E., 17 décembre 1987, Ny Molle Kro, aff. 287/86 ; C.J.C.E., 15 juin 1988, Bork International, aff. 101/87, Rec., 1988, p. 3057, §13 ; C.J.U.E., 7 août 2018, Collino Sigüenza, aff. C-472/16 ; C.J.U.E., 20 juillet 2017, Piscarreta Ricardo, aff. C-416/16, § 44.

[6] C.J.U.E., 8 mai 2019, Dodic, aff. C-194/18.

[7] C.J.C.E., 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys, aff. C-171/94 et C-172/94.

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