Les comptes d’une entreprise doivent en donner une « image fidèle ». Y intégrer son incidence environnementale serait bénéfique.
Ecrire que le bénéfice d’une entreprise est l’écart entre recettes et coûts est enfoncer une porte ouverte, mais derrière l’évidence, il y a une belle notion, qui est celle de valeur ajoutée, de création de valeur. Si une cliente est prête à payer EUR 15 pour un plat qu’il lui en a coûté 5 à produire, la restauratrice a créé EUR 10 de valeur. Voire davantage, car il est possible que la cliente aurait accepté de payer EUR 16 ou de EUR 17.
La notion de valeur ajoutée est connue du fait de la fameuse TVA, la taxe sur la valeur ajoutée. Cette appellation vient du fait que cette taxe est prélevée à chaque stade du processus de production : la restauratrice aura payé la TVA sur les ingrédients utilisés et sur d’autres coûts encourus, tels le transport ou l’énergie, mais pourra la défalquer de la TVA ajoutée à la note présentée à la cliente, TVA que l’entreprise doit verser au Trésor public. La fiscalité directe connaît également la notion de valeur ajoutée. Le salarié et l’indépendant peuvent déduire de leurs revenus imposables les frais, réels ou forfaitaires selon les cas, qu’ils ont supportés pour les générer. Et les entreprises ne sont pas taxées sur leur chiffre d’affaires mais sur leurs bénéfices.
Et derrière cet indicateur qui a pris trop d’importance dans le débat politique autour de l’économie qu’est la mesure du PIB, le produit intérieur brut, se trouve également la notion de valeur ajoutée. Pour faire – très – simple, ce qui est additionné dans le calcul du PIB, c’est la valeur ajoutée par chaque secteur d’activité, en sommant les chiffres d’affaires et en en soustrayant les coûts de production.
Créer de la valeur, ajouter de la valeur, et qui plus est de manière collective, en rassemblant forces et compétences, voilà qui est enthousiasmant, et doit fortifier l’esprit d’entreprise. Il y a toutefois une limitation, et elle peut être majeure, à savoir que cette création de valeur est mesurée de manière fort imparfaite. En effet, ce qui est comptabilisé comme une création de valeur peut cacher en fait, du point de vue sociétal, une destruction de valeur, car, qu’il s’agisse d’incidence sociale ou environnementale, tout ce qui devrait l’être n’est pas nécessairement mesuré, et tout n’est pas forcément mesuré au bon prix.
L’idée de compléter et de corriger les mesures comptables usuelles des entreprises progresse avec, notamment, les travaux de Rob Gray (1992)[1] et le modèle CARE de Jacques Richard et Alexandre Rambaud (2012), et une nouvelle étape symbolique vient d’être récemment franchie en Belgique. Avec le soutien de l’initiative Kaya, la « coalition des écopreneurs », le bureau d’étude français Axylia a mesuré ce que serait la rentabilité des grandes entreprises belges cotées en bourse si elles devaient s’acquitter d’un prix correct pour leurs émissions de gaz à effet de serre.[2] Les experts ont ajusté le résultat opérationnel (EBITDA) de ces entreprises en le diminuant du coût de leurs émissions « carbone », estimé au prix de EUR 127 la tonne de CO2. En excluant les entreprises qui ne sont pas transparentes sur leurs émissions, il en résulte un message clair : la moitié des grandes entreprises belges seraient en perte si un coût-vérité était appliqué pour le carbone, et rien que pour le carbone.
Contraire à l’éthique, la non-prise en compte de l’environnement est, à titre subsidiaire, aussi contraire à l’efficacité de l’économie de marché. Les entreprises qui, par leur pollution, minent notre potentiel productif de moyen terme, continuent de sévir et celles qui ont un modèle « bas carbone » ne sont pas récompensée à leur juste mesure pour leurs vertus.
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[1] Rob Gary, Accounting and environmentalism: An exploration of the challenge of gently accounting for accountability, transparency and sustainability, Accounting, Organizations and Society, Volume 17, Issue 5, July 1992, Pages 399-425; https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/036136829290038T