Je consacre beaucoup de temps à réfléchir (sans arriver à en tirer la synthèse) au tournant néolibéral qui a profondément modifié la structure de nos communautés.
L’idée de l’économie de marché américaine est de faire de chaque être humain un atome remplaçable, dépouillé de toute protection collective afin d’en optimiser la fluidité, c’est-à-dire la mobilité. Si on transpose aux humains les conditions d’un marché financier « parfait », puisque l’on parle de marché de l’emploi, on retrouve l’absence de coûts de transaction, la mobilité parfaite, un grand nombre de travailleurs fongibles (ou homogènes), l’absence de restrictions pour entrer ou sortir du marché, et aucune interférence de la part de gouvernements ou d’autres autorités qui pourrait fausser le prix du travail, etc. Dans les brumes d’une essence protestante qui exige le labeur personnel, le travailleur doit donc être seul, vulnérable et intranquille. Le seul moment d’apaisement est le travail, donc l’affiliation à une entreprise, très éphémère et fragile aux États-Unis.
Mais il importe aussi de consommer, car le néolibéralisme a transformé l’homo politicus en homo economicus. Dans un monde où les plateformes digitales, bientôt renforcées par l’IA, anticipent et suggèrent nos envies de consommation, la solitude associée à la séduction de la consommation est essentielle, d’autant que cela conduit à se comparer aux autres. Le juriste et philosophe du droit Alain Supiot (1949 —), ancien professeur au Collège de France, dénonce l’attaque néolibérale par la gouvernance par les nombres, c’est-à-dire la foi dans l’ordre spontané du marché. Il rappelle que la conviction en cet ordre spontané a conduit à attiser la compétition de tous contre tous, et que l’érection en norme fondamentale de la poursuite par chacun de ses seuls intérêts particuliers disqualifie l’intérêt public et la frugalité, engendrant inévitablement la violence.
Bien sûr, on a inventé d’autres liens comme les réseaux sociaux, mais qui sont eux-mêmes fondés sur la solitude d’un humain devant un écran. Les communautés digitales sont des déserts de solitude et de fausses images. Ce monde est évidemment dystopique, et destiné à être une addiction sans rémission. Nous sommes devenus le produit de forces capitalistes obscures.
Face à tout cela, je crois que nous devons tous faire un immense travail de déconstruction et adopter une attitude de dépouillement stoïque.
Et chercher le vrai et le beau.
Mais peut-être qu’en alimentant ce blog de réflexions, je me suis déjà perdu ? Qui sait ?
Tout cela me rappelle la chanson Not About Us de 1997 de Genesis, tirée de l’album Calling All Stations : « It's more about the loneliness we feel. »