Les régularisations fiscales, le rapatriement de capitaux et la législation anti-blanchiment (Part VI)

Cette contribution est la sixième partie sur sept d’une série présentant les enjeux fiscaux et pénaux des rapatriements de fonds depuis l’étranger sous l’angle de la législation anti-blanchiment.

FiscalitéF.F.F.Les régularisations fiscales, le rapatriement de capitaux et la législation anti-blanchiment (Part I)


IV.C. Troisième question : lorsqu’on a rapatrié, est-il possible de revenir sur le passé ?

27.

Dans le cadre de la circulaire du 8 juin 2021, la BNB impose aux entités assujetties dont elle assure le contrôle de vérifier les rapatriements passés acceptés par ces entités, la pertinence et le respect des procédures internes applicables à l’époque.

A cet égard, la circulaire précise expressément qu’il n’est pas demandé de procéder à cet examen de faits du passé « sur la base de la réglementation et des attentes actuelles ».

Cette procédure de « look back » nécessite d’aborder les règles relatives à l’application du droit pénal dans le temps et pose la question du caractère instantané ou continu de l’infraction de blanchiment.

La question est celle de l’attitude à adopter lorsque la banque qui a effectué correctement les diligences qui étaient attendues d’elle lors de la réception des fonds rapatriés vient à découvrir ultérieurement que ceux-ci ont une origine illicite.

28.

La classification d’infractions instantanées ou continues met en relation les infractions avec la durée de leur exécution. Les infractions instantanées se caractérisent par l’accomplissement d’un fait unique qui s’achève en un instant. Les délits continus se réalisent par la création et le maintien d’une situation délictueuse. L’intérêt principal de cette distinction réside dans le régime de la prescription de l’action publique. Le point de départ du délai correspond au jour de la consommation du fait pour les infractions instantanées et au jour où cesse l’état infractionnel pour les infractions continues.

Alors que la question du caractère instantané ou continu de l’infraction de blanchiment avait été jusque-là fort débattue, la loi du 10 mai 2007 portant diverses mesures en matière de recèlement et de saisie[1] a tranché en prévoyant qu’il s’agissait d’une infraction continue.

Afin de ne pas pénaliser la personne qui serait entrée en possession des avoirs de manière parfaitement licite et apprendrait ultérieurement leur origine illicite, un amendement a été déposé par M. MAHOUX et consorts et prévoit que l’article 505, alinéa 1er, 2° ne punirait que celui qui aura acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré les choses visées à l’article 42, 3° alors qu’il connaissait ou devait connaître l’origine de ces choses au début de ses opérations.

En d’autres termes, la banque qui entre en possession de manière licite mais qui, ensuite, découvre une origine illicite ne peut être poursuivie pour le débit de blanchiment visé à l’article 505, § 1er, 2° du Code pénal. En effet, dès lors qu’elle ne connaissait pas ou ne devait pas connaître cette origine illicite lors de l’entrée en possession, aucune infraction de blanchiment n’existe.

Cette infraction ne pourra pas naître à l’occasion de la découverte de l’origine illicite puisque la loi prévoit que cette origine doit être connue, ou ne peut être ignorée, qu’au début des opérations.

Par contre, la banque qui connaissait ou devait connaître l’origine illicite lors du début des opérations a commis une infraction de blanchiment qui continuera tant qu’elle possédera les avoirs.

29.

L’article 505, alinéa 1er, 2° vise toutefois six opérations distinctes : acheter, recevoir à titre gratuit, recevoir en échange, posséder, garder et gérer.

Selon la doctrine, il convient d’examiner le début de toutes les opérations prises séparément et non les différents comportements dans leur ensemble[2].

S’il n’y aura, en principe, guère de difficultés concernant l’achat, la réception, la possession ou la garde, la question de la gestion est évidemment plus complexe. Comme l’indique O. CREPLET, « on peut se demander si la gestion est une réalité recommencée à chaque acte de gestion individuel posé, ou si elle doit être appréhendée, comme un tout, ceci impliquant notamment que le gestionnaire découvrant, au cours de sa gestion, illicite des biens gérés, ne pourrait être poursuivi pénalement du chef de recel élargi, même s’il pose de nouveaux actes de gestion sur les biens considérés »[3].

A l’instar de S. SCARNA et de C. REINESON[4], il nous semble que la gestion de fonds se manifeste par un ensemble d’actes : analyse, surveillance, vente, achat, etc. En d’autres termes, lorsque la banque reçoit un mandat de gestion, c’est à ce moment qu’il faut apprécier si elle connaissait ou devait connaître l’origine illicite des fonds qui lui sont confiés. La prise de connaissance ultérieure de l’origine illicite devrait donc être sans incidence sur sa situation.

30.

En revanche, et il nous paraît important d’insister sur ce point, une distinction doit être opérée entre les différentes opérations visées à l’article 505, § 1er, 2° du Code pénal. Une banque qui se contenterait de garder des fonds dont elle ignorait valablement l’origine illicite lors du début de la garde pourrait continuer à les garder après avoir découvert leur origine illicite mais ne pourrait commencer à les gérer.


IV.D. Quatrième question : que faire lorsqu’à l’analyse il apparaît qu’une régularisation fiscale doit être diligentée ?

31.

Dans ce cas, le contribuable aura évidemment recours à la DLUquater. A cet égard, on signalera que la loi du 16 mars 2021 dispose toutefois que la loi du 21 juillet 2016 visant à instaurer un système permanent de régularisation fiscale et sociale cessera d’être en vigueur le 31 décembre 2023.

Celui qui souhaiterait régulariser une succession se trouvera néanmoins confronté à un obstacle de taille qui est que les accords de coopération conclus entre l’Etat fédéral et les Régions ont pris fin le 31 décembre 2020 sans être renouvelés.

S’agissant des successions non prescrites, il conviendra dès lors de s’adresser directement au bureau des successions compétents et de négocier avec lui la régularisation à moindre coût des actifs non déclarés. On en revient donc au système des accords administratifs qui avait cours avant l’instauration de la DLU en 2004.

S’agissant des successions prescrites, la question est évidemment beaucoup plus délicate et s’avère en pratique un casse-tête pour les praticiens. Que faire en effet ? Présenter à l’administration fiscale une succession prescrite en vue de la régulariser et s’engager à payer des droits de succession nonobstant la prescription ? On mettrait ainsi fin, si l’on peut dire, à l’infraction primaire de fraude fiscale grave, organisée ou non. Ou présenter au Point de contact régularisation ces capitaux successoraux comme des capitaux prescrits sans en préciser l’origine et les soumettre au taux de 40 % ? Un choix devra nécessairement être fait et l’on veillera à y associer la banque vers laquelle on entend rapatrier les capitaux puisque c’est elle, en premier ordre, qu’il faudra convaincre de la régularité fiscale et pénale des capitaux rapatriés.


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[1] M.B., 22 août 2007, p. 43896

[2] S. SCARNA et C. REINESON, op.cit., p. 107

[3] O. CREPLET, « Le délit de blanchiment après la loi du 10 mai 2007 », in Le droit pénal financier en marche, Anvers, Louvain-la-Neuve, Intersentia, Anthemis, 2009, p. 64

[4] S. SCARNA et C. REINESON, op.cit., p. 109

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