La lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux a connu, ces dernières années, une évolution fulgurante. Dans la sphère fiscale, de nombreuses questions sont nées à l’occasion du rapatriement en Belgique de capitaux placés à l’étranger qui avaient été régularisés dans le cadre des procédures mises en place par le législateur belge.
Alors que la procédure de régularisation fiscale issue de la loi du 21 juillet 2016 expirera le 31 décembre prochain, l’objet de la présente contribution, qui se déclinera en sept parties, est d’offrir un aperçu de la législation anti-blanchiment et de son application à la fraude fiscale et de tenter de répondre à quelques questions qui se posent en pratique en cas de rapatriement en Belgique de capitaux placés à l’étranger.
1.
La lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux a connu, ces dernières années, une évolution fulgurante.
Dans la sphère fiscale, de nombreuses questions sont nées à l’occasion du rapatriement en Belgique de capitaux placés à l’étranger qui avaient été régularisés dans le cadre des procédures mises en place par le législateur belge.
Ces questions étaient liées au caractère « complet » ou non de ces procédures de régularisation. La question était notamment de savoir si le contribuable qui s’est contenté de régulariser les revenus non prescrits fiscalement et qui s’est abstenu de régulariser des capitaux prescrits fiscalement, parce qu’il n’en avait pas la possibilité ou parce qu’il a choisi de ne pas le faire, peut rapatrier ses fonds sans risque sur le plan de la législation anti-blanchiment.
La réponse à cette question d’apparence simple s’avère en réalité particulièrement complexe. Elle impose de connaître la législation anti-blanchiment et ses évolutions à travers le temps mais également d’appréhender les conséquences pénales et fiscales des différentes procédures de régularisation fiscale qui se sont succédées en Belgique.
L’objet de la présente contribution est d’offrir un aperçu de la législation anti-blanchiment et de son application à la fraude fiscale et de tenter de répondre à quelques questions qui se posent en pratique en cas de rapatriement en Belgique de capitaux placés à l’étranger.
La législation anti-blanchiment se décline en deux volets, l’un répressif l’autre préventif.
2.
L’infraction de blanchiment est prévue à l’article 505 du Code pénal :
« Seront punis d'un emprisonnement de quinze jours à cinq ans et d'une amende de vingt-six euros à cent mille euros ou d'une de ces peines seulement :
1° ceux qui auront recelé, en tout ou en partie, les choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ;
2° ceux qui auront acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré des choses visées à l'article 42, 3°, alors qu'ils connaissaient ou devaient connaître l'origine de ces choses au début de ces opérations;
3° ceux qui auront converti ou transféré des choses visées à l'article 42, 3°, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d'aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l'infraction d'où proviennent ces choses, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;
4° ceux qui auront dissimulé ou déguisé la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des choses visées à l'article 42, 3°, alors qu'ils connaissaient ou devaient connaître l'origine de ces choses au début de ces opérations
Les infractions visées à l'alinéa 1er, 3° et 4°, existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3°. Les infractions visées à l'alinéa 1er, 1° et 2°. existent même si leur auteur est également auteur, coauteur ou complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3°, lorsque cette infraction a été commise à l'étranger et ne peut pas être poursuivie en Belgique
Sauf à l'égard de l'auteur, du coauteur ou du complice de l'infraction d'où proviennent les choses visées à l'article 42, 3°, les infractions visées à l'alinéa 1er, 2° et 4°, ont trait exclusivement, en matière fiscale, à des faits commis dans le cadre de fraude fiscale grave, organisée ou non. »
3.
Comme l’indique A. RISOPOULOS, « l’infraction de blanchiment, en droit belge, se définit d’une façon simple et ingénieuse, par rapport à l’objet sur lequel elle porte »[1].
L’objet de l’infraction est visé à l’article 42, 3° du Code pénal. Ce sont « les avantages patrimoniaux tirés directement de l’infraction[2], les biens et les valeurs qui leur ont été substitués ou les revenus de ces avantages investis ».
Les actes de blanchiment doivent porter sur des avantages patrimoniaux tirés d’une infraction primaire. Les avantages patrimoniaux tirés d’une infraction de fraude fiscale entrent donc bien dans le champ d’application de cette disposition.
4.
Trois types de comportement sont visés par le délit de blanchiment[3]. Chacun de ces comportements présente un élément matériel et un élément moral :
5.
S’agissant de l’élément moral, pour l’article 505, alinéa 1er , 2° et 4°, l’auteur ne pourra être poursuivi que pour autant que ce dernier connaissait ou devait connaitre l’origine illicite des avantages patrimoniaux et ce, au début des opérations. Cet élément moral ne peut être simplement présumé mais doit être démontré. Selon T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, l’expression « connaissaient ou devaient connaître » doit s’interpréter comme « ne pouvaient ignorer » l’origine illicite des choses visées[5].
Mais pour l’article 505, alinéa 1er, 3°, l’élément intentionnel du délit ne sera établi que si le ministère public peut rapporter la preuve que le prévenu connaissait effectivement l’origine illicite et qu’il a agi de la sorte dans le but de dissimuler l’origine illicite ou d’aider une personne à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
6.
En matière fiscale, lorsque l’on aborde l’article 505 du Code pénal, il faut également avoir égard aux situations différentes de l’auteur de l’infraction, d’une part, et des tiers, d’autre part, ainsi qu’à la nature de l’infraction primaire selon qu’elle relève de la fraude fiscale simple ou de la fraude fiscale grave, organisée ou non.
S’agissant de l’auteur de l’infraction:
S’agissant du tiers à l’infraction :
7.
Un tableau permet de résumer utilement ce qui précède :
Elément matériel | Elément moral | Auteur | Tiers | |
505, § 1, 2° CP | Garder, gérer, posséder les avantages patrimoniaux | « connaissait ou devait en connaître l’origine » | Non sauf si l’infraction primaire n’a pas été commise en Belgique et ne peut pas y être poursuivie | Oui mais seulement en cas de fraude fiscale grave, organisée ou non |
505, § 1, 3° CP | Conversion ou transfert des avantages patrimoniaux | « dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou dans le but d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction dont proviennent les avantages patrimoniaux, à échapper aux conséquences juridiques de ses actes » | Oui même en cas de fraude simple | Oui même en cas de fraude simple |
505, § 1, 4° CP | Dissimulation, déguisement de la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des avantages patrimoniaux | « connaissait ou devait en connaître l’origine » | Oui même en cas de fraude simple | Oui mais seulement en cas de fraude fiscale grave, organisée ou non |
8.
L’infraction de blanchiment est une infraction autonome mais secondaire. Elle ne se conçoit qu’en présence d’une infraction primaire ayant généré l’avantage patrimonial illicite, objet du blanchiment.
Enfin, et c’est ce qui rend notamment l’infraction de blanchiment particulièrement redoutable, ni le ministère public, ni le juge ne sont tenus de démontrer précisément l’infraction dont proviennent les avantages patrimoniaux illicites. L’infraction primaire ne doit pas même être identifiée, elle peut être prescrite, avoir été poursuivie ou non, du moment que le juge pénal puisse exclure toute origine licite possible.
Il suffit donc que le juge constate de manière certaine, même implicitement, que les éléments constitutifs du blanchiment sont réunis et que, sur base d’éléments de fait, il puisse exclure toute origine ou provenance légale[6]. En effet, de jurisprudence constante de la Cour de cassation, « la charge de la preuve concernant l’origine illégale ou criminelle des objets litigieux a été satisfaite lorsque, sur la base d’éléments de faits, toute origine légale de ces choses peut être exclue »[7].
Comme nous l’avons vu ci-avant, en ce qui concerne les tiers à l’infraction de base, lorsque l’infraction primaire est fiscale, l’infraction de blanchiment n’existe, dans certains cas[8], que si la fraude fiscale est grave, organisée ou non.
[1] A. RISOPOULOS, « L’avocat et l’infraction de blanchiment : l’article 505 du Code pénal et son autonomie par rapport au dispositif préventif », in Les avocats et le blanchiment : actualités, enjeux et perspectives, Larcier, 2018, p. 191 et ss.
[2] Les avantages patrimoniaux tirés de l’infraction ont été définis comme étant « tous les biens ou valeurs que l’auteur de l’infraction a obtenus en commettant celle-ci. Il peut s’agir du prix du crime ou du marché, de la contre-valeur de la transaction, de gains illicites (…) La nature des biens (mobiliers/immobiliers, corporels/incorporels) n’entrent pas en considération, seul importe le lien existant entre les biens et l’infraction » in Doc.parl., Ch.Repr., exposé des motifs,, sess 1989-1990, n° 987/1, p. 3
[3] J. SPREUTELS, F. ROGGEN et E. ROGER FRANCE, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 462 ; J-P. BUYLE et P. BOURGEOIS, Les nouveaux risques liés à l’évasion et à la fraude fiscale, commise par des clients belges ou sur base de conseils reçus de banques et de conseillers fiscaux, Finix Events, 18 novembre 2015, Hôtel Le Royal, Luxembourg
[4] M-L. CESONI, D. VANDERMEERSCH, « Le recel et le blanchiment », Les infractions contre les biens, 2ème édition, 2016, pp. 537 et ss. ; P. MONVILLE, « Blanchiment, B 45 », Postal Memorialis – 138 – Décembre 2013 ; Corr. Burges, 28 juin 2005, réf. 1657/05, inédit, documentation CTIF ; Corr. Bruxelles, 22 septembre 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1541
[5] T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal, Bruges, La Charte, 2019, pp. 174-175 : « lorsque délibérément, l’auteur ne veut pas savoir, c’est que précisément il sait déjà ce qu’il prétend ne pas vouloir savoir ou qu’il a conscience de l’élément qu’il prétend ignorer »
[6] Cass., 21 juin 2000, Pas., 2001, n°387 et Cass., 25 septembre 2001, Pas., 2001, n°493 cité par J-L. JONNAERT, « Blanchiment et fraude fiscale : aspect préventif et répressif », in Droit Pénal de l’entreprise, 2012/4, p.229
[7] Notamment, Cass. 3 avril 2012, Pas., 2012, p. 744 ; Cass., 28 novembre 2006, Pas., 2006, pp. 2497 et s.
[8] Les comportements visés aux 2° et 4° de l’article 505, § 1er du Code pénal