Pour maintenir l'État-providence budgétairement à flot, il ne suffit pas de mettre plus de personnes au travail, il faut aussi, et surtout, s'assurer que nous aurons plus d'actifs à l'avenir. Cela signifie que nous devons dès aujourd'hui nous concentrer sur l'augmentation du nombre de petits contribuables!
Maintenant que la période des cadeaux pré-électoraux est terminée, il devient de plus en plus évident pour tout le monde que le prochain gouvernement sera confronté à une tâche budgétaire extrêmement difficile. Durant cette législature, le budget a été frappé par la crise du coronavirus et la crise énergétique, mais même maintenant que ces crises sont derrière nous, la situation budgétaire reste désastreuse. Pour 2024 et 2025, la Commission européenne prévoit un déficit budgétaire pour notre pays de respectivement 4,6 % et 5,0 %. Quant au ratio d'endettement, la Commission européenne prévoit une augmentation du ratio d'endettement de 106,3 % du PIB en 2023 à 106,4 % en 2024, et à 107,3 % en 2025. En cas de maintien des politiques actuelles, ce ratio pourrait même atteindre 120% en 2028.
De plus, notre pays doit se conformer aux nouvelles règles budgétaires approuvées par le Parlement européen. Selon ces règles, les États membres doivent, sur une période de 4 à 7 ans, viser un déficit budgétaire de 3% du PIB. Pour la Belgique, cela signifie un effort annuel de 3,4 milliards d'euros, soit près de 24 milliards d'euros, non pas pour équilibrer le budget, mais simplement pour rester dans la limite autorisée de 3%. C'est un effort plus que substantiel. Cependant, selon le Bureau fédéral du Plan, qui a examiné les programmes électoraux des partis politiques, aucun d'entre eux n'atteint cette limite budgétaire avec ses plans.
Le prochain gouvernement sera donc obligé d'être un gouvernement d'assainissement, devant prendre des décisions difficiles. Et, comme c'est traditionnellement le cas en matière de problèmes budgétaires, on pense généralement aux économies d'une part, et aux nouvelles recettes fiscales d'autre part. Cette fois ne fait pas exception. Par exemple, des partis comme le CD&V, le PTB et Vooruit veulent introduire une forme de taxe sur les riches pour générer de nouvelles recettes fiscales. Un parti comme la N-VA, quant à lui, estime qu'il faut économiser sur les allocations sociales en gelant temporairement l'indexation de ces dernières.
Cet exercice est donc loin d'être simple. Mais peut-être les politiciens devraient-ils envisager la solution du problème budgétaire non seulement à court et moyen terme, mais aussi à long terme. Nous ne pouvons pas ignorer que remettre le budget en ordre ne sera possible qu'en réalisant des réformes socio-économiques, et en particulier par une réforme fiscale. Et à cet égard, les points de vue politiques semblent s'aligner progressivement. Après l'excellent travail préparatoire du ministre Vincent Van Peteghem avec son "Plan pour une grande réforme fiscale", tout le monde, de la gauche à la droite politique, est désormais convaincu que la pression fiscale sur le travail doit avant tout être réduite.
L'objectif politique semble être de "rendre le travail plus rémunérateur" afin de mettre plus de personnes sur le marché du travail. Et cela repose évidemment sur une logique budgétaire importante. Le moteur de l'État-providence repose en grande partie sur le travail, qui est à la base des principales recettes fiscales et parafiscales. Donc, plus nous pouvons mettre de personnes au travail, plus les recettes fiscales et parafiscales peuvent affluer dans les caisses de l'État. Cela semble être une piste intéressante, à condition bien sûr que nous puissions compter sur un afflux constant de travailleurs à long terme.
Cependant, lorsqu'on examine l'évolution démographique, un problème sérieux se pose. Selon Statbel, le bureau statistique de l'État fédéral, la population belge passera de 11.697.557 personnes en 2023 à 12.857.728 personnes en 2070. C'est une augmentation substantielle, mais néanmoins problématique. La croissance moyenne de la population en Belgique au cours des 50 dernières années (depuis 1970) était de 40.000 personnes supplémentaires par an. Dans la projection de Statbel jusqu'en 2070, cette croissance n'est que de 25.000 personnes par an. Cela signifie que la population belge continue de croître, mais moins rapidement.
Si cette projection de l'évolution de la population s'avère exacte, un problème budgétaire encore plus grave pourrait se profiler à long terme, du moins si nous continuons à considérer le travail comme le principal moteur de l'État-providence.
Tout d'abord, il y a le problème de l'augmentation de l'espérance de vie. Selon Statbel, l'espérance de vie en 2023 est de 79,9 ans pour les hommes et de 84,6 ans pour les femmes. En 2070, ce sera respectivement 86,6 ans et 89 ans. Si nous vivons plus longtemps, l'État-providence devra également prendre soin de nous plus longtemps, ce qui signifie payer des pensions plus longtemps et supporter des coûts de santé plus élevés.
Ces coûts croissants pourraient être compensés en mettant "plus de personnes au travail", mais c'est précisément là que réside le problème. En raison de la croissance démographique plus faible, il y a un problème entre la population active et la population non active. Statbel indique qu'en 2023, il y a 3,6 personnes dans la catégorie active pour chaque personne de plus de 67 ans. En 2070, ce ratio ne sera plus que de 2,4 personnes.
Si le prochain gouvernement veut se concentrer sur une réforme fiscale, il devra en tenir compte. Pour maintenir l'État-providence budgétairement à flot, il ne suffit pas de mettre plus de personnes au travail, il faut aussi, et surtout, s'assurer que nous aurons plus de gens à l'avenir. Cela signifie que nous devons dès aujourd'hui nous concentrer sur l'augmentation du nombre de petits contribuables. Cela peut se faire en stimulant la croissance naturelle de la population ou par la migration de travailleurs, mais il est grand temps d'agir.
"Governare è prevedere", disait le politicien français Emile de Girardin au milieu du 19ème siècle. Qui pourrait le contredire?