La taxe Caïman, vocable qui vise le mécanisme de taxation par transparence instauré par l’article 5/1 du Coder des impôts sur les revenus, a déjà fait couler beaucoup d’encre.
« Imposer par transparence » signifie en substance que le fondateur d’une des structures visées par la loi est imposable sur les revenus de la structure visée par la loi (qualifiée de « construction juridique ») comme s’il les avait réalisés lui-même et ce même si la société n’avait pas distribué des dividendes à ses actionnaires : si les conditions de la taxe Caïman sont réunies, l’on va donc raisonner comme si la structure visée n’existait pas.
Force est de constater que le champ d’application de la taxe Caïman ne cesse d’être élargi et vise même des structures établies dans un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition, même si ledit pays fait partie de l’Espace Economique Européen.
Le problème est, d’évidence, que le législateur belge traite certaines structures relevant d’un droit étranger comme si elles étaient inexistantes, alors qu’en même temps, il essaye de tirer des conséquences fiscales d’une situation juridique qui, ayant lieu en dehors des frontières de la Belgique, devrait normalement échapper à sa compétence fiscale.
Ces questions ont, depuis le début, donné lieu à des vives discussions, surtout dans les cas où l’Etat d’établissement de la structure visé est lié à la Belgique par une convention préventive de la double imposition.
En effet, dans un tel cas et ce par le biais de la taxe Caïman, l’Etat belge s’arroge, fut-ce indirectement le pouvoir d’imposer des revenus qui ne pourraient l’être suivant la législation de l’Etat qui serait compétent de les imposer en vertu de la convention préventive de la double imposition.
Certes, la taxation se fait dans le chef d’une personne différente de celle visée par la Convention mais le fait demeure qu’un revenu que l’Etat compétent estime ne pas devoir taxer deviendrait taxable dans le chef d’une autre personne, en Belgique : ce qui est parait singulier dans la mesure où c’est nature des revenus qui fonde pour chaque revenu la désignation de telle ou telle partie pour l’imposer… et non pas l’inverse.
Enfin, outre la question de la raison de cet « excès de pouvoir fiscal », l’on a constaté que dans certains cas, cette taxation était susceptible de créer une double imposition économique (le même revenu est imposé dans le chef de personnes différentes) à laquelle une convention préventive qui a vocation à régler les questions de double imposition juridique (le même revenu imposé dans le chef de la même personne pour la même période imposable) ne peut remédier.
Pour rappel, en date du 9 novembre 2021, la Belgique et la France ont signé une nouvelle convention en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
Le même jour, un Protocole a été signé entre les parties et l’article 16 de celui-ci prévoit que la France pourra, notamment, appliquer les articles 209 B, 123 bis, 115 quinquies et 212 du Code général des impôts, alors que la Belgique pourra de son côté appliquer l’article 5/1 du Code des impôts sur les revenus 1992.
L’on constate donc que les deux Etats ont expressément et même contractuellement admis l’application de la taxe Caïman dans un contexte franco-belge.
Il s’agit ici d’un pas en arrière majeur en la matière, surtout pour les actionnaires belges de certains structures françaises fiscalement translucides ou transparentes, les société civiles immobilières (SCI) en tête.
En effet, il faut noter d’emblée que la nouvelle convention subordonne l’exonération des revenus immobiliers (toujours sous réserve de progressivité) à l’imposition désormais « effective » desdits revenus en France.
Ainsi, lorsque l’immeuble détenu par la SCI est loué, les revenus immobiliers seront imposés en France, la condition de taxation effective sera remplie et la Belgique devra exonérer les revenus sous réserve de progressivité.
Hormis la taxe foncière, aucune imposition n’aura lieu en France.
Or, en Belgique, l’on déclare le revenu cadastral – qui est un revenu fictif – actualisé dans sa déclaration fiscale. De ce fait, un bien non-loué en France pourrait être considéré comme générant un revenu (fictif) qui n‘est pas imposé en France et qui serait donc susceptible d’être visé par la Taxe Caïman.
Certes, sauf dans le cas où l’immeuble français aurait une valeur très conséquente, l’incidence « économique », en termes de coût fiscal, de l’application de la taxe Caïman sur le résident belge-associé d’une SCI pourrait ne pas être très importante mais il ne faut pas perdre de vue que tomber sous le coup de la taxe Caïman n’emporte pas que des conséquences ayant trait à la taxation de tel ou tel revenu : l’application de ce régime comporte d’autres contraintes, comme l’obligation de déclaration de la structure ou les conséquence fiscales bien plus importantes en cas de transfert du siège social de la SCI (ou même du transfert du domicile fiscal de la personne qui sera considéré comme son fondateur).
Il reste donc à espérer que le fisc belge n’adoptera pas une position aussi extrême.
Une autre structure potentiellement visée par la taxe Caïman est la société civile de portefeuille (SCP), qui est susceptible de détenir de l’immobilier ou des valeurs mobilières. Elle est également soumise à l’impôt sur le revenu dans le chef de ses associés, à moins qu’elle n’opte volontaire pour l’impôt des sociétés.
Suivant la nature des investissements réalisés, il n’est donc pas impossible que l’associé belge d’une SCP soit soumis à la taxe Caïman.
Il serait utile d’évoquer également, mais brièvement, les dispositions légales dont la France a souhaité assurer l’application.
D’emblée, il faut préciser qu’en France, un régime fiscal est qualifié de privilégié quand la société ou l’entité visée, soit n’est pas imposable, soit elle l’est mais le montant de l’impôt dû est inférieur d’au moins 40 % à celui que la société ou entité en question aurait payé en France. (art. 238A CGI)
Dans ce contexte : l’article 209B du CGI prévoit que lorsqu’une personne morale établie en France et soumise à l’impôt des sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement plus de 50 % des titres ou droits de vote dans une entité juridique, établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié les bénéfices de cette entreprise ou entité juridique sont imposables en France, à l’impôt sur les sociétés ou en tant que revenu de capitaux mobiliers, suivant le cas.
Toutefois, cette disposition est exclue si l’entreprise ou l’entité juridique est établie ou constituée dans un Etat de la Communauté européenne et que l’exploitation de l’entreprise ou la détention de participations ne peut être regardée comme constitutive d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.
L’article 123bis du CGI constitue quant à lui un dispositif « anti-abus » pour les personnes physiques : l’on vise ici la détention directe ou indirecte d’au moins 10 % des titres ou droits de vote d’une personne morale ou entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié.
Dans un tel cas et sous certaines conditions, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion de la participation du contribution dans celle-ci.
A nouveau, ce dispositif n’est pas applicable, notamment lorsque l’entité juridique est établie ou constituée dans un Etat membre de l’Union européenne et s’il ne s’agit pas d’un montage artificiel dont le but serait d’éluder l’impôt français.
L’article 115quinquies du CGI a trait à la branch tax française : Les bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, à des associés n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France.
Ici aussi, il est prévu que l’application de ce dispositif est exclu lorsque la société étrangère a son siège dans un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen et y est soumis à l’impôt sur les sociétés, sans possibilité d’option et sans en être exonérée et sans bénéficier d’une exonération spécifique sur les bénéfices mentionnés.
Enfin, l’article 212 du CGI prévoit des limites à la déductibilité des intérêts dus dans le cadre de prêts entre sociétés liées lorsque le préteur n’est as pas sur les intérêts reçus à un taux égal à au moins 25% de l’impôt sur les bénéfices dont la société prêteuse aurait été redevable si elle avait été établie en France.
A la différence de la taxe Caïman, dont l’application, ou non, dépend du fait qu’un seuil (de 1% pour les sociétés établies dans l’EEE)a été, ou non, atteint, les dispositions dont la France a souhaité se réserver le droit d’appliquer ne concernent donc principalement, quand il s’agit de contribuables établis, notamment, dans l’UE ou l’EEE, que les contribuables qui auront mis en place un montage artificiel.
Par contre, toujours concernant le côté français, subsiste la question de savoir si le fait que la France énumère certaines dispositions dans le Protocole signifie, ou non, qu’elle renonce à invoquer d’autres dispositions anti-abus dans un contexte franco-belge.
La question est importante car au moins une disposition, extrêmement dangereuse, ne figure pas dans le Protocole, à savoir l’article 155A du CGI qui prévoit, en substance, que quand une personne résidente de France réalise des prestations qui sont facturées par une société établie à l’étranger (ici pas d’exclusion des sociétés UE/EEE) et que, notamment, le prestataire contrôle au sens du droit français, la société étrangère, les sommes perçus par la société étrangère-en l’espèce, belge, sont imposables au nom du prestataire français.
La question de l’application, ou non, de cette disposition, qui institue en réalité une fiction ayant, dans les faits, des effets similaires à ceux d’une taxation par transparence, est importante également pour les sociétés belges. En effet, si l’article 155A permet d’imposer le prestataire-résident français, le paragraphe III. de celui-ci prévoit que la société étrangère est solidairement responsable du paiement des impôts dus par le prestataire. Une telle situation pourrait avoir des lourdes conséquences pour la société belge, car la convention préventive ne pourrait remédier à la double imposition qui serait créé dans ces conditions.
En conclusion, l’on constate donc une dénaturation certaine aussi bien de la Taxe caïman que de la philosophie classique qui sous-tend la conclusion d’une convention préventive de la double imposition, dont le but essentiel est de repartir le pouvoir d’imposition et non pas de faire en sorte à ce que tous les revenus puissent être effectivement imposés.