Depuis 2019, de très nombreux articles de presse parlent de la flygskam, qui désigne la « honte de prendre l’avion » qu’éprouveraient des Suédois. Cela s’est traduit par une très légère diminution
des passagers voyageant depuis la Suède en 2019. Puis, on n’en a plus beaucoup parlé.
Mais les gouvernements, y compris le gouvernement belge, ne cessent de prendre ou d’annoncer des mesures pour réduire les vols des Européens. On n’ironisera pas sur le fait que les gouvernements belges aient cru bon de déléguer 170 personnes, y compris des membres d’ONG qui ne représentent légalement personne, à la Cop28 de Dubaï. C’est en effet là un épiphénomène à côté de la réalité annoncée par l’Iata, l’association qui regroupe la quasi-totalité des compagnies aériennes mondiales. Après avoir souffert des mesures de confinement, ces compagnies sont très confiantes pour l’avenir. Elles annoncent en effet que le nombre de passagers au niveau mondial va doubler d’ici 2037 et… tripler d’ici 2050. Cela ne correspond pas tout à fait aux espoirs des participants européens à la Cop28.
L’explication réside essentiellement dans le fait que la multiplication du nombre de passagers concernera surtout, mais peut-être pas exclusivement, la classe moyenne naissante des “pays émergents”, dont les très peuplées Chine et Inde qui n’ont jamais manifesté beaucoup d’intérêt pour la cause climatique. Dans son analyse, l’Iata, qui a pensé aux éléments qui pourraient freiner la progression attendue, a mentionné le risque de hausse des prix du pétrole à cause des guerres, mais n’a aucun égard pour la question des émissions de CO2. Ni parce que les compagnies se sentiraient un devoir de les réduire, ni même parce qu’elles penseraient que les Etats les y contraindraient. Le combat contre ceux qui prennent l’avion semble en réalité être exclusivement celui des pays européens de l’Ouest et de quelques Etats américains, comme la Californie.
Ailleurs, on pense au développement et on n’est pas prêt à priver les villes de cet atout indispensable qu’est le transport aérien de passagers. Aujourd’hui, une ville qui n’a pas accès à un aéroport moderne ne peut que végéter. On l’a compris en Orient et en Afrique, mais l’Europe s’obstine à écouter des experts de l’écologie qui nous poussent à voyager moins en avion, tout en sachant que les petits efforts que nous ferions dans ce domaine seront absolument imperceptibles par rapport à l’augmentation gigantesque des voyages qui résulteront du développement du transport aérien dans des pays extrêmement peuplés. C’est pourtant la même atmosphère qui est concernée. Il faut cesser de présenter ce combat comme “mondial”, même si l’on réunit annuellement une grand-messe pour l’annoncer. Le problème, c’est qu’en persuadant, avec d’ailleurs de très grandes difficultés, les populations européennes – et elles seules – de voyager moins, on porterait atteinte à l’économie et au niveau de vie des Européens, tandis que le reste du monde continuerait à progresser.
C’est le même problème, d’ailleurs, d’une manière générale, pour la question de l’abandon des énergies fossiles (et donc du charbon et du pétrole) que nous professons tandis que
la Chine ouvre une centrale électrique à charbon toutes les semaines. Le combat pour réduire le CO2 a peut-être sa légitimité mais il est inutile si, avec beaucoup de candeur, nos pays sont les seuls à le mener, en sachant que chaque effort accompli chez nous est anéanti au centuple par des Etats qui, chaque jour davantage, deviennent des concurrents pour notre économie.