Retour d'Amérique : découvrez mes dernières impressions à un mois des élections US?

De retour de Boston, je partage quelques constatations et intuitions sur la perspective des élections présidentielles américaines, très différentes des comptes rendus journalistiques de ceux qui n’y ont jamais mis les pieds, sauf comme touristes.

Il y a un mutisme complet sur ces élections, qui s’apparente au « no eye contact » new-yorkais. Même mes amis américains depuis 40 ans ne veulent pas en parler. La société est devenue tellement clivée que toute expression politique s’apparente à un acte de désocialisation. Ce clivage est d’ailleurs tel que les mariages entre républicains et démocrates frôlent désormais le néant.

Mais il y a tant d’autres choses : la honte que les réalités de leur pays soient révélées à travers l’introspection sociétale, qui met en lumière des écarts sociaux et raciaux désormais abyssaux, agrémentés de phénomènes de violence et de drogue, certes connus, mais qui s’amplifient. Il y a un embarras indescriptible concernant l’engagement américain aux côtés d’Israël, qui conduit, même si certains s’efforcent de renvoyer dos à dos les parties, à un massacre ethnique et disproportionné au Liban et en Cisjordanie, à tel point que les nouvelles des ouragans sont les bienvenues pour détourner l’attention médiatique.

Il y a aussi le déshonneur de constater que leur système politique a mené à la confrontation de deux personnalités singulières, ce qui pousse de nombreux Américains à se demander comment ils en sont arrivés là. La logorrhée de Trump, évoquant le grand déclin des États-Unis, crée un embarras gigantesque, car elle s’oppose aux certitudes profondes de l’Amérique et à la répétition du mantra « I’m doing great » même lorsque tout va mal. Trump ramène les États-Unis aux traumatismes de l’échec vietnamien et à la crise des années 1970.

Et puis, il y a quelque chose de plus intime. Qu’on le veuille ou non, Trump incarne le modèle économique américain qui favorise la réussite personnelle et la domination impérialiste. Mais il a glissé vers des théories eugénistes, allant jusqu’à suggérer que les migrants, comme Kamala Harris, possédaient de « mauvais gènes », en plus de les dépeindre comme des voleurs, violeurs et mangeurs d’animaux domestiques. Et cela est effrayant, car tous les Américains sont issus de migrants (ou leurs descendants), et cette vision génétique, proche des thèses nazies, contredit le positivisme économique et culturel des États-Unis. C’est même pire, car cela conduit naturellement à penser qu’un migrant devenu citoyen voit ses gènes « purifiés ». Même les présidents les plus austères et isolationnistes, comme Woodrow Wilson, qui voyait les États-Unis comme la terre promise par Dieu à ceux qui la méritaient, n’ont jamais franchi ce pas.

Cela ramène aux affres de l’esclavage et de la ségrégation, dont les stigmates et les réalités sociales sont toujours présentes

C’est donc, pour eux, et pour nous, très perturbant car les Etats-Unis sont un pays extraordinaire.

L’Amérique ne se déteste pas lorsqu’elle est vaincue : elle cache ses hontes. Je l’ai compris il y a bien longtemps, lorsque j’ai fait mon MBA dans le Midwest. Tout y semblait enchanteur, avec la candeur de « I've gone to look for America » de Simon & Garfunkel.

Mais un jour, derrière des mythiques bus scolaires jaunes, j’ai aperçu un camp d’anciens du Vietnam, en tenue kaki, tatoués, barbus, perdus et salis, rejetés par toute la société. Car, aux États-Unis, il est impensable de perdre, dans cette trame calviniste de la prédestination qui exige le meilleur de chacun. Si l’échec individuel est toléré, l’échec collectif est le plus grand stigmate. À l’époque, à New York, on voyait d’anciens soldats, devenus clochards, dans les plus grandes détresses, quémander quelques pièces pour leurs addictions. Mais rien n’y faisait : ils avaient perdu la guerre.

L’Amérique ne veut pas qu’on l’observe trop en profondeur, et c’est d’ailleurs le cas de tous les pays. Mais le parcours de Trump a braqué les projecteurs sur les dérives de cette société : les problèmes de port d’armes, de morts par addiction, de pauvreté, de clivages sociaux et raciaux sont désormais examinés, scrutés, disséqués. Et cela est devenu, pour de nombreux citoyens américains, intolérable, car il s’agit bien d’échecs sociétaux. Ce traumatisme – je le répète – est amplifié par les égarements d’un président vieillissant qui continue à armer un pays où des dizaines de milliers d’enfants perdent la vie.

Aujourd’hui, si une moitié de l’Amérique espère un miracle trumpien, cet espoir représente ce qu’elle n’est plus, tandis que l’autre moitié est blême.

Pire : elle est livide.

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