TVA : La Cour de justice trace des limites des opérations gratuites

Deux arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne font le point sur la question du régime TVA applicable aux fournitures de biens ou services à titre gratuit.

En pratique, ce type d’opérations suscite souvent des discussions avec les administrations fiscales dans les différents Etats membres de l’Union, la Belgique ne faisant pas défaut. Cependant, comme souvent en matière de TVA, la jurisprudence européenne permet de définir des lignes de conduites qu’il est dès lors important de souligner.


Biens et services fournis à titre gratuit et prélèvements

Selon la directive TVA (articles 16 et 26), lorsqu’à titre gratuit, un assujetti livre un bien ou fournit un service acquis en ayant déduit la TVA à l’entrée (totalement ou partiellement), l’opération est en principe qualifiée de ‘prélèvement’.

Un tel prélèvement est assimilé à une livraison de biens ou à une prestation de services effectuée à titre onéreux, de sorte que la TVA est due par cet assujetti, ce qui revient dès lors, en pratique, à neutraliser la déduction opérée en amont en faisant de la TVA une charge pour cet assujetti. Et ce, quelque que soit le statut du destinataire (assujetti ou non).

Un tel prélèvement suppose donc, d’une part, une transmission à titre gratuit et, d’autre part, que le bien sur lequel il porte ou les éléments qui composent celui-ci aient ouvert un droit à une déduction complète ou partielle de la TVA au bénéfice de cet assujetti. Il en va de même lorsque le prélèvement du bien est destiné aux besoins privés de l’assujetti, aux besoins de son personnel, qu’il est affecté à des fins étrangères à son entreprise. L’exemple typique est le cas de la société qui achète un bien et le met à disposition d’un travailleur, à des fins privées. La logique est alors de considérer cette opération comme l’ultime opération du cycle économique vers le consommateur final et dès lors, d’exiger le paiement de la TVA.

Par conséquent, si aucune TVA n’a été déduite, cette règle n’a aucune raison d’être car la charge ‘finale’ aura déjà été supportée.

Le Code belge de la TVA transpose cette règle en ses articles 12 et 19 qui prévoient également quelques exceptions (cadeaux commerciaux et échantillons de faible valeur, remises à des fins caritatives, etc.).


Biens et services fournis à titre gratuit et contrepartie réelle

Il ne faut toutefois pas déduire des règles ci-dessus que toute opération réalisée à titre gratuit devrait automatiquement être considérée comme un prélèvement et engendrer, dans les faits, une telle charge de TVA.

En réalité, le concept de prélèvement ‘complète’ les règles relatives à la déduction de la TVA et la jurisprudence européenne souligne assez clairement cette proximité, de sorte que le rapprochement entre ces deux régimes mérite d’être rappelé.

Il est en effet de jurisprudence constante que le prix d’une fourniture de biens ou de services n’est pas pertinent au regard de la qualité d’assujetti et de l’exercice d’une activité économique. Une activité peut être déficitaire et pour autant, ne pas priver l’assujetti de son droit à déduction.

Par ailleurs, la logique même du régime des prélèvements est d’éviter que ne soit faussée la concurrence fiscale en permettant que soit exonérée de TVA la consommation finale. Celui qui prélève est considéré comme le consommateur final et doit, à ce titre, supporter la TVA.

Dès lors, la Cour de justice l’a encore précisé dans un arrêt du 4 octobre 2024, lorsqu’un bien est gratuitement mis à disposition d’un autre assujetti mais que cette mise à disposition est nécessaire pour permettre d’effectuer des opérations taxées ou d’exercer l’activité économique, l’on ne peut d’emblée refuser une déduction de la taxe ou opérer un prélèvement. Dans ces cas en effet, le cycle économique n’est pas rompu mais englobe l’intervention du destinataire, quand bien même il n’y aurait pas de prix convenu. La circonstance que l’opération serait en apparence à titre gratuit n’aurait donc pas de conséquence.

C’est ainsi que selon la Cour de justice de l’Union européenne, la fourniture gratuite d’électricité à un sous-traitant, en vue de permettre à ce dernier de rendre des services à celui qui fournit l’électricité, services qui permettent à ce dernier d’exercer ses activités, n’implique pas un prélèvement (ni un refus de déduction de la TVA supportée en amont).


Prélèvements et déduction

C’est dès lors ici qu’apparaît clairement le lien entre cette question du prélèvement et la condition posée à la déduction de la TVA en matière de ‘lien direct’ qui doit exister entre les opérations à l’entrée et les opérations à la sortie d’un assujetti. En effet, en règle, un assujetti ne peut déduire la TVA supportée en amont que pour autant que les biens et services acquis soient utilisés pour effectuer des opérations taxées à la sortie (article 45 du Code TVA).

Cette condition implique, notamment, selon la jurisprudence européenne, qu’un lien direct existe entre les acquisitions et les opérations à la sortie.

C’est dès lors par application de ces principes que la jurisprudence nuance la question des prélèvements car dans ses arrêts, la Cour établit explicitement un lien avec cette question. Elle souligne régulièrement que les opérations à titre gratuit peuvent ‘échapper’ au prélèvement car, outre la contrepartie reçue par l’assujetti, le coût d’acquisition du bien fait partie des éléments constitutifs du prix des opérations qu’il effectue à la sortie, ou des biens ou des services qu’il fournit dans le cadre de son activité économique.

Bien que les deux régimes, de prélèvement et de déduction, ne soient pas à confondre, les principes qui sous-tendent ces règles sont donc identiques. C’est la raison pour laquelle le concept de prélèvement assimile certaines opérations, pour lesquelles aucune contrepartie réelle n’est perçue par l’assujetti, à des livraisons de biens effectuées à titre onéreux soumises à la TVA, à la condition que de la TVA ait été déduite car en définitive, elle aurait généralement pu être refusée en amont à défaut de lien direct.

Cette contrepartie peut consister à permettre à l’assujetti d’exercer son activité économique en général ou d’effectuer plus particulièrement des opérations taxées à la sortie et ne doit donc pas nécessairement consister dans le paiement d’un prix. Dans ces circonstances, pour autant que l’opération gratuite puisse être considérée comme nécessaire à cette fin (et qu’elle ne dépasse pas ce besoin), la TVA en amont pourra être déduite et aucun prélèvement ne devra être considéré.

Cela rappelle à quel point, face à une directive européenne relativement sommaire, les principes généraux sont d’importance lorsqu’il s’agit d’appréhender la multitude d’opérations pouvant trouver place dans un cycle économique.

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