Acheter un bien en société, le rénover et le vendre : qu'en est-il de la taxation des plus-values et de son potentiel étalement?

La taxation étalée est un mécanisme fiscal permettant aux entreprises de répartir le paiement de l’impôt sur une plus-value réalisée. Il est avantageux en termes de gestion de trésorerie et d’optimisation fiscale.

Lorsqu’une société réalise une plus-value sur un immeuble rénové en profondeur, il est ainsi légitime de se demander si cette plus-value peut bénéficier de cette taxation étalée. La réponse dépend de plusieurs facteurs : la nature de la plus-value (volontaire ou forcée), la durée écoulée depuis la fin des travaux de rénovation, et la proportion des travaux de transformation dans la valeur de marché du bâtiment. Nous vous proposons ici d'en décoder les arcanes.

Qu'est qu'une taxation étalée?

La taxation étalée permet à une entreprise qui réalise une plus-value lors de la vente d’un actif immobilisé (comme un immeuble, du matériel ou des équipements) de reporter l’imposition de cette plus-value sur plusieurs années. Plutôt que d’être imposée sur la totalité de la plus-value l’année de sa réalisation, l’entreprise peut étaler cette imposition sur la durée de vie des nouveaux investissements réalisés avec le produit de la vente.

Quelles sont les conditions pour bénéficier de la taxation étalée ?

Les plus-values peuvent être imposées de manière étalée si certaines conditions sont remplies (Art. 47, CIR 92):

  1. Nature de l’actif : L’actif vendu doit être une immobilisation corporelle ou incorporelle.
  2. Réinvestissement : Le produit de la vente doit être réinvesti dans des immobilisations corporelles ou incorporelles amortissables, affectées à l'exercice de l'activité professionnel dans un délai déterminé :
    1. Trois ans pour la plupart des immobilisations.
    2. Cinq ans pour des investissements spécifiques tels que des immeubles bâtis, des bateaux ou des aéronefs.
  3. Formalités : Un relevé spécial (formulaire 276K) doit être joint à la déclaration fiscale de l’année où la plus-value est réalisée.
  4. Période d’amortissement : L’impôt sur la plus-value est étalé sur la période d’amortissement des nouveaux investissements.

Bon à savoir

Il n’est pas exigé que le remploi (actif de remplacement) soit effectué en éléments neufs de l’actif, mais les actions ou parts, les valeurs de portefeuille et les actifs circulants sont exclus à ce titre.

Les actifs de remplacement mixtes (qui ne sont que partiellement affectés à la profession) ne sont pris en considération comme remploi qu’à concurrence de la valeur fiscalement amortissable de la quotité professionnelle.

Lorsque le montant à investir est dépassé, le contribuable peut désigner les investissements qu’il souhaite utiliser pour atteindre exactement le montant à remployer. Le montant de l’investissement qu’il désigne en dernier lieu est réduit pour atteindre le montant exact du remploi à effectuer. L’excédent peut, le cas échéant et aux conditions ordinaires, servir d’actif de remplacement pour une autre plus-value à imposer de manière étalée.

Lorsqu’un (ou plusieurs) actif(s) de remplacement est (sont) aliéné(s) ou mis hors d’usage durant une période imposable, la plus-value devient imposable proportionnellement à la valeur non encore amortie de cet (ces) actif(s), c’est-à-dire en proportion de la valeur résiduelle fiscale. Dans ce cas, on agit donc comme si la valeur résiduelle de ces éléments de l’actif avait été totalement amortie durant cette période imposable.

Ce n’est que «lorsqu’un montant égal à l’indemnité ou à la valeur de réalisation (qui) est remployé» que le réemploi s’opère.

Lorsque la plus-value réalisée concerne une voiture, une voiture mixte ou un minibus et n’est imposée qu’à concurrence d’une quote-part, il suffit que le contribuable apporte la preuve qu’il a remployé un montant au moins égal à cette quote-part du prix de réalisation ou de l’indemnité.

Pour les plus-values réalisées en 2024, vous devez vous assurer que l’intégralité du produit de la vente est réinvestie avant le 31 décembre 2026. Dans le cas contraire, votre société sera redevable d’un impôt unique de 25 % (20% si vous bénéficier des taux réduits), majoré d’un intérêt calculé à partir du 1er janvier 2025. Cependant, il est possible de repousser cette échéance au 31 décembre 2028 en réinvestissant d’ici là dans un bâtiment.

Votre réinvestissement peut vous permettre permettre de bénéficier d’une déduction pour investissement. Penez-y!

Exemple concret

Supposons qu’une entreprise vend un immeuble pour 1 000 000 € et réalise une plus-value de 300 000 €. Plutôt que de payer l’impôt sur ces 300 000 € immédiatement, l’entreprise décide de réinvestir cette somme dans un nouvel immeuble dont la durée d’amortissement est de 20 ans.

Deux scénarios

  1. Scénario sans taxation étalée :
    1. L’entreprise paie l’impôt sur les 300 000 € de plus-value l’année de la vente, ce qui peut entraîner une charge fiscale importante et une sortie de trésorerie immédiate.
  2. Scénario avec taxation étalée :
    1. L’entreprise répartit l’imposition de la plus-value sur les 20 années d’amortissement du nouvel immeuble.
    2. Chaque année, une fraction de la plus-value est imposée en fonction de l’amortissement du nouvel actif, allégeant ainsi la charge fiscale annuelle.

De multiples avantages​​

  1. Amélioration de la trésorerie : Réduire l’impact immédiat de la taxation sur la trésorerie de l’entreprise.
  2. Planification fiscale : Permettre une meilleure gestion fiscale et la possibilité de lisser les bénéfices imposables sur plusieurs années.
  3. Incitation à l’investissement : Encourager les entreprises à réinvestir les gains dans de nouveaux actifs productifs.

Qu’est-ce qu’une plus-value volontaire et une plus-value forcée ?

Une plus-value est réalisée lorsque le prix ou l’indemnité de sortie d’un bâtiment de la société excède sa valeur comptable (valeur d’acquisition moins les amortissements).

  • Volontaire: La plus-value est volontaire si le bâtiment est vendu, apporté ou échangé (Art. 47, §1er, CIR 92).
  • Forcée: La plus-value est forcée si le bâtiment est sorti de la société à cause d’un sinistre, d’une expropriation ou d’un autre événement similaire (Art. 47, §1er, CIR 92).

Quelles sont les différences entre la taxation étalée des plus-values volontaires et forcées ?

  • Pour les plus-values volontaires, le délai de réemploi de trois ans commence le premier jour de l’exercice au cours duquel la plus-value a été réalisée (Art. 47, §3, 2°, CIR 92).
  • Pour les plus-values forcées, le délai se termine trois ans après la fin de l’exercice de perception de l’indemnité (Art. 47, §3, 1°, CIR 92).
  • La condition d’avoir détenu l’immobilisation depuis plus de cinq ans ne s’applique qu’aux plus-values volontaires (Art. 47, §1er, al. 2, 2°, CIR 92).

Comment comptabiliser les travaux de rénovation ?

Réponse: Les travaux de rénovation sont comptabilisés distinctement des dépenses d’entretien ou de réparation (Art. 2, §1er, 9°, CIR 92). Ils sont amortis séparément du bâtiment lui-même, avec des périodes d’amortissement spécifiques selon le type de travaux.

Peut-on bénéficier de la taxation étalée pour les plus-values sur les travaux de rénovation ?

Si les travaux de rénovation ont été réalisés au cours des cinq années précédant la vente, la partie de la plus-value relative à ces travaux ne peut pas bénéficier de la taxation étalée. Cette position est confirmée par la jurisprudence (Cass., 15.03.2024 ; Bruxelles, 19.05.2022).

Comment déterminer la part de la plus-value éligible à la taxation étalée ?

La part de la plus-value éligible peut être déterminée :

  • Par une estimation objective de la valeur de marché des différents éléments (ruling n° 2014.144, 08.04.2014).
  • En l’absence d’estimation objective, par une ventilation au prorata de la valeur comptable des éléments (ruling n° 2015.329, 08.12.2015 ; n° 2023.0868, 12.12.2023).


Exemple concret

Situation initiale

La société ABC a acheté un immeuble pour 500 000 € il y a 10 ans. Au cours des deux dernières années, elle a effectué des travaux de rénovation pour un montant total de 200 000 €. La valeur comptable du bâtiment avant vente, après amortissement, est de 300 000 €, et celle des travaux de rénovation est de 150 000 €.

Vente de l’immeuble

La société décide de vendre l’immeuble pour 800 000 €. La plus-value totale réalisée est donc de 800 000 € - (300 000 € + 150 000 €) = 350 000 €.

Répartition de la plus-value

  • Valeur du bâtiment d’origine: 300 000 €
  • Valeur des travaux de rénovation: 150 000 €
  • Proportion des travaux de rénovation: 150 000 € / (300 000 € + 150 000 €) = 1/3

Taxation étalée

Selon les principes établis :

  • La partie de la plus-value liée aux travaux de rénovation (1/3 de 350 000 €) = 116 667 € ne peut pas bénéficier de la taxation étalée car les travaux ont été réalisés dans les cinq dernières années.
  • La partie de la plus-value liée au bâtiment d’origine (2/3 de 350 000 €) = 233 333 € peut bénéficier de la taxation étalée, sous réserve que le produit de la vente correspondant soit réinvesti dans un délai de trois ans.


Conseils et Recommandations

Quels conseils et recommandations retenir de cet article?

  1. Durée de détention : Pour les plus-values volontaires, assurez-vous que le bien vendu a été comptabilisé en tant qu’actif immobilisé pendant au moins cinq ans pour bénéficier de la taxation étalée.
  2. Estimation de la valeur de marché : Pour les travaux de rénovation récents, une estimation objective de leur valeur de marché au moment de la vente est recommandée.
  3. Réinvestissement : Réinvestissez le produit de la vente dans de nouvelles immobilisations corporelles ou incorporelles dans les délais prescrits pour bénéficier de la taxation étalée.
  4. Documentation : Conservez une documentation détaillée et objective pour prouver la valeur de la plus-value et le montant à réinvestir.

En suivant ces conseils, votre société pourra mieux gérer les aspects fiscaux liés aux plus-values sur des biens rénovés, tout en restant conforme à la législation en vigueur.

Nous sommes à vos côtés pour vous accompagner dans cette démarche. Vous trouverez une documentation complète sur la fiscalité de l'impôt des personnes physiques dans notre Manuel IPP 2024, Tax & Management éditions.

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