Dans un arrêt retentissant du 6 septembre 2022, la Cour d'appel d'Anvers a entériné l'application de la mesure générale anti-abus (article 344,§1er du CIR) à un montage classique de cession d'entreprises (#LBO). Cet arrêt présente un intérêt pratique considérable pour les entrepreneurs désireux de céder les parts de leur entreprise, mais aussi pour les praticiens (avocats, comptables, conseillers financiers, banquiers,...) actifs dans le domaine des M&A.
En l'espèce, la holding de reprise avait financé le prix d'acquisition de la société-cible (une société active dans le secteur des télécoms) par un crédit bancaire d'un montant avoisinant 14,3 mio €. Une partie de ce crédit avait été remboursée par la holding grâce à des liquidités qui lui avaient été prêtées par une société (sous-filiale) du groupe. S'en suivirent des fusions post-acquisition des sociétés du groupe cible et des remontées de réserves en direction de la holding de prise, à la faveur de distributions de dividendes, de l'attribution de tantièmes, etc.
La Cour d'appel entérina le requalification d'une partie du prix de cession (6.3 mio €) - correspondant aux réserves accumulées au niveau des filiales de la société-cible - en dividende taxable à l'IPP dans le chef du cédant.
Cet arrêt est riche d'enseignements pratiques.
1) Il montre tout d'abord que, contrairement à certaines idées reçues, l'application de la mesure anti-abus n'est pas réservée aux seules cessions d'actions par une personne physique à une holding propre (les fameuses structures dites de "plus-values internes").
2) Ce qui heurte en l'espèce le fisc et le juge fiscal, c'est que le cédant réalise une plus-value sur actions (en grande partie calculée sur la base des réserves accumulées au niveau de la société cédée et de ses filiales - le "meegekocht dividend" dans le jargon des fiscalistes) exonérée à l'IPP, plutôt que de se faire distribuer un dividende passible du précompte mobilier avant la cession. Il ressort assez clairement de l'arrêt que la notion de "liquidités excédentaires" est centrale pour apprécier la présence ou non d'un abus fiscal dans ce genre de situations.
3) Suivant la Cour d'appel, le fait que le cédant n'ait pas formellement été partie prenante à tous les actes composant l'opération est sans importance: il suffit qu'il ait été impliqué ("betrokken") dans l'ensemble des actes et qu'il ait délibérément choisi de s'embarquer dans la construction ("om in de betrokken constructie in te stappen"). La Cour d'appel d'Anvers prône ici une interprétation large de la notion de "contribuable", renvoyant à un arrêt antérieur de la Cour d'appel de Gand du 1er décembre 2020.
4) Il est enfin piquant de faire observer que la Cour renvoie à des passages entiers d'un mémo rédigé par les conseillers fiscaux du cédant, pour étayer la présence de l'élément intentionnel de l'abus...