Au-delà de la pension, la juste valeur des ainés…

Quand je pense à la pension, je ne peux m’empêcher de me remémorer la tirade de Bernard Blier dans le film de Michel Audiard, sorti en 1968, « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages » : C’est pas inhumain d’entendre ça. Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec 500 briques, hein ! Surtout de nos jours. Le SMIC est en plein chanstique, la TVA nous suce le sang et la Bourse se fait la malle. J’ai calculé, j’en aurais à peine pour 5 piges et j’aurai 50 berges. Tu ne voudrais tout de même pas que je retourne au charbon à cet âge-là, non ? Tu ne serais pas vache avec les vieux, des fois ?

Plus sérieusement, quand j’avais 23 ans, un homme de 43 ans me paraissait vieux. Quand j’en ai eu 43, un homme de 63 ans me paraissait vraiment très âgé, et maintenant que j’en ai 63, je me sens plutôt en forme. Mais la vérité est qu’il est difficile, pour de très nombreux travailleurs, de retrouver un emploi à partir de l’âge de 55 ans. C’est pour cette raison qu’au-delà d’être le signal de l’accomplissement d’un travail fourni à la collectivité, l’âge fatidique de la pension synthétise, pour beaucoup, la somme de toutes les angoisses : il faut trouver un emploi jusqu’à l’âge de la pension et avoir suffisamment confiance en la stabilité du système lorsqu’on est pensionné, car la plupart des Belges sont alors en situation de dépendance financière. On ne refait pas sa vie dans la soixantaine, et la situation financière est conditionnée par les opportunités, les dispositions, les choix, heureux ou malchanceux, qu’on a pu faire. Et, évidemment, les problèmes de santé s’aggravent avec l’âge.

Dans ce cadre, on a repoussé l’âge de la pension de 65 à 66 et 67 ans, et plus encore, avec une terrible violence sociale, pour les femmes dont on sait qu’elles ont souvent des carrières plus hachurées. Repousser l’âge de la pension rend théoriquement l’État deux fois gagnant : on cotise plus longtemps et, le métronome biologique faisant son œuvre, l’État paie des pensions pendant moins longtemps. Ces décisions politiques se lisent dans le contexte de l’augmentation de l’espérance de vie constatée, avec bonheur, depuis 1945.

Mais alors, il faut envisager des mesures pour le maintien ou la réintégration des aînés dans le monde du travail, avec des mesures sociales et fiscales d’allègement des charges. Cela coûtera un peu à l’État, mais moins qu’un travailleur qui ne trouve pas d’emploi.

On me rétorquera que des forces très puissantes, liées aux développements technologiques, disqualifient les travailleurs âgés. C’est vrai que lorsque j’ai commencé ma carrière, les téléphones cellulaires n’existaient pas et que les PC faisaient leurs débuts à une époque où il fallait ouvrir mécaniquement les fenêtres des voitures qui n’avaient pas d’air conditionné. Mais ma génération et la suivante a épousé le progrès, qui lui permet d’ailleurs d’amplifier ses connaissances et aptitudes au prix, c’est vrai, d’un effort personnel constant.

C’est la raison pour laquelle je crois que les systèmes de mentorat entre travailleurs jeunes et aînés, comme ils existent en Allemagne, ont des vertus et permettraient certainement de passer, de manière très fluide, du statut de travailleur au statut de pensionné dans le cadre d’un apport sociétal qui reste précieux. Mais d’autres pays ont mis en œuvre des mesures incitatives. La Suède encourage des horaires de travail flexibles pour les travailleurs âgés, permettant des transitions progressives vers la pension grâce à des horaires réduits ou à temps partiel. Ce pays investit dans la formation continue et l’éducation des adultes. Les Pays-Bas ont introduit des régimes de pension flexibles qui permettent aux travailleurs de choisir quand et comment ils veulent prendre leur pension, y compris la possibilité de travailler à temps partiel. Au Japon, les entreprises reçoivent des subventions pour former et embaucher des travailleurs âgés, et pour adapter les environnements de travail à leurs besoins. L’Australie a développé des stratégies d’emploi pour les seniors qui comprennent des programmes de formation et de mentorat pour aider les travailleurs âgés à rester compétitifs sur le marché du travail.

Il y a donc de bonnes idées à trouver ailleurs dans le sens de renforcement du lien humain et de l’État social.

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