Oui, une librairie multilingue dédiée aux jeunes lecteurs et lectrices hispanophones, lusophones, italophones, francophones, néerlandophones, germanophones et anglophones depuis la naissance jusqu’à l’adolescence, cela existe et c’est à Bruxelles ! Rocío Hernández Viciana a ouvert Bimbi Books dans les locaux du W83 chaussée de Wavre à Ixelles il y a quelques semaines à peine et la clientèle est déjà au rendez-vous.
« How can I help you ? Do you want to check a book in which language ? Feel free to flip through the books. » C’est en anglais et avec un grand sourire que Rocío Hernández Viciana, Espagnole bruxelloise d’adoption, accueille sa première cliente de la journée. Mais cela aurait aussi pu être en italien, en français ou dans l’une des quatre autres langues disponibles chez Bimbi Books.
La jeune femme et son mari ont quitté leur Andalousie natale il y a plus de dix ans déjà pour profiter du caractère cosmopolite de la capitale de l’Europe. Malgré un emploi intéressant et varié au sein d’une startup active dans le secteur des technologies médicales, elle ne tarde pas à éprouver de nouvelles aspirations : « Je me disais que j’avais envie d’autre chose, d’un projet bien à moi dans un domaine que je puisse maîtriser, comprendre », détaille-t-elle. Pragmatique, elle commence à mettre de l’argent de côté dans cette perspective. « C’est mieux en effet de ne pas commencer avec des dettes, observe-t-elle. Mon objectif était, autant que possible, de ne pas m’endetter avant d’avoir l’assurance que mon projet soit viable. Ainsi, un échec éventuel ne constituerait pas un problème. »
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Encore fallait-il trouver « LA » bonne idée novatrice et enthousiasmante, le secteur à la fois porteur économiquement et assimilable par la future entrepreneuse. Rocío, fille d’écrivain (« J’ai grandi parmi les livres », confie-t-elle) et devenue maman, découvre rapidement une lacune dans l’offre bruxelloise en matière de littérature jeunesse : il n’existe pas de librairie spécialisée multilingue dans une des villes les plus multiculturelles du monde ! Il suffisait d’y penser…
Après avoir étudié la démographie bruxelloise, déterminé quelles sont les langues les plus pratiquées et dont elle possède une compréhension suffisante, visité de multiples librairies et salons du livre en Belgique et à l’étranger, Rocío décide de se lancer.
Concrètement et au grand dam de beaucoup de ses proches, cela commence par sa démission qu’elle signifie début 2022 à l’entreprise qui l’emploie. « Je n’étais pas hyper pressée de me lancer dans mon nouveau projet, mais je ne voulais pas non plus traîner, perdre mon temps », commente-t-elle. S’ouvre alors pour elle une période de découverte des multiples possibilités d’aide disponibles à Bruxelles pour les personnes intéressées par l’entrepreneuriat. « Dans ce cadre, le 1819 est vraiment très utile et efficace. Les membres de son équipe sont disponibles pour aider celles et ceux qui les consultent dans les différentes étapes de la création d’entreprise, pour trouver les formations, les contenus adéquats. C’est un outil important », tient-elle à indiquer. Parmi toutes les opportunités qui s’offrent à elle, une session de la couveuse d’idées de hub.brussels débutant à la toute fin de son préavis lui parle particulièrement. « J’ai pu aménager mon emploi du temps pour pouvoir y participer et c’est heureux car cela m’a ouvert beaucoup de pistes, m’a confrontée à de nombreuses questions pratiques et m’a poussée à m’interroger sur la qualité de mon projet : ma librairie multilingue était-elle une bonne idée ou pas ? » Parallèlement, la jeune femme enchaîne les formations dont une, chez Actiris sur la gestion des réseaux sociaux en entreprise qui lui sera particulièrement précieuse.
Dans la foulée, Rocío a aussi pu bénéficier du soutien d’une coach, Cécile Veyrie de l’équipe Retail de hub.brussels qui, entre autres via des conseils avisés, l’a aidée à développer son business plan et son plan financier, l’a dirigée vers Yasemine Tilquin, conseillère au Credal, une coopérative de finance éthique, et le moment venu l’a poussée à rechercher un local. Rocío, forte de l’expérience acquise lors de son précédent emploi au sein d’une startup partie de rien où la rigueur budgétaire était de mise, désire une formule peu coûteuse pour tester son idée sur le terrain. Le W83 répond à toutes ses attentes. Il s’agit d’un local test de la commune d’Ixelles situé 83 chaussée de Wavre et géré par ‘Entreprendre XXL’, une ASBL communale dépendant du service Commerce et Développement économique de la commune d’Ixelles sous les auspices de l’échevine Audrey Lhoest. Sa candidature est acceptée pour une occupation de six mois et Bimbi (*) Books a pu ouvrir ses portes fin février 2023.
Depuis, la librairie se fait tout doucement une place dans ce quartier très animé. Les personnes intéressées sont de plus en plus nombreuses à pousser la porte de la petite boutique aménagée en librairie accueillante pour tous les âges. « Mais la clientèle de passage n’est pas suffisante, insiste Rocío. Le plus dur est de nous faire connaître ! » Pour cela, il y a Internet bien sûr, mais pas question pour la jeune femme d’y investir des budgets importants pour un résultat hasardeux. « En plus, je veux attirer la clientèle non pas sur mon site mais en magasin, pour qu’elle puisse voir et feuilleter les livres proposés. Cela me paraît important. Je poste donc moi-même régulièrement sur les réseaux et sollicite des partages. Nous organisons aussi des événements dans la librairie pour attirer les familles, susciter l’achat et pourquoi pas déclencher le réflexe de nous rendre visite au moment de faire un cadeau. » Et Rocío tient à relativiser : « Deux mois, ce n’est rien dans la vie d’une entreprise. C’est beaucoup trop tôt pour convertir des expériences ponctuelles en généralités statistiques, pour tirer des conclusions. »
Pour autant, la jeune femme ne cherche pas à minimiser les difficultés d’une telle reconversion : « On doute tout le temps car il n’y a pas de certitude. Par ailleurs, on a certes l’avantage de travailler pour soi, mais l’inconvénient d’avoir des horaires plus compliqués que dans une entreprise traditionnelle. Bimbi Books a bousculé ma vie familiale. Je travaille le samedi, ce qui oblige mon mari et mon fils à s’occuper sans moi, complique les choses si on veut partir en weekend, etc. Mais c’est le quotidien de tous les commerçant.e.s. Et cela vaut pour toutes les mompreneuses et tous les dadpreneurs qui choisissent de s’orienter vers le commerce car si c’était mon mari qui s’était lancé, nous serions confrontés au même problème. C’est en tout cas une bonne raison supplémentaire pour tester son concept, pour prendre concrètement conscience des difficultés… Si de tels sacrifices rebutent, peut-être vaut-il mieux ne pas se lancer. »
Au fil de l’évolution de son projet, Rocío a en effet eu l’occasion de côtoyer d’autres aspirant.e.s entrepreneur.se.s et d’observer les difficultés auxquelles qu’il leur arrive de rencontrer. Elle tient donc à mettre en garde celles et ceux que cela tente : « Certains concepts sont trop ouverts, détaille-t-elle. Il ne faut pas perdre de vue que la finalité d’une entreprise est de gagner de l’argent. Je pense aussi que beaucoup de petits projets finissent mal car ils étaient a priori trop ambitieux. C’est difficile de se modérer au début. Pourtant, c'est indispensable si on ne veut pas se retrouver face à de grosses sommes à compenser. Enfin, certaines personnes se jettent à l’eau sans aucune sécurité. Si leur projet ne fonctionne pas, cela engendre de gros problèmes… »
Rien de tel pour Bimbi Books installé jusqu’à la fin août chaussée de Wavre à Ixelles avant, peut-être, de trouver un nouveau toit, pourquoi pas près d’une école multilingue ou d’un magasin de jouet « Mais en tout cas dans un local peu onéreux et ne nécessitant pas de travaux », insiste Rocío qui conclut : « Je suis optimiste ! Sinon, je ne serais pas ici… »
(*) « Enfants » en italien, une langue qu’affectionne Rocío
Bimbi Books chez W83, 83 chaussée de Wavre à 1050 Bruxelles - https://bimbibooks.be/
Source : Entreprendre à Bruxelles