Budget 2024 : à boire et à manger

D’aucuns pourraient penser que les « économistes en chambre », confortablement installés au balcon, prennent plaisir à critiquer l’action des gouvernements, forcément toujours sujette aux contraintes que la realpolitik imposent. Qu’on se détrompe, il y a plus de joie à féliciter qu’à blâmer.


Première évaluation

Voici quelques jours que le budget fédéral 2024 a été présenté au Parlement et à la presse. Qu’en penser ?

Le jugement global est celui d’une certaine frustration, se disant qu’il aurait dû être possible de faire plus et mieux, et avec un discours plus transparent, mais que simultanément les orientations sous-jacentes sont les bonnes et qu’une comparaison en termes de sérieux avec les budgets des entités fédérées, du Nord, du Centre et du Sud, est franchement flatteuse pour le niveau fédéral.

Commençons par cette taxe sur les grandes banques. Vu les profits engrangés grâce à la remontée des taux de la BCE alors que la rémunération des livrets d’épargne reste médiocre, personne ne va pleurer des larmes de crocodile sur un effort de EUR 150 millions. Au bas mot, quand l’écart de rémunération BCE/livret augmente de 1,5 point de pourcentage – et en réalité, c’est davantage – et que cela porte sur EUR 300 milliards, cela fait un surcroît de revenus de EUR 4,5 milliards. En regard, EUR 150 millions, ce sont des miettes ! Simultanément, la mesure pose deux problèmes de fond. Premièrement, pourquoi ne viser que les banques ? Qu’est-ce qui justifie un traitement spécifique ? Big Pharma est-elle plus sympathique et vertueuse ? Ou le secteur de l’alimentation, qui affiche des augmentations de prix assez vertigineuses ? Deuxièmement, pourquoi ne viser que les grandes banques ? On sait que de petites banques d’épargne affectionnant le remploi en crédit hypothécaire à taux fixe et ne s’étant pas bien couvertes contre le risque de remontée des taux sont « gênées aux entournures » et on sait qu’elles peuvent compter sur des relais politiques et régulatoires, mais ceci ne fait pas une justification intellectuellement satisfaisante !

Restons dans le secteur bancaire, avec le dividende de EUR 220 millions de Belfius. Là, il faut être sévère, car c’est de l’enfumage. Certes, il faut compenser la perte des dividendes de la Banque Nationale, mais quand une entreprise publique à 100% distribue un dividende à son actionnaire, c’est une opération blanche, « vestzak, broekzak » dit-on joliment en néerlandais. Faire rentrer ce genre d’opération comme une mesure budgétaire n’est en rien une nouveauté, mais cela reste à déplorer.

De même, il reste à déplorer la persistance de ce surréalisme budgétaire belge qui veut qu’à côté des mesures en recettes et des mesures en dépenses, il y ait une catégorie « autre ». Bien sûr, les règles comptables s’appliquant aux pouvoirs publics sont idiotes, et invitent à multiplier les artifices budgétaires, mais on ne peut se satisfaire de leur répondre avec de tels stratagèmes.

La TVA à 6% sur certaines opérations de démolition-construction est aussi intéressante à commenter. D’abord, il est connu que les diminutions d’impôt indirect sont largement captées par les intermédiaires, un phénomène bien étudié, et loin d’être propre à la Belgique. C’est donc une mesure au mauvais rapport entre coût budgétaire et impact économique et environnemental. Bien sûr, le secteur de la construction la demandait avec insistance, mais cela n’en fait pas une bonne idée pour l’intérêt général. Ensuite, on observe combien la pression pour que les mesures temporaires soient pérennisées est grande. On entend des voix s’élever contre la non-prolongation de la version généralisée de cette mesure qui avait été décidée dans un contexte de pandémie et annoncée comme temporaire. C’est dommage qu’il soit si difficile « de reprendre l’os de la bouche du chien », car alors cela rend l’adoption de mesures ponctuelles, contracycliques, plus problématiques. Enfin, les conditions attachées à cette mesure font le bonheur de la bureaucratie. On en exclut le secteur de la promotion, ouf, et on limite cela à certains biens, notamment en termes de superficie maximale, avec des conditions dont le détail est digne de Courteline. Comment compter les espaces communs, les petites pièces, celles basses de plafond ? Il va valoir mesurer et contrôler ! Où est la simplification administrative ?

Sur la fiscalité environnementale, qui doit être alourdie, même si le traumatisme des écotaxes reste vivace chez Ecolo, on ne peut pas dire qu’il n’y a rien dans le budget, mais on reste très largement sur sa faim, alors qu’il y a « le feu au lac ». Et ce constat vaut aussi pour le marché du travail. Abaisser le coût du travail et augmenter le revenu net pour les bas salaires, on ne peut qu’être pour, mais la voie choisie n’est pas celle que l’on souhaiterait, à savoir un changement généralisé, « across the board », linéaire, simple, lisible, facile à mettre en œuvre. Pourquoi des différences de fiscalité selon les secteurs ? N’est-ce pas contraire au b.a.ba de l’équité horizontale (« à même capacité contributive, même impôt ») ? Or, telle est la discrimination avec les flexi-job. Comment justifier qu’un enseignant ayant atteint l’âge de la retraite paie moins d’impôt qu’une personne du même âge active dans un autre secteur ? Oui pour que l’écart de pouvoir d’achat entre travail et non-travail soit plus grand, oui pour que les cotisations sociales soient davantage allégées sur les bas salaires, mais non à la différenciation entre secteur, et donc non aux flexi-jobs.


Cette chronique a également été publiée dans l'Echo

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