Un de mes clients me pose la question suivante : il est propriétaire d’un immeuble générant un revenu locatif (location à une société) important et souhaite en céder à sa société l’usage, ce qui lui permettra de dégager des liquidités à court délai (en vue d’autres investissements) et de réduire sa charge fiscale à l’IPP (taxation au taux progressif du revenu locatif net). Deux options s’offrent à lui : une cession du droit d’usufruit ou d’un droit d’emphytéose. Que choisir ?
Sans entrer dans le détail de cette analyse qui présente un volet civil, comptable et fiscal et nécessite de longs développements, nous pouvons dégager les points de comparaison suivants en abordant 4 angles.
En droit civil, tant l’usufruit que l’emphytéose sont des droits réels limités dans le temps. L’usufruit ne prévoit pas de durée minimale (même si 20 ans est selon nous a période la plus réaliste pour un usufruit en société) ; en revanche, une emphytéose doit être constituée pour 27 ans au moins et 99 ans au plus. L’usufruitier doit respecter la destination de l’immeuble et ne peut qu’effectuer des réparations (modiques) tandis que l’emphytéote peut modifier la chose et réaliser divers travaux d’ampleur. A l’expiration du contrat, l’emphytéote dispose de la faculté d’enlever et démolir les constructions et plantations qu’il a réalisées librement, mais en réparant éventuellement le dommage que cet enlèvement causerait au fonds. En ce qui concerne les droits de propriété juridiques relatifs aux constructions érigées par l’emphytéote ou déjà présentes, il est renvoyé aux articles 7, 8 et 17 de la loi sur l’emphytéose.
Sur le plan des droits d’enregistrement, la cession d’un droit d’usufruit donne lieu au droit de vente général : 10 % en Flandre (art. 2.9.4.1.1. VCF), 12,5 % à Bruxelles (art. 44 C. enr.) et 12,5 ou 15 % en Wallonie (art. 44-44bis C. enr.) sur la valeur de l’usufruit ; le droit d’emphytéose donne lieu à seulement 2 % de droits d’enregistrement calculés sur le montant total des redevances et charges d’emphytéose pour toute la durée du contrat (art. 83, al. 1, 3° C. enr.).
A l’IPP, la plus-value éventuelle résultant de la vente d’un droit d’usufruit sur un immeuble est exonérée d’impôt à condition que l’immeuble soit détenu par le cédant depuis plus de 5 ans (si moins de 5 ans, taxation au taux de 16,5% sur la plus-value, art. 90, 10° et 171, 4°, e CIR). En revanche, la cession d’un droit d’emphytéose est imposable à l’IPP pour son intégralité, ce qui est de nature très souvent à faire de cette cession une opération moins avantageuse sur le plan fiscal que la cession du droit d’usufruit, en dépit du différentiel des droits d’enregistrement. Le prix de l’emphytéose est un revenu immobilier de l’année où elle est payée ou attribuée, même si elle porte sur la durée totale du droit d’emphytéose (art. 10, §1 CIR). L’imposition se fait aux taux ordinaires progressifs de l’impôt des personnes physiques.
On peut toutefois échapper à cette taxation moyennant le respect des dispositions de l’article 10 §2 du CIR qui fixe les conditions suivantes :
Lorsque ces conditions sont réunies, seule la quotité de la redevance qui excède la reconstitution du capital investi subira une taxation au titre de revenus mobiliers au taux de 30%
Si une plus grande latitude est offerte en droit civil à l’emphytéote qu’ à l’usufruitier quant à la réalisation de travaux et améliorations (qui dès lors sont déductibles contrairement aux travaux réalisés par la société usufruitière), il faut néanmoins relativiser aujourd’hui l’avantage sur le plan fiscal, l’administration et les tribunaux considérant qu’un droit d’emphytéose, sans qu’aucune indemnisation n’intervienne en faveur de la société à concurrence des travaux qui avaient été effectués pour elle sur le bien, peut néanmoins donner lieu à la taxation d’un avantage de toute nature dans le chef du dirigeant de la société.
A l’impôt des sociétés, tant la société qui a un droit d’usufruit que celle qui a un droit d’emphytéose, peuvent amortir le prix d’acquisition sur la durée du droit réel. Il en va de même pour la partie de ce prix qui a trait au terrain (avis CNC 2015/5, n° 14 et 105). Si l’emphytéose n’est consentie que moyennant l’attribution de redevances annuelles, il n’y aura d’activation (et donc pas d’amortissement) du droit d’emphytéose. Les redevances sont alors considérées comme des charges professionnelles, en tant que loyers (avis CNC 2015/5, n° 15 et 105).
Tout est évidemment fonction des éléments de fait de chaque dossier mais, à condition de respecter scrupuleusement les stipulations des conditions de l’article 10§2 du CIR permettant d’éviter la taxation globale des sommes obtenues à l'occasion de la cession d'un droit d'emphytéose, c’est ce dernier droit qui offre souvent le plus d’attraits fiscaux et a notre préférence. A condition d’accepter une durée de 27 ans.
Par ailleurs, sauf lors de de l’extinction du droit, les dossiers emphytéose en société sont aujourd’hui moins dans le collimateur du fisc que les dossiers usufruit (comme en témoigne la mise en oeuvre d'une instruction interne visant à contrer les montages usufruit) , ce qui est un point non négligeable.