Compétitivité, de quoi peux-tu être le nom ?

Le monde de l’entreprise affronte des vents contraires. Cette réalité est plus marquée en Belgique, du fait de trois facteurs : l’activité économique est en moyenne plus énergivore chez nous que dans les pays voisins, à commencer par le poids du secteur pétrochimique, les pouvoirs publics sont moins intervenus pour comprimer leur facture énergétique, notamment en comparaison de la France, et l’inflation y a davantage fait augmenter les salaires du fait de l’indexation intégrale des salaires. Il en résulte des inquiétudes quant à la compétitivité de l’économie. Celles-ci sont légitimes, mais, néanmoins, ce n’est pas pour autant que toute mesure en faveur des entreprises serait bonne à prendre.

Sous la bannière de la sauvegarde de la compétitivité, nous avons déjà fait une grosse bêtise en 1996, à savoir la fameuse « norme salariale », une monstruosité intellectuelle et économique que la loi de mars 2017 a, de facto, consolidée. Pourvu que, sous une même bannière, nous n’en commettions pas une nouvelle dans les semaines qui viennent sous la pression d’organisations patronales annonçant un « tsunami » de charges additionnelles et de faillites. Incidemment, est-il décent, pour parler d’un problème économique, d’utiliser le mot « tsunami », lui qui est annonciateur de lourdes pertes de vies humaines ? Pour la mise sur un même plan de l’humain et de l’argent, l’expression « handicap salarial » mérite d’ailleurs tout autant d’être critiquée (merci à LH). A se demander si les partenaires sociaux méritent réellement leur qualificatif !

La compétitivité est une notion dangereuse, du fait de son opposition foncière à la coopération. Prenons le cas des intérêts notionnels. Voilà une mesure qui, si elle se justifie intellectuellement à l’échelle d’une zone économique intégrée, a généré bien moins d’effets positifs pour l’économie belge qu’elle n’a fait perdre de ressources budgétaires aux pays d’origine des grandes entreprises qui en tiraient le plus grand parti. Donc, ce dispositif fiscal relevait de la flibuste … tout en servant la cause de la compétitivité de l’économie belge. La recherche de compétitivité peut, et pas rarement, conduire à des jeux non même pas à somme nulle mais à somme négative. C’est la fameuse course au moins-disant (« race to the bottom »), que ce soit sur le plan fiscal ou sur le plan réglementaire. Ainsi, la dérogation pour les semis de betteraves sucrières enrobés de néonicotinoïdes – qui, heureusement, n’a pas été une fois de plus prolongée, il y a aussi parfois de bonnes décisions – servait la compétitivité … en desservant la planète et notre santé.

Il en va de la compétitivité comme du cholestérol ! La bonne compétitivité, c’est celle qui tire vers le haut. Avoir un système éducatif efficace et égalitaire, avoir une justice qui ne connaît pas les délais de la nôtre, avoir un marché du travail qui fonctionne mieux, voilà qui est la bonne manière de chercher à être compétitif. Bien entendu, cela prend du temps et demande des réformes.

Que serait la mauvaise compétitivité en 2023 ? C’est simple : ce serait prendre des mesures non neutres sur le plan budgétaire conduisant à aider des entreprises peu efficaces et/ou peu exposées à la concurrence internationale. Reprenons à l’envers chacune de ces trois dimensions.

Premièrement, la préoccupation de la compétitivité ne peut concerner que des activités économiques susceptibles d’être déplacées vers l’étranger. Elle ne peut donc pas être mobilisée pour justifier des mesures à court terme dont bénéficieraient, par exemple, l’Horeca et le commerce de détail. Donner un chèque à tout le monde parce que certains le méritent est déraisonnable.

Deuxièmement, si une entreprise est peu compétitive, c’est le plus souvent parce qu’elle est peu efficace, n’offrant pas un bon rapport qualité/prix. Il ne faudrait surtout pas que des mesures publiques soient prises pour venir en aide à des entreprises inefficaces. Si une autre entreprise, nationale ou non, fait un meilleur usage de ressources rares, il faut se réjouir que ce soit elle qui se développe. Bien sûr, il en va autrement si la supériorité de cette autre entreprise est simplement le reflet d’une distorsion fiscale, sociale ou environnementale.

Troisièmement, le souci de la compétitivité ne peut justifier un creusement additionnel du déficit budgétaire. Et pas question de venir avec l’argument d’effet retour que certains pseudos libéraux affectionnent. Non, on ne peut pas prétendre qu’aider les entreprises est gratuit car cela boosterait l’activité et donc la base imposable. Vu le niveau de déficit actuel, une éventuelle mesure « pro-entreprises » doit être au strict minimum budgétairement neutre, et cela sans prise en compte d’aucune sorte d’effet-retour. S’il y a ensuite un retour positif, il sera alors toujours temps de diminuer les impôts. Ne recommettons pas les graves erreurs budgétaires du gouvernement Michel.

Soyons vigilants face à ceux, court-termistes intéressés, pour qui tout fait farine au moulin.


Cette chronique est parue également dans L'Echo

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