Alors que les principales mesures d’ordre fiscal, récemment adoptées par l’autorité fédérale et les régions, visent à postposer l’exigibilité des dettes fiscales, peu de directives ont été communiquées en termes de politique fiscale.
De manière traditionnelle, en matière d’impôts directs, les cas de force majeure concourent à la prolongation des délais procéduraux, notamment pour le dépôt des déclarations ou l’introduction des recours contentieux. Pour le surplus, l’incidence de la force majeure sur l’existence et l’étendue de la dette fiscale demeure incertaine.
Pour autant, en matière de fiscalité locale et régionale, les choses se sont quelque peu éclaircies ces dernières années. Pour certaines taxes dont le fait générateur a trait, par exemple, à des situations telles que la propriété d’un immeuble insalubre ou abandonné, ou encore, de terrains non bâtis ou de sites d’activité économique désaffectés, la Cour de cassation a pu considérer que la force majeure était une cause d’exonération, quand bien même elle ne serait pas explicitement prévue par le règlement-taxe en cause. En cas d’inoccupation ou d’improductivité d’un immeuble, la force majeure est aussi régulièrement utilisée pour justifier une appréciation plus souple des conditions d’immunisation du précompte immobilier.
"La présente situation confronte le droit fiscal à ses propres défaillances et à sa faible adaptabilité aux imprévus ainsi que, plus généralement, aux évolutions technologiques."
La Cour constitutionnelle, pour sa part, a consacré l’existence d’un principe général selon lequel la rigueur de la loi est tempérée en cas de force majeure, le redevable qui se trouverait dans une telle situation pouvant ainsi prétendre à une dispense totale ou partielle du prélèvement.
La jurisprudence semble donc ouvrir la voie à l’utilisation de cette notion, au départ de droit civil, en tant que source d’atténuation totale ou partielle de certaines dettes fiscales, et ce en dépit du caractère d’ordre public du droit fiscal.
La mise en œuvre de l’argument dit de la force majeure pourrait concerner certes d’autres taxes locales, telles que celles portant sur les surfaces commerciales, sur les lieux de spectacles et divertissements, sur les secondes résidences ou encore sur les terrasses de débits de boissons. Mais ses effets sont de nature à s’étendre à bien d’autres secteurs de la fiscalité.
En matière d’impôts sur les revenus notamment, la force majeure pourrait être mobilisée pour "justifier et pardonner" le fait que des conditions sous-tendant le droit d’obtenir un avantage fiscal ne sont pas remplies, que des versements anticipés insuffisants sont effectués ou que des déductions antérieures ne puissent pas être pratiquées.
En outre, dans le cadre de situations transfrontalières (par exemple, un résident belge travaille en France), des règles, prévues par des traités bilatéraux, permettent de prévenir une double imposition à la fois par le pays de résidence et celui du travail. En l’occurrence, la Belgique devra exonérer le travailleur en question, à condition néanmoins qu’il exerce bel et bien physiquement son activité sur le territoire de l’autre État (en l’espèce, la France). Or, les mesures de confinement et de fermeture des frontières adoptées en réaction à la propagation du virus empêchent le contribuable de pouvoir satisfaire à l’exigence d’être physiquement présent dans le pays d’activité. Dès lors qu’il s’agit d’une situation de force majeure, il nous semble que le bénéfice de l’exonération prévue par la convention préventive de la double imposition ne devrait pas lui être refusé. L’administration fiscale belge a déjà exprimé son intention de faire preuve de souplesse à cet égard, du moins dans certains cas. Des précédents existent d’ailleurs, dont on peut assurément s’inspirer.
On le voit, l’impact potentiel de la notion de force majeure est important. Le risque est évidemment grand d’ouvrir trop amplement la boîte de Pandore.
Il n’en demeure pas moins que la présente situation confronte le droit fiscal à ses propres défaillances et à sa faible adaptabilité aux imprévus ainsi que, plus généralement, aux évolutions technologiques. En guise d’illustration, la situation du télétravail est loin d’être clarifiée en l’état actuel de la législation.
En outre, si la situation de confinement strict a pu susciter un consensus quant à la qualification de force majeure, qu’en sera-t-il de la période actuelle de "sortie de crise", qui se matérialise par étapes? Ce déconfinement progressif engendrera des situations très diverses d’une personne à l’autre. Les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité propres à la notion de force majeure risquent d’être davantage différenciés selon les cas et moins perceptibles, moins évidents. La gestion de la période transitoire suscitera, l’on s’en doute, bien des controverses à l’avenir.