Décodage : un job plutôt qu’une allocation. Assurer un droit à l’emploi et limitons les allocations de chômage dans le temps

Le titre est celui du programme des Engagés. L'analyse de la proposition, plus radicale, portée par le MR, a été faite en avril dernier dans le journal L'ECHO.


En 2023, il y a eu en moyenne 141.238 chômeurs complets indemnisés demandeurs d'emploi, soit 49,6% du total de cette catégorie de chômeurs si on se base sur les données de l'ONEM (NB : le texte des Engagés donne un pourcentage un peu inférieur et indique bizarrement StatBel comme source, mais ce n'est pas le plus important).

Très concrètement, la proposition des Engagés est la suivante : "Au terme d’une période de chômage de 2 ans consécutifs, tout chercheur d’emploi se verra automatiquement proposer un contrat de travail dans le secteur public ou associatif, en tenant compte de son profil et de son parcours de formation. Le demandeur d’emploi aura également la possibilité de demander de convertir pendant un an son allocation de chômage en une aide de lancement s’il propose un projet entrepreneurial qui aura été jugé viable par une banque. Cet emploi sera rémunéré à l’instar du modèle français « territoires zéro chômeur » (TZCLD). Les modalités de l’octroi de ce nouveau contrat et de son échelle salariale seront déterminées par le gouvernement qui se concertera avec les acteurs et secteurs concernés. En cas de refus de la part du demandeur d’emploi, celui-ci perdrait ses allocations de chômage."

Qu'est-ce que la proposition peut bien coûter ? Les modalités concrètes n'étant pas encore définies, voici, pour alimenter le débat, mes estimations en tenant compte des hypothèses suivantes :

NB : La mesure n'a pas été proposée pour être chiffrée par le Bureau fédéral du Plan.

  • mise en place instantanée pour le "stock" de chômeurs existant ; dans la réalité une opération d'une telle ampleur se ferait dans la durée avec des coûts en hausse progressive ;
  • les emplois proposés sont à temps plein ;
  • le salaire utilisé est l'actuel RMMMG, soit 2.070,48 €/mois ;
  • 90% des chômeurs concernés acceptent le job, les autres refusent ou prennent l'aide au lancement ;
  • les calculs sont faits avec les paramètres de mai 2024 (sauf pour les données concernant les chômeurs qui sont celles de 2023) pour le régime employés ;
  • on suppose que les "chefs de ménage" ont 2 personnes à charge.


Avec ces hypothèses, la remise à l'emploi (salarié) de 90% des chômeurs de 2 ans et plus coûterait, au total en net (effets retours intégrés) un peu moins de 850 millions par an.

Mais :

  • il s'agit d'une estimation basse

    • parce qu'il faut tenir compte des revenus d'intégration pour une partie de ceux qui refusent le job proposé
    • parce que les minima salariaux dans les secteurs publics et associatifs sont significativement plus élevés (or ce sont ces minima qui sont en principes utilisés dans les TZCLD)
    • parce que les salaires seront plus importants pour certains chômeurs (la proposition dit bien : "en fonction du profil et du parcours de formation")
    • parce qu'il faut tenir compte de l'interaction avec d'autres mesures annoncées comme, en particulier, la baisse de la fiscalité sur les bas salaires
    • parce qu'il serait, me semble-t-il, équitable de faire bénéficier de cette "garantie emploi" aussi les demandeurs d'emploi qui sont aidés par les CPAS (comptabilisés dans la catégorie "inscrits obligatoires") ;
  • par contre, il semble que le nombre de chômeurs indemnisés de 2 ans et plus est actuellement orienté à la baisse de plus ou moins 10% à un an d'écart (mesure faite sur les 4 premiers mois de 2023 et 2024) ;

  • au total, on peut estimer que le coût budgétaire net devrait néanmoins se monter à au moins 850 millions par an ; mais il pourrait être moindre si on fait payer une contribution aux futurs employeurs ;
  • attention : il faudra aussi mettre à l'emploi les nouveaux chômeurs de 2 ans ou plus, ce qui augmente structurellement les coûts, année après année ;

  • en moyenne, l'écart allocation - salaire mensuel net proposé (450 € pour les engagés, 500 € pour le MR) n'est pas respecté avec le salaire minimum pour les "chefs de ménage" (il manque environ 110-180 € pour y arriver).

Mais une autre question, peut-être plus lourde d'implications, se pose : où et comment "trouver" plus ou moins 115.000 emplois - uniquement pour le "stock" de chômeurs existants - dans les secteurs publics ou associatifs ? Surtout si on veut - je suppose que c'est le cas - éviter de "remplacer" des postes de travail existants, sinon le coût net pour le budget sera plus important (on substituerait - au moins en partie - des jobs hautement subsidiés à des jobs moins ou pas subsidiés). Pourquoi propose-t-on de "gonfler" l'emploi dans le secteur public alors que les 2 présidents estiment que le secteur public est déjà trop important ?

Il existe certes des besoins (par exemple dans l'accueil d'enfants et élèves). Mais les personnes concernées ont-elles les compétences ? Les employeurs concernés ont-ils les moyens de payer une contribution même modeste si c'était la condition pour activer ces jobs ? La réponse me semble plutôt négative au vu de l'état financier de beaucoup de communes et d'associations. En tout cas, toute substitution d'emplois diminuerait les effets de retour nets et il faut tenir compte du coût d'opportunité si une contribution était demandée à l'employeur. Et si un employeur a la capacité d'engager ex-chômeurs de longue durée, il faut encore prévoir encadrement et équipements.

Avec cette proposition on a placé la barre très haut, probablement trop haut ; de toute évidence il faudra du temps pour déployer cette démarche. Et se pose alors une autre question : tant qu'on n'est pas en capacité de proposer un job à tous ceux qui auraient accepté d'entrer dans ce dispositif, comment "traite-t-on" les chômeurs de longue durée qui se retrouvent de facto sur une "liste d'attente". Par exemple, la dégressivité s'appliquerait-t-elle ?


D'autres questions se posent encore :

  • la mise en œuvre, voire le coût de ce dispositif, sont-ils confiés aux régions (le président du MR souhaite une responsabilisation des régions en matière de (re)mise à l'emploi) ? ; si oui, la Wallonie en a-t-elle les moyens ?
  • que devient le dispositif ALE ?
  • et si ces jobs "existent", ne ferait-on pas mieux de les proposer, du moins en partie, à d'autres demandeurs d'emploi, par exemple à des jeunes sans revenus ou à des chômeurs plus récents ?
  • etc.

A votre disposition.

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