Double imposition des dividendes de source française : mauvaise nouvelle pour les contribuables belges

La presse s’est récemment fait l’écho de ce que la Belgique et la France avaient paraphé en décembre 2019 le texte d’une nouvelle convention bilatérale préventive de la double imposition qui vient hélas réduire les droits auxquels les contribuables belges qui perçoivent des dividendes de source française peuvent prétendre.
Si le texte de cette convention n’est pas encore disponible et si celui-ci doit encore être signé et suivre, dans chacun des deux Etats, son long parcours parlementaire avant de pouvoir entrer en vigueur, une certitude existe toutefois : il n’y aura plus de possibilité pour les résidents fiscaux belges d’imputer une quelconque quotité forfaitaire d’impôt étranger sur les dividendes qu’ils perçoivent de sociétés françaises.


Explication

La convention préventive de double imposition conclue entre la France et la Belgique actuellement en vigueur date de 1964 et prévoit que les dividendes sont imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Un dividende versé par une société française à un contribuable belge est donc imposable Belgique. La convention autorise toutefois l’Etat de la source, en l’espèce la France, à retenir un impôt qui ne peut excéder 15 %.


Cette situation aboutit donc de facto à une double imposition, l’impôt français, certes limité à 15 %, venant s’ajouter à l’impôt belge.

Afin d’atténuer la double imposition qui résulte de cette disposition, l’article 19, A, 1 de la convention prévoit que « […] l’impôt dû en Belgique sur leur montant net de retenue française sera diminué, d’une part, de précompte mobilier perçu au taux normal et, d’autre part, de la quotité forfaitaire d’impôt étranger déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».


Cette disposition prévoit donc l’imputation par la Belgique d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger « dans les conditions fixées par la loi belge ». Or, précisément, le législateur belge a abrogé ce crédit d’impôt qui n’existe donc plus pour les dividendes d’origine étrangère depuis 1988.


Depuis lors, l’administration fiscale a toujours refusé d’imputer cette quotité aux résidents fiscaux belges qui invoquaient cette disposition conventionnelle, aux motifs que ce crédit ne peut être accordé que « dans les conditions fixées par la législation belge » et que celle-ci est muette à cet égard.


L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 juin 2017


Par son arrêt du 16 juin 2017, la Cour de cassation a rejeté cette position administrative en rappelant la primauté du droit international, et des conventions conclues par la Belgique, sur la législation nationale.


Dans l’affaire qui lui était soumise, les contribuables avaient recueilli des dividendes de source française. Ceux-ci avaient fait l’objet d’une retenue à la source de 15 % en France avant que le montant net frontière (soit 85 %) ne soit imposé en Belgique à 25 % (ce taux est passé à 30 % depuis le 1er janvier 2017). L’impôt ainsi supporté s’élevait donc à 36,25 % du montant distribué, soit plus que le taux du précompte mobilier applicable aux dividendes d’origine belge.


La Cour de cassation a donc rappelé la primauté du droit international, et des conventions conclues par la Belgique, sur la législation nationale. Selon la Cour de cassation, il ressort du texte même de la convention que les deux Etats ont voulu imputer, sans égard à la législation belge, un crédit d’impôt qui devrait s’élever au minimum à 15 % du montant net frontière du dividende versé. La Cour se fonde ainsi sur les derniers mots de l’article 19.A.1. : « sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».

Selon elle, la Belgique ne peut donc se retrancher derrière sa législation interne (ou plutôt l’absence de législation interne) pour refuser d’appliquer cette disposition conventionnelle.


A suivre le raisonnement de la Cour, dans le cas d’espèce, les contribuables avaient donc droit en Belgique à l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger égale à 15 % du montant net frontière perçu (85), soit 12,75.


La réaction administrative et les arrêts rendus par les cours d’appel


L’administration fiscale avait fait savoir qu’elle ne se plierait pas aux conclusions de la Cour de cassation et qu’elle attendrait, pour revoir éventuellement sa position, l’arrêt qui serait rendu par la cour d’appel d’Anvers, saisie sur renvoi de la Cour de cassation. En effet, lorsqu’elle accueille un pourvoi, comme en l’espèce, la Cour renvoie l’affaire vers une autre cour d’appel, en l’occurrence celle d’Anvers, afin de rendre un nouvel arrêt « sur le fond ».


Avant que la cour d’appel d’Anvers ne se soit prononcée, les cours d’appel de Bruxelles et de Mons ont rendu des arrêts, malheureusement divergents, dans deux affaires portant sur l’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger en matière de dividendes.


Dans un arrêt du 20 septembre 2018, la cour d’appel de Bruxelles a statué dans le même sens que la Cour de cassation et a ordonné l’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger telle que prévue à l’article 19.A.1 de la convention préventive de double imposition conclue entre la Belgique et la France. L’administration fiscale belge, qui n’entend décidément pas se soumettre, a introduit un pourvoi en cassation à la suite de cet arrêt.


Quant à la cour d’appel de Mons, s’écartant de manière particulièrement étonnante des conclusions de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, elle a décidé dans un arrêt rendu le 28 juin 2019 qu’aucune quotité forfaitaire d’impôt étranger ne pouvait être imputée dès lors que celle-ci n’est pas prévue par la législation fiscale belge.


Enfin, le 17 décembre 2019, sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel d’Anvers a rendu un arrêt conforme à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, confirmant donc la primauté du droit international sur le droit belge et confirmant l’application d’une QFIE sur les dividendes de source français perçus par des résidents fiscaux belges.


Impact de la modification de la convention préventive de la double imposition


Nous tenons de bonne source que, sans grande surprise, la nouvelle convention préventive de la double imposition qui sera conclue entre la Belgique et la France ne prévoit plus de quotité minimale conventionnelle mais uniquement un renvoi au droit interne belge. Très vraisemblablement, la disposition ayant entraîné tout le débat judiciaire actuel devra donc se lire de la manière suivante : « […] l’impôt dû en Belgique sur leur montant net de retenue française sera diminué, d’une part, de précompte mobilier perçu au taux normal et, d’autre part, de la quotité forfaitaire d’impôt étranger déductible dans les conditions fixées par la législation belge.

La loi belge étant muette, il n’y aura plus d’imputation d’une quelconque quotité d’impôt étranger dans le chef d’un contribuable belge.


S’il s’agit assurément d’une mauvaise nouvelle, ses conséquences se feront encore un peu attendre. En effet, comme on l’a déjà indiqué, le texte de la convention doit encore être signé et suivre son parcours parlementaire, celui-ci pouvant être assez long. L’entrée en vigueur de la convention interviendra vraisemblablement en 2023 ou 2024.


D’ici là, il sera toujours loisible aux contribuables ayant subi une double imposition de demander l’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger de 15 % telle qu’elle est prévue par la convention bilatérale qui est actuellement en vigueur. Ils devront espérer que l’arrêt qui sera rendu par la Cour de cassation à la suite du pourvoi introduit par l’Etat belge contre l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 septembre 2018 confirmera celui rendu le 16 juin 2017 et que, de guerre lasse, l’administration fiscale consentira enfin à s’y soumettre.


Que faire pour les personnes ayant subi une double imposition ?


Il est recommandé aux contribuables qui se trouveraient lésés par la double imposition de dividendes de source française d’introduire une réclamation dans les six mois suivant l’envoi de leur avertissement-extrait de rôle en se fondant sur les arrêts rendus par la Cour de cassation et les cours d’appel de Bruxelles et d’Anvers.


Il leur est également loisible de demander le remboursement de l’impôt perçu en excédant durant les cinq dernières années au moyen d’une « demande de dégrèvement d’office ». Cette procédure permet aux contribuables de réclamer le remboursement de surtaxes résultant de double emploi et la jurisprudence a déjà accueilli des demandes relatives à des doubles impositions contraires à une convention internationale.


La procédure n’étant ouverte que contre les surtaxes établies au cours des cinq dernières années, les contribuables devront être attentifs à introduire cette demande sans trop tarder.


Paradoxalement, ils trouveront vraisemblablement dans le texte de la nouvelle convention, un argument supplémentaire à l’appui de leurs recours puisque si le texte de l’ancienne convention était aussi clair que le prétend l’administration fiscale dans le cadre du débat judiciaire, il n’était nul besoin de le modifier...


François Collon

Avocat

Hirsch & Vanhaelst

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