Entre mondialisation et populisme où quand le monde bascule dangereusement!

Nos temps ne sont pas ceux d’une crise, mais d’un bouleversement structurel. Les Trump, Meloni, Le Pen, Orban, incarnent la fin d’un monde.

L’élection du RN n’est pas une surprise. Le mal vient de plus loin: son émergence a de profondes racines qui correspondent à la diffusion, il y a un demi-siècle, d’un capitalisme de déclassement, très éloigné des États-providence que les pères de nos modèles sociaux avaient façonnés après 1945. Sans comprendre les ferments de la sourde colère des oubliés de la mondialisation, nos gouvernants et syndicats restent d’ailleurs indécis devant ces mouvements qui reflètent, d’abord, un désespoir social, un abandon sociétal et la perte d’un projet collectif solidaire.

Aujourd’hui, en France, l’accès aux centres urbains et aux gisements de travail devient la césure, ou plutôt la fracture sociale, d’autant plus visible que la vitesse de la sphère marchande s’accélère. L’économie digitale et les exigences logistiques font pénétrer nos communautés dans un contexte de flux commerciaux plutôt que de stock d’actifs. Si la vitesse de ce flux dépasse la capacité de mobilité et d’adaptation du travail, certains veulent réduire la vitesse des échanges.

Derrière le RN, il y a un profond effroi contre l’oubli des plus faibles par les élites depuis le basculement financier subi en 2008, contre l’insécurité économique, sociale et morale liée aux clivages sociaux et géographiques entre populations urbaines et rurales, et contre, enfin la peur entretenue de l’immigration et de ses conséquences démographiques résultant des bouleversements géopolitiques.

Cette peur plonge ses racines dans de nombreuses angoisses, dont celle du glissement du socle des valeurs, mais aussi celle du partage du travail, et donc du déclassement social face à ces populations nouvelles pourtant bien nécessaires pour contrer le vieillissement structurel de nos communautés. La détérioration des services publics joue aussi un rôle décisif, tout comme la rupture des structures familiales et la nécessité de renouer avec des solidarités.


Le populisme exprime la marginalisation, une désespérance et une misère sociale alimentant un sentiment de déresponsabilisation personnelle.

--Bruno Colmant, Membre de l’Académie Royale de Belgique


Une seconde de révolte, une éternité de déceptions

Le travail devient précaire et le pouvoir de négociation salariale des travailleurs est très limité dans une économie digitale et robotisée dans le secteur industriel et désormais dans l’économie des services.

Le populisme exprime la marginalisation, une désespérance et une misère sociale alimentant un sentiment de déresponsabilisation personnelle. Même la pédagogie sur les réalités économiques et les dépenses sociales de l’État deviennent inutiles. Ces informations sont, au mieux, des abstractions. Le populisme est aussi le reflet de la déliquescence d’un modèle social qui fonde et entretient pourtant la notion d’État-providence, qui amplifie ses effets redistributifs par l’éducation et les soins de santé.

Dans un essai, l’économiste français Daniel Cohen (1953-2022) rappelait que le capitalisme est le résultat d’un pacte faustien entre la science et la monnaie. Le populisme relève peut-être d’un autre pacte faustien: une seconde de révolte contre une éternité de déceptions.

Mais, devant ces bouleversements de l’histoire, où est l’État? Il s’est perdu et dominé par de gigantesques entreprises mondialisées. Le pouvoir politique a silencieusement perdu son attribut «politique» pour se transformer en technostructure imbriquée dans le marché et destinée à en faciliter la mutation et l’optimisation constantes.


Au motif d’être la négation du capitalisme, le populisme en sera l’aboutissement.

--Bruno Colmant, Membre de l’Académie Royale de Belgique


Les sables mouvants de l'ordre marchand

L’État est devenu la première victime de la mondialisation qu’il a pourtant, et à juste titre, favorisée en vue de notre prospérité malgré le fait que le budget public de nombreux États dépasse 50% du PIB! C’est là que se tient tout le paradoxe de ces élans du peuple: en menaçant les structures étatiques qui ont fait le lit d’un capitalisme mondialisé, le populisme s’attaque en réalité au premier acteur susceptible de le contrer.

Ce n’est donc pas le néolibéralisme qui est la cible, d’ailleurs inatteignable, des populistes, mais les États, dont les États-providence, qui ne les ont pas protégés contre les dérives d’une perte d’homogénéité sociale. Les piliers de nos démocraties, ainsi affaiblis, disparaîtraient dans les sables mouvants d’un ordre marchand entretenant l’individualisme et la peur collective.

Au motif d’être la négation du capitalisme, le populisme en sera l’aboutissement. Et où est la gauche européenne modérée, sociale-démocrate? Les traités européens, les contraintes de l’euro, et ses fragilités doctrinales l’ont tuée. Le philosophe Henri Bergson avait prophétisé que le socialisme échouerait à donner aux masses populaires, le supplément d’âme qu’elles attendaient de lui.


Nos temps ne sont pas ceux d’une crise, mais d’un bouleversement structurel. C’est une rupture et une prise de conscience.

--BRUNO COLMANT, MEMBRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE BELGIQUE


Cette charnière qui grince

Trump, Meloni, Le Pen, Orban, c’est la fin d’un monde. Un monde, certes, non conclu, mais une époque révolue. Le XXe siècle a duré trop longtemps. D’autres déséquilibres, d’une nature amplifiée, s’avancent vers nous: la finitude des ressources naturelles, la surpopulation assortie de pulsions belliqueuses et militaires, le déclassement associé à l’IA, des gigantesques écarts de patrimoine, la versatilité de l’innovation et des zones de croissance qui y seront fugacement associées.

De profonds chocs sociopolitiques se rapprochent au gré de notre difficulté à assurer la cohésion et la mixité sociales. La croissance économique est une échappée dans le futur. Son absence persistante devient une prison puisqu’elle nous éloigne d’une projection crédible dans un avenir économique meilleur. Nos temps ne sont pas ceux d’une crise, mais d’un bouleversement structurel. C’est une rupture et une prise de conscience. Cette charnière qui grince avec le siècle qui s’est refermé, c’est aussi, malheureusement, l’oubli de tous les drames et totalitarismes qui l’ont assassiné deux fois.

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