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Etre bien armé (et bien défendu), ce n'est pas qu’une affaire d’armes!

La hausse des dépenses militaires ne doit pas occulter les autres dimensions du renforcement urgent de la sécurité nationale.

Lire un roman de guerre n’est pas normalement source de réconfort, mais c’est pourtant ce que l’on ressent à la lecture des « Guerriers de l’hiver » de Michel Norek (Ed. Lafon), Prix Jean Giono 2024. La « guerre d’hiver », c’est l’invasion de la Finlande par la Russie en novembre 1939, et le réconfort vient, malgré la victoire finale de l’armée de Staline, que celle-ci fut une victoire à la Pyrrhus, avec de lourdes pertes affaiblissant l’armée rouge et en en exposant les carences. Vu les forces en présence et les moyens disponibles, la Russie n’aurait dû faire qu’une bouchée du pays des mille lacs, mais c’était ignorer la motivation que donne la défense d’une juste cause, côté finlandais, et l’inefficacité d’une armée où règnent flatteries et mensonges, côté russe. David peut contrecarrer les plans de Goliath. Si, à la guerre, les moyens comptent, tout ne se résume pas aux moyens.

Or, face au questionnement prioritaire d’aujourd’hui qu’est celui de la sécurité des pays européens, il y a un accaparement du débat politique et de l’attention médiatique par le seul sujet du budget de l’armée et du financement de son augmentation. S’il faut envisager une hausse des dépenses militaires, il faut aussi se livrer à un exercice d’analyse critique de notre manière actuelle de dépenser en la matière, fort du cas emblématique de la commande d’avions de chasse américains F-35 que la Maison-Blanche peut unilatéralement décider de clouer au sol, alors qu’il y avait une offre européenne. Victime d’un atlantisme mal placé ou d’une grille d’évaluation privilégiant la performance à la résilience, l’état-major belge a eu tort de recommander cet approvisionnement, le gouvernement Charles Michel de le valider et le gouvernement De Croo de ne pas le remettre en cause, quand il était encore temps, malgré les interrogations subséquentes sur les vertus de cet achat. Ah, si le projet de Communauté européenne de Défense du début des années 50 avait connu un autre sort … !

Plus important encore, ne soyons pas victime du simplisme – ou des intérêts mercantiles de certains – qui limitent la réflexion sur notre sécurité à la seule dimension militaire de celle-ci. Notre sécurité, c’est, tout autant que les armes, aussi d’autres enjeux. Notre choix de ne pas accélérer la décarbonation et de vouloir avoir une énergie pas trop chère nous rend tributaires de pays à tout le moins peu fiables. Et non seulement nous en sommes tributaires, mais nous finançons leur potentiel d’agressivité ! Nos tergiversations en matière de sanctions – souvenons-nous de nos lamentables retards sur le bannissement des diamants russes – sont aussi à pointer du doigt. Notre sécurité, c’est ne pas s’approvisionner dans des pays potentiellement hostiles, point, quitte à ce que cela coûte en compétitivité. Car dépenser pour des armes en vue de se défendre de pays que nous avons aidé à mieux s’armer, cela coûte aussi ! Et l’autonomie stratégique doit s’envisager de manière large, couvrant, au-delà du matériel militaire et de l’énergie, des domaines tels que les moyens de communication – pensons à Starlink –, la technologie ou les médicaments.

Ce n’est pas encore tout. Notre sécurité, c’est, au moins tout autant que des armes en plus, se prémunir contre la cybercriminalité et s’assurer d’un mur de Chine face aux immixtions dans nos débats politiques et à la manipulation de l’opinion à force d’infox. Nul besoin de chars ennemis dans nos rues si nous votons pour les amis de nos ennemis ! Et donc investir dans notre sécurité, c’est investir dans l’éducation citoyenne, dans l’enseignement de l’histoire et, au-delà, dans l’information, et, gros mot par les temps qui courent, dans la régulation de celle-ci, en particulier sur les réseaux dits sociaux. Car au laisser-dire du Vice-Président Vance, il faut répondre avec les mots d’Hervé Le Tellier dans cette autre leçon de courage de la résistance qu’est son « Nom sur le mur » (Gallimard) : « On ne débat pas de telles idées, on les combat. Parce que la démocratie est une conversation entre gens civilisés, la tolérance prend fin avec l’intolérable. »

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