Les avantages de toute nature (ATN) obtenus en raison ou à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle constituent des rémunérations imposables[1].
En principe, ces ATN sont imposables à concurrence de « la valeur réelle qu’ils ont dans le chef [de leur] bénéficiaire »[2].
Déterminer une telle « valeur réelle » peut être difficile, sujette à discussions et, partant, déboucher sur des litiges avec l’administration fiscale.
Essentiellement pour éviter de telles conséquences, l’article 36 du CIR92 autorise leur évaluation forfaitaire par arrêté royal. Lorsqu’une telle valorisation forfaitaire existe, elle prime la valeur réelle de l’ATN que cette dernière lui soit inférieure ou, comme c’est souvent le cas, supérieure.
Une telle valorisation forfaitaire est prévue pour la fourniture gratuite du chauffage (« ATN chauffage ») et de l'électricité utilisée à des fins autres que de chauffage (« ATN électricité »)[3].
Pour 2021 (exercice d’imposition 2022), l’ATN chauffage est fixé forfaitairement à 2.080 EUR pour les dirigeants d’entreprise et le personnel de direction et à 930 EUR pour tous les autres. L’ATN électricité est quant à lui évalué à 1.030 EUR pour les premiers et à 470 EUR pour les seconds.
Initialement pensé pour les concierges, l’ATN chauffage et/ou électricité a rapidement été adopté par de nombreux dirigeants d’entreprise.
Vu la pression fiscale sur la rémunération du travail, la récente généralisation du télétravail, l’augmentation galopante des prix de l’énergie,… attribuer un tel ATN à ses salariés (dans le cadre de leur « plan cafétéria » par exemple) pouvait s’avérer aussi judicieux qu’intéressant.
Au cours de l’été 2021, un fournisseur d’énergie créatif et réactif a ainsi mis sur le marché, avec le concours de plusieurs secrétariats sociaux, un produit devant permettre la popularisation de cet ATN auprès des salariés.
Schématiquement, l’idée était de permettre à l’employeur, comme cela se fait pour d’autres ATN, de prendre en charge une partie des factures d’énergie de leurs salariés moyennant l’imposition, dans leur chef, de l’ATN forfaitairead hoc.
Afin d’offrir la plus grande sécurité possible à son produit, il semble[4] que ce fournisseur d’énergie ait fait entériner son traitement fiscal par le Service des Décisions Anticipés (SDA). Une décision (anonymisée) du SDA du 15 décembre 2020 confirme d’ailleurs le traitement fiscal de ce type produit[5].
Bien qu’il soit uniquement question d’une simple et correcte application de la loi fiscale en vigueur, cela n’a pas plu à notre ministre des Finances.
Celui-ci a ainsi immédiatement réagi, contrarié par le fait que ce nouveau produit irait « dans le sens opposé » à l’un des objectifs poursuivis par la grande réforme fiscale en préparation, à savoir « opérer progressivement un glissement des formes de rémunération alternatives vers une rémunération en euros »[6]. Espérons qu’il se rappellera que cet objectif n’est pas unique et, en l’espèce, n’est censé être que la contrepartie d’une diminution de la pression fiscale sur le revenu du travail…
En attendant la réforme (et cette diminution), le ministre avait également directement précisé ce qui suit. « Avec mon administration, je vais examiner de quelle manière l’on peut mettre fin rapidement à cette technique de rémunération apparue récemment » [7].
C’est désormais chose faite.
Par arrêté royal du 19 décembre 2021[8] publié au Moniteur belge du 27 décembre 2021, le ministre des Finances vient de changer les règles de jeux. Ces nouvelles règles s’appliqueront dès le 1er janvier 2022.
Dans le rapport au Roi qui le précède, le ministre indique sans ambigüité que son arrêté vise à contrer le mécanisme susvisé de « flexibilisation salariale » qui, vu la valorisation forfaitaire de l’ATN chauffage et/ou électricité, peut s’avérer fiscalement avantageux.
Il propose à cette fin, « dans l'attente de la réforme fiscale, de dès à présent limiter la valorisation forfaitaire de l'avantage de toute nature pour la disposition gratuite d'électricité et du chauffage aux cas dans lesquels cette valorisation est habituellement utilisée pour le moment ».
Concrètement, dès ce 1er janvier 2022, l’ATN chauffage et/ou électricité ne sera plus déterminé forfaitairement que « lorsque celui qui accorde l'avantage met également à disposition le bien immobilier pour lequel l'avantage est accordé »[9].
Tous ceux qui bénéficient d’un ATN chauffage et/ou électricité sans pour autant jouir en outre de la mise à disposition de l’immeuble concerné, seront ainsi imposés sur la base de la valeur réelle qu’un tel ATN représente en leur chef.
Outre les évidentes questions de timing, de méthode et, notamment, d’égalité que cette nouvelle règle posent, celle-ci marque également un retour en arrière en la matière. Le ministre abandonne en effet une valorisation forfaitaire, efficace et pragmatique de l’ATN, au profit de sa valorisation à « sa valeur réelle », sujette à discussions…
[1] Art. 31, 2° et 32, 2° CIR92.
[2] Art. 36 CIR92.
[3] Art. 18, § 3, 4° AR/CIR92.
[4] Voy. ses déclarations telles que reprises dans la presse à ce sujet, not. : D. Dujardin, « Van Peteghem s’oppose à toute rémunération via la facture d’électricité », L’Echo, 31 août 2021, www.lecho.be (29.12.2021).
[5] SDA, décision n° 2020.1977 du 15.12.2020.
[6] D. Dujardin, « Van Peteghem s’oppose à toute rémunération via la facture d’électricité », L’Echo, 31 août 2021, www.lecho.be (29.12.2021).
[7] Ibidem.
[8] Arrêté royal du 19 décembre 2021 modifiant l'article 18, § 3, de l'AR/CIR 92 en matière d'évaluation forfaitaire des avantages de toute nature pour la disposition gratuite du chauffage et de l'électricité, M.B., 27 décembre 2021.
[9] Art. 1er, AR du 19 décembre 2021, op. cit.