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Exit en cas transfert de siège d’une société belge à l’étranger: vers une extension légale de la fiction de liquidation aux actionnaires

Contexte et portée de la réforme

Le projet de loi-programme actuellement à l’examen au Parlement prévoit, à compter du 1er juillet 2025, une réforme en profondeur du régime applicable aux transferts internationaux de sociétés belges.

Lorsqu’une société transfère son siège statutaire vers l’étranger, cette opération serait désormais assimilée, sur le plan fiscal, à une liquidation fictive, tant dans le chef de la société que dans celui de ses actionnaires.

L’objectif affiché est de préserver l’assiette fiscale belge en assurant l’imposition des bénéfices et plus-values latentes générés en Belgique avant l’émigration, dans une logique de cohérence interne et de souveraineté fiscale.


Régime actuel et controverses antérieures

L’article 210, § 1er, 4°, CIR 92 assimile à une distribution de bénéfices imposables à l’impôt des sociétés le transfert du siège ou de l’établissement principal d’une société belge à l’étranger.

Cette fiction vise à imposer, dans le chef de la société, les plus-values latentes sur les actifs qu’elle détient.

L’administration fiscale a soutenu que cette opération devait également produire des effets dans le chef des actionnaires, ceux-ci étant réputés percevoir un boni de liquidation imposable. Cette lecture a cependant été écartée par le Service des décisions anticipées et par la jurisprudence, en l’absence de toute distribution effective.

Le projet de loi vise à entériner cette position administrative, en étendant explicitement la fiction de liquidation aux actionnaires de la société transférée.

3. La réforme projetée : extension légale de la fiction

La réforme s’opère par une modification de l’article 18, CIR 92. Désormais, en cas de transfert de siège tel que visé à l’article 210, § 1er, CIR 92, les actionnaires sont réputés percevoir un dividende de liquidation au prorata de leur participation.

Sont visés :

La fiction s’applique uniformément par renvoi aux articles 183 et 221, alinéa 1er, 2°, CIR 92.


Régime fiscal applicable selon la qualité de l’actionnaire

Pour les personnes physiques résidentes, le dividende fictif est en principe imposable comme revenu mobilier au taux de 30 %, sauf exonération ou réduction.

Le projet prévoit ainsi que la partie du dividende correspondant à des réserves de liquidation régulièrement constituées peut être distribuée en exonération, comme en cas de liquidation réelle. Cette exonération est introduite à l’article 21, alinéa 1er, 15°, CIR 92, tel que modifié à l’article 24 du projet :

« Il convient de s’assurer que l’exonération accordée en cas de partage de l’avoir social à concurrence du dividende distribué provenant des réserves de liquidation soit également accordée dans les situations visées par l’exit tax. »

Pour les sociétés, le dividende fictif peut bénéficier, sous conditions, de la déduction RDT. L’article 25 du projet adapte à cette fin l’article 202 CIR 92.

Pour les actionnaires non-résidents, la taxation reste soumise aux conventions préventives de double imposition. Le projet précise que le dividende fictif doit être déclaré conformément à ces conventions, ce qui peut ouvrir la voie à une limitation du taux d’imposition belge.


Illustration chiffrée : la société Arthenis

Prenons l’exemple de la SRL Arthenis, société belge de conseil technologique détenue à parts égales par Mme Dupuis et M. Vermeulen, tous deux résidents belges. Elle décide de transférer son siège et l’ensemble de ses activités à Lisbonne, dans le cadre d’un partenariat stratégique.

Situation au moment du transfert :

  • Capital libéré : 150.000 €
  • Réserves taxées : 850.000 €
  • Bénéfice en cours : 70.000 €
  • Valeur fiscale des actifs : 1.100.000 €
  • Valeur réelle des actifs : 2.000.000 €
  • Passif : 200.000 €

La valeur nette réelle transférée est de 1.800.000 € – 200.000 € = 1.600.000 €.
La plus-value latente s’élève à 900.000 €. L’impôt des sociétés est dû sur le bénéfice en cours (70.000 €) et la plus-value (900.000 €), soit une base imposable de 970.000 €, taxée à 25 %, soit 242.500 €.

Le montant net réputé distribué aux actionnaires est donc de 1.357.500 €, soit 678.750 € par associé.

Supposons que 300.000 € des réserves soient constituées en réserves de liquidation : cette part sera exonérée. Le solde de 378.750 € sera imposable à 30 %, sauf application de régimes d’atténuation (RDT, conventions). L’impôt devrait donc s’élever dans leur chef à 113.625 €.

L’impôt total dû à l’occasion de cette opération s’élèvera donc à 242.500 € plus 113.625 €, soit 356.125 €.


Mécanisme d’évitement de la double imposition

Le projet prévoit un mécanisme d’évitement de la double imposition en cas de réalisation ultérieure des plus-values et de leur distribution.

L’article 21 CIR 92 est complété pour permettre l’exonération du dividende réputé distribué, à condition que le contribuable établisse que les dividendes ultérieurement perçus proviennent des actifs transférés. Ce mécanisme repose sur une traçabilité des flux patrimoniaux souvent impraticable dans des structures transfrontalières complexes.

Exemple : un résident belge, actionnaire unique d’une société belge opérationnelle, transfère le siège statutaire de sa société en France. En vertu du nouvel article 18, alinéa 1er, 2°quater CIR 92, il est réputé percevoir un dividende imposable. Deux ans plus tard, il transfère sa propre résidence fiscale en France. La Belgique aura imposé un dividende fictif non réalisé, tandis que la société, devenue française, pourra distribuer ses réserves sans crédit d’impôt belge en France. L’absence de mécanisme correcteur engendre ici un risque de double imposition effective.


Obligations déclaratives et fiches fiscales

La date limite d’émission de cette fiche est déterminée par l’article 30, § 3, de l’arrêté royal d’exécution du CIR 92, qui prévoit que les fiches relatives aux revenus visés à l’article 57, alinéa 1er, 4° doivent être déposées au plus tard le 1er mars de l’année suivant celle au cours de laquelle les revenus sont réputés avoir été attribués. En pratique, la date d’attribution est calquée sur la date de prise d’effet du transfert, c’est-à-dire la date d’immatriculation de la société dans le registre de l’État d’accueil, conformément à l’article 14:27, § 4, du Code des sociétés et des associations.

Exemple : une société transférée à l’étranger avec effet au 15 décembre 2025 devra émettre les fiches pour le 1er mars 2026. Si la prise d’effet intervient le 3 janvier 2026, les fiches devront être émises au plus tard le 1er mars 2027.


Sanctions en cas de défaut

L’absence de fiche ou de déclaration entraîne une cotisation distincte fondée sur l’article 219 CIR 92, au taux de :

  • 100 % si le bénéficiaire est une personne physique ;
  • 50 % si le bénéficiaire est une personne morale.

Cette cotisation peut être évitée si :

  1. le revenu est déclaré ;
  2. le bénéficiaire est identifié dans un délai de 2 ans et 6 mois ;
  3. le revenu est repris dans une imposition acceptée dans les délais (articles 354 et 358 CIR 92).

Des amendes administratives peuvent également être infligées.


Faculté d’étalement du paiement

L’article 413/1 CIR 92, modifié, permet un étalement sur cinq ans du paiement de l’impôt sur les revenus réputés perçus lorsque le transfert intervient vers un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen lié par un instrument de recouvrement.

Le contribuable peut, dans les deux mois suivant l’envoi de l’avertissement-extrait de rôle, opter pour un paiement immédiat ou un étalement. Dans ce second cas :

  • un cinquième est payable immédiatement ;
  • le solde est réparti en quatre fractions égales sur quatre ans.

Aucun report supplémentaire ne peut être sollicité. Ce mécanisme ne constitue pas une remise d’impôt, mais une simple facilité de trésorerie, dont la portée concrète reste limitée.


Appréciation critique

L’extension de l’exit tax aux actionnaires soulève de sérieuses objections, tant au regard des libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne qu’en termes de cohérence interne du système fiscal.

La Cour de justice de l’Union européenne considère comme restriction toute mesure rendant moins attrayant l’exercice d’une liberté garantie. Or, l’imposition immédiate d’un dividende fictif pénalise les actionnaires d’une société transférant son siège à l’étranger, sans perception de revenu réel ni transfert de résidence fiscale.

Aucune perte de souveraineté fiscale ne nous paraît justifier cette imposition. L’assiette est fictive, construite sur une hypothèse, ce qui fragilise la légitimité du prélèvement. L’absence de correctifs (report, prise en compte de moins-values) rend la mesure rigide, voire confiscatoire.


Conclusion

En prétendant sécuriser son pouvoir d’imposition à l’occasion du départ d’une société, le législateur belge franchit un seuil : celui de l’imposition d’un gain non réalisé dans le chef de contribuables qui ne sont ni à l’origine du transfert ni bénéficiaires d’un revenu effectif. L’innovation consiste ici non dans l’extension d’un mécanisme d’exit tax — déjà connu dans le chef des sociétés — mais dans son application aveugle à des actionnaires présumés enrichis par la seule mobilité juridique d’une personne morale.

Si la cohérence interne du système fiscal peut justifier une vigilance à l’égard de l’optimisation transfrontalière, elle ne saurait exonérer le législateur de respecter les principes de sécurité juridique, de proportionnalité et de capacité contributive. L’assimilation d’un transfert de siège à une liquidation, sans flux, sans volonté de distribution, sans perception, fait de la fiction non plus un outil de cohérence, mais un instrument de dissuasion.

L’objectif fiscal est clair ; sa légitimité reste discutable.

À trop vouloir rendre l’exit impossible, on risque surtout de rendre l’entrée moins désirable.

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