Découvrez trois décisions de jurisprudence dont le commentaire pourra éclairer votre pratique professionnelle.
Cet article est écrit et diffusé dans le cadre du Tax TV Show du mois de mai, disponible sur oFFFcourse.
L’administration fiscale peut, dans certaines circonstances nettement circonscrites à l’article 351 CIR92, et notamment lorsqu’un contribuable n’a pas remis une déclaration dans le délai utile, recourir à la procédure de taxation d’office sur la base des éléments dont elle dispose.
Dans un tel cas, il appartient en principe au contribuable de rapporter la preuve, de manière suffisamment concrète, précise et objectivement vérifiable, du montant exact de ses revenus imposables.
Le recours à la taxation d’office n’empêche cependant pas le contribuable de contester la cotisation en prouvant que l’administration a agi de manière arbitraire dans la détermination de la base imposable, notamment en cas d’erreur manifeste de droit, de faits matériellement inexacts ou de conclusions indues tirées de faits exacts. Précisons encore que le caractère arbitraire de la taxation doit être apprécié au regard des éléments dont disposait (ou pouvait disposer) l’agent taxateur au moment de l’établissement de la cotisation.
Dans l’affaire ici commentée, une société active dans le secteur du revêtement n'avait pas déposé sa déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition 2019 et l’administration a procédé à une imposition d'office sur la base des déclarations TVA du contribuable, en appliquant une majoration de 50 % (4ème infraction sans intention frauduleuse).
La notification préalable d’imposition d’office est restée sans réponse mais le contribuable a ensuite introduit une réclamation dans les délais qui a été rejetée par l’administration dès lors que le contribuable n’a pas produit toutes les pièces justificatives nécessaires, et ce, malgré des demandes répétées de l’administration.
Le contribuable a alors introduit un recours judiciaire en annulation de la décision administrative et de la cotisation, demandant la désignation d’un expert pour examiner les documents comptables produits.
La Cour, après examen du dossier, estime que :
Bien que les circonstances de l’espèce soient particulièrement mauvaises pour le contribuable qui a en quelques sorte « tendu le bâton » cet arrêt illustre de manière exemplaire l’importance cruciale d’une comptabilité complète, cohérente et conservée. En matière de taxation d’office, l’absence de comptabilité se paie comptant.
La Cour d’appel de Gand s’est à nouveau prononcée en faveur du contribuable dans le cadre d’une affaire portant sur la déduction, par une société active dans la biologie clinique, de frais liés à un appartement acquis en 2006 et mis gratuitement à disposition de son administrateur unique en tant que forme de rémunération.
La position de la Cour de cassation sur cette problématique est bien connue : afin de justifier de la déduction de frais exposés en vue d’accorder de la rémunération à un dirigeant d’entreprise sous la forme d’avantage de toute nature, le contribuable doit démontrer que cet avantage rémunère des prestations réelles.
Dans l’affaire commentée ici, l’administration avait rejeté la déduction des frais et amortissements supporté par la société en lien avec l’appartement mis à la disposition de son administrateur unique estimant notamment que le bien n’était ni professionnel, ni nécessaire à l’activité. Le contribuable quant à lui invoquait la théorie de la rémunération.
De manière synthétique, la Cour déboute l’administration, estimant que la mise à disposition de l’immeuble constitue bel et bien une rémunération effective, en raison notamment des éléments suivants :
Notons encore que l’administration invoquait à titre subsidiaire :
Cette affaire illustre, une nouvelle fois, l’importance de documenter rigoureusement la politique de rémunération, notamment lorsque des avantages de toute nature évalués forfaitairement sont attribués. Une structuration claire, des documents contractuels solides et une cohérence globale entre la rémunération et l’activité permettent de sécuriser la déductibilité des frais pour la société.
Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Anvers rejette la tentative de l’administration fiscale de requalifier en revenu imposable la plus-value réalisée en 2015 par un ancien salarié à l’occasion de la revente d’actions acquises dans le cadre d’un plan d’options sur actions classique, mis en place par son employeur en 2005 et 2007 auquel s’appliquait la loi du 26 mars 1999.
L’affaire illustre de manière claire les limites à la portée de l’article 90, alinéa 1er, 1° et 9°, du CIR 92, ainsi que les exigences de preuve pesant sur l’administration lorsqu’elle prétend sortir du principe d’exonération des plus-values issues du patrimoine privé.
Le contribuable, ancien cadre de la société Y, avait souscrit à des options lui permettant de participer, à titre privé et volontaire, au capital de véhicules de co-investissement constitués à l’initiative de son employeur. Les actions ainsi acquises à l’aide de fonds personnels ont été revendues en 2015 à Y, entraînant la réalisation d’une plus-value de 177.694 EUR. Cette opération n’a pas été déclarée, le contribuable estimant qu’elle relevait de la gestion normale de son patrimoine privé.
Après une première tentative infructueuse sous l’angle de la simulation, l’administration a imposé une cotisation subsidiaire en requalifiant la plus-value en revenu divers imposable sur pied de l’article 90, 1° CIR 92 (rémunération pour des services prestés) et, à titre subsidiaire, sur pied de l’article 90, 9° CIR 92 (gestion anormale de son patrimoine privé par le contribuable), avec application d’une majoration de 50 %.
La Cour d’appel écarte l’un et l’autre fondement avec clarté. Concernant d’abord l’article 90, 1°, elle souligne que le contribuable n’a fourni aucune prestation effective au profit de Y dans le cadre du plan d’options. Bien qu’il ait reçu un mandat formel au sein du comité d’investissement des sociétés sur les actions desquelles portaient ses options, celui-ci lui a été accordé après qu’il est décidé de participer au plan d’options, était non rémunéré, n'impliquait aucune activité décisionnelle documentée, et n’a eu aucun impact sur la valorisation des actions ; un mandat d’apparat ne suffit pas à établir un lien direct entre une prestation et un revenu.
S’agissant ensuite de la gestion normale de son patrimoine privé, la Cour reprend les critères classiques pour réaliser son examen : source des fonds, degré de risque, durée de détention, intervention active ou non du contribuable, et complexité de la structure. En l’espèce, la Cour note que:
La Cour confirme également que le seul fait qu’une opération soit fiscalement avantageuse ne suffit pas à établir son caractère anormal ou abusif. Elle rappelle que le plan d’options entrait dans le cadre de la loi du 26 mars 1999, et que les plus-values tirées de son exécution relèvent en principe de la gestion normale du patrimoine privé, sauf preuve contraire. En l’occurrence, cette preuve n’a pas été rapportée par l’administration.
L’arrêt insiste en outre sur la distinction à opérer entre les simples hypothèses de rendement élevé - qui peuvent relever d’une gestion prudente - et les situations de spéculation active, qui seules permettraient une requalification.
Enfin, la Cour rejette expressément tout abus de droit, en l’absence d’un montage artificiel, d’une intention spéculative ou d’un écart manifeste entre les moyens mis en œuvre et le résultat obtenu.
Cet arrêt est un rappel semble-t-il nécessaire de ce que l’administration ne peut s’ exonérer de sa charge probatoire en invoquant de simples allégations de rendement excessif ou de « fiscalité trop douce ».