Je ne parle évidemment pas des libéraux européens ou belges, sans aucune assise intellectuelle et sans la moindre importance homéopathique à l'aune de l'histoire.
Non, je parle du courant néolibéral, qui a émané des États-Unis et du Royaume-Uni dans les années quatre-vingt, et qui est une vague résonnance aux préceptes du philosophe britannique Herbert Spencer (1820-1903) dont le texte fondateur est "Le Droit d'ignorer l'État" (1850), selon lequel il s'impose de se passer des services de l'État et d'invoquer un droit de sécession individuel, lorsque la puissance étatique abuse de son pouvoir.
Il fallait émietter la société, dissiper les structurations sociales et les corps intermédiaires, casser les solidarités et les homogénéités sociales, et surtout placer les travailleurs dans une vulnérabilité et une dépendance qui les ramèneraient à des troupiers du capital, bref à des usances ou ces nuisances.
Mais les néolibéraux n'avaient pas anticipé que les oubliés de la mondialisation se regrouperaient. Pas au sens marxiste, mais à travers un rejet, vulgairement qualifié de populiste, de ce mépris pour la classe des travailleurs dominée par des élites aveugles.
Et c'est ainsi qu'aujourd'hui, les Américains distinguent eux-mêmes les "anywhere" (nomades ou mobiles) et les "somewhere" (sédentaires), c'est-à-dire les gagnants et les perdants de la mondialisation, selon la capacité des humains à se mouvoir dans l'économie digitale et à se dissocier de leur ancrage territorial.
Les "somewhere" sont les perdants assumés de l'évolution récente. On comprend combien cette nécessité de mobilité crée de l'anxiété sociale dans une économie mondialisée, d'autant plus que le travail "ubérisé", version moderne du servage féodal, est émietté, invisible et non valorisé. C'est un travail émietté qui ne s'inscrit plus que dans les interstices de la numérisation. En termes d'enseignement, on établit la même distinction entre les "front row kids" et les "back row kids", c'est-à-dire les élèves des premiers rangs ou les relégués de la classe.
Le populisme est la force de rappel de ce libéralisme calviniste qui promouvait le darwinisme social, en référence au naturaliste Charles Darwin (1809-1882).
Les dominants n'auront peut-être que la monnaie de leur pièce, dans un futur modèle politique qui sera plus égalitariste.