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Investissement responsable et industrie militaire, je t’aime moi non plus !

Oui, car il est parfois bon de rappeler des évidences, un pays a besoin d’armes, pour son armée et accessoirement pour sa police, et donc il n’y a pas lieu de chercher à en bannir toute production. C’était une évidence pour celui qui avait de la mémoire, c’est une évidence pour tous depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

Mais non, ce n’est pas pour autant qu’il vaut condamner l’investissement responsable qui, pourtant, le plus souvent, exclut le secteur de l’armement. En d’autres termes, il faut rejeter avec vigueur le raisonnement erroné suivant :

« il est bon que des armes soient produites ; or l’investissement responsable exclut le secteur de l’armement ; donc l’investissement responsable est à exclure ».

Pourquoi ? Tel est l’objet de la présente chronique.


Ce que fait réellement l’investissement responsable

Il faut commencer par redire ce que fait l’investissement responsable. Trois approches co-existent.

La première consiste à n’investir que dans certaines activités positives, du genre eau, énergie renouvelable ou “clean tech”.

La deuxième est d’exclure certains sous-secteurs d’activité. Les suspects actuels sont l’armement, ainsi que le tabac, l’alcool, le sexe, les paris, tout ou partie de l’énergie fossile, le nucléaire et les OGM.

La troisième, dite « best in class », est, au sein d’un secteur donné, d’investir dans les entreprises qui ont une meilleure notation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).

Souvent, les deuxième et troisième approches sont combinées, mais avec des niveaux d’exigence fort variables d’un gestionnaire à l’autre.


Des préférences personnelles, pas une morale imposée

Le choix non seulement des activités à exclure mais aussi des critères de notation et des pondérations est affaire personnelle. On peut être soucieux d’environnement et être partisan de la prolongation des centrales nucléaires, comme on peut être soucieux d’environnement et souhaiter l’arrêt de toutes les centrales.

L’objet de l’investissement responsable n’est pas d’imposer des vues sur ce qui est bien ou mal, mais de mettre à disposition des investisseurs des instruments financiers leur permettant d’investir au mieux de leurs préférences.

Pour cela, il est souhaitable d’avoir des exigences fortes pour faire partie du panier de l’investissement responsable, par exemple en excluant le nucléaire, et en laissant la liberté à celles et ceux qui le souhaitent d’ajouter à leur compte-titres des actions d’entreprises actives dans le secteur nucléaire.

Une sicav responsable se devra d’être sélective, et chaque investisseur ajoutera dans son portefeuille ce qu’il veut à côté de cette sicav. C’est tout simplement faire comme en cuisine : on met peu de sel et ceux qui le souhaitent en ajoutent !


Le cas particulier de l’armement

Complexité additionnelle pour le secteur de l’armement, que l’on trouve aussi avec les énergies fossiles : il y a une déclinaison des préférences personnelles entre tout proscrire ou tout autoriser.

Gaz naturel, gaz de schiste, pétrole, charbon, sables bitumineux, exploration en mer profonde : certains accepteront certaines formes d’investissements fossiles que d’autres refuseront.

Pour les armes aussi, il est des investisseurs qui accepteront certaines d’entre elles mais en refuseront d’autres : armes nucléaires, bombes à sous-munitions, mines. Les préférences se déclineront largement.

Mieux vaut donc les exclure, et chacun rajoute ce qu’il souhaite rajouter ! Et rappelons que c’est fort de certains enseignements que le droit international humanitaire, par le biais des conventions de Genève, continue d’interdire les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions.


Un procès injuste fait à l’investissement responsable

C’est un méchant procès qui est fait à l’investissement responsable. Non, ce n’est pas de l’hypocrisie de reconnaître l’utilité des armes et, simultanément, préférer ne pas investir personnellement son épargne dans ce secteur.

Je préfère ne pas investir dans le plastique et les PFAS, même si j’absorbe des médicaments qui en répandent. Ne sont-ils pas étranges, ces esprits qui se disent libéraux et qui cherchent à délégitimer l’investissement responsable pour cause d’exclusion des armes ?

Chacun n’est-il pas libre de donner à son patrimoine l’orientation positive qu’il souhaite ?


Un débat focalisé sur l’anecdotique

Que ce procès soit méchant est patent quand on réalise qu’il se focalise sur un détail. Le sous-secteur de l’équipement militaire ne pèse vraiment pas lourd en bourse.

D’abord, il ne pèse déjà pas grand-chose dans la valeur ajoutée nationale, et, ensuite, nombre d’entreprises actives dans ce secteur ne sont pas cotées en bourse, qu’elles soient publiques ou privées.

Ne nous laissons pas distraire par ce qui est anecdotique. Critiquer le tout parce qu’une toute petite partie dérange est souvent le signe que le tout dérange pour autre chose que la petite partie.


Qui décide vraiment des exclusions ?

Rares sont les gestionnaires de sicav qui déterminent eux-mêmes, sans recours à des fournisseurs de données externes, ce qui est responsable et ce qui ne l’est pas.

Ce travail demande un suivi extrêmement détaillé des milliers d’entreprises cotées en bourse dans le monde – sauf à sacrifier la nécessaire diversification des portefeuilles – et mobilise des moyens qu’il est plus rationnel de mutualiser.

Le filtre responsable est donc conçu et géré par des entreprises spécialisées, avec des acteurs majeurs comme MSCI et Sustainalytics, et par des labels tels que Towards Sustainability en Belgique ou LuxFlag au Luxembourg.

Si ceux-ci continuent d’exclure un sous-secteur donné, les gestionnaires n’auront guère de latitude.


Conclusion : une utilité sociétale confirmée

La transition environnementale est une nécessité. Elle offre des opportunités économiques, mais nuit à certains intérêts catégoriels et n’est pas acceptée par toutes les franges de la population.

Ne nous trompons pas : celles et ceux qui critiquent aujourd’hui l’investissement responsable instrumentalisent la menace russe pour pousser un agenda court-termiste personnel.

Parlant d’armes, ne nous trompons pas sur leur cible : ce que ces voix appellent de leurs vœux n’est pas l’inclusion d’un sous-secteur particulier dans l’investissement responsable, mais le démantèlement de ce dernier.

Que l’investissement responsable dérange certains est la confirmation de son utilité sociétale !


Une première version de ce texte est parue dans L’Echo le 12 avril 2025.

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