Article publié dans la Revue économique de Décembre 2021Bisciari, P. / Gelade, W. / Melyn, W.
En raison de leur ampleur, les plans nationaux de relance et de résilience de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne pourraient contribuer davantage à l’activité économique en Belgique que notre plan national. Ces plans sont-ils plus verts, plus numériques et plus ambitieux en termes de réformes que le plan belge?
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Au lendemain de la crise du COVID-19, les autorités de l’Union européenne et les gouvernements de ses différents États membres ont réagi rapidement et élaboré une réponse politique commune énergique sous la forme d’un plan de relance paneuropéen baptisé Next Generation EU (NGEU).
Un premier article a été consacré à cette thématique dans la Revue économique de septembre (Bisciari et al., 2021). Celui-ci expliquait les motivations économiques de ce plan, précisant qu’il pourrait changer la donne pour l’Union européenne mais que cela dépendrait largement de la façon dont il serait mis en œuvre.
Quelque 90 % du plan de relance Next Generation EU échoient à la facilité pour la reprise et la résilience, dont les subventions sont allouées aux différents pays selon des paramètres reflétant leur vulnérabilité économique avant la crise et les pertes économiques provoquées par la pandémie elle-même. Pour pouvoir bénéficier de subventions et de prêts, les États membres ont dû soumettre des plans nationaux pour la reprise et la résilience (PNRR) détaillant leurs projets en matière d’investissements et de réformes.
La mise en œuvre et, partant, le succès du plan de relance Next Generation EU dépendent dès lors de la manière dont les gouvernements nationaux saisiront cette opportunité de financement de l’UE pour privilégier les investissements et les réformes qui favorisent les transitions verte et numérique, soutenir le potentiel de croissance de leur économie et renforcer la résilience sanitaire, économique, sociale et institutionnelle.
C’est la raison pour laquelle nous avons analysé en profondeur les PNRR des quatre plus grands États membres de la zone euro – à savoir l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne – et de la Belgique.
Nous montrons plus particulièrement que les investissements et les réformes vont de pair dans ces PNRR. Ainsi, plus les gouvernements reçoivent de subventions financées par l’UE, plus on attend d’eux qu’ils mettent en place des réformes. La conjugaison des réformes et des investissements devrait exercer un effet très favorable sur le potentiel de croissance et sur la résilience à l’avenir.
POURQUOI LA BANQUE NATIONALE DE BELGIQUE S’INTÉRESSE-T-ELLE À L’ALLEMAGNE, À LA FRANCE, À L’ESPAGNE ET À L’ITALIE ?
Dans cet article, nous avons choisi d’examiner l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne non seulement parce que ces pays sont les quatre principales économies de la zone euro, mais aussi parce que, lorsqu’on y ajoute la Belgique, ces cinq pays doivent recevoir environ 210 milliards d’euros de subventions sur les 390 milliards prévus dans la facilité pour la reprise et la résilience. En raison des vulnérabilités qu’elles présentaient déjà avant la crise du COVID-19 et des dommages importants causés par la pandémie, l’Italie et l’Espagne sont les deux principales bénéficiaires des subventions (à près de 70 milliards d’euros chacune) et elles devraient toutes deux prétendre à des prêts. L’Italie en a déjà demandé à concurrence de 122,6 milliards d’euros, tandis que l’Espagne devrait plus tard en solliciter à hauteur de 70 milliards d’euros. Elles percevraient ainsi plus de la moitié du montant total des prêts prévus dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience. Le succès du plan Next Generation EU dépendra donc largement du contenu et de la mise en œuvre des PNRR des pays examinés dans cet article, et plus particulièrement de l’Italie et de l’Espagne.
En outre, les quatre grandes économies de la zone euro sont celles qui génèrent le plus de retombées budgétaires pour les autres États membres. Selon des simulations de la CE portant uniquement sur les investissements (et non sur les réformes, dont les effets macroéconomiques sont nettement plus difficiles à estimer), la Belgique devrait voir son PIB augmenter davantage sous l’effet des PNRR de ces quatre pays que grâce à la mise en œuvre de son propre plan.
QU’AVONS-NOUS COMPARÉ ?
Pour des raisons de comparabilité, nous n’avons pris en considération que ce qui se trouve dans les PNRR tels qu’acceptés par la CE en juin 2021 et validés par le Conseil (Ecofin) en juillet.
Reprendre les montants des plans de relance tels qu’entérinés par le Conseil Ecofin revient à supposer que les montants des subventions correspondent à ceux déterminés provisoirement en application du règlement de l’UE établissant la facilité pour la reprise et la résilience, sans tenir compte de la révision des montants attendue en juin 2022.
Nous n’avons inclus ni les mesures de soutien prises par les gouvernements et par d’autres autorités (p. ex. la BCE) pour éviter l’effondrement de l’économie et des marchés financiers pendant la pandémie, ni les plans nationaux supplémentaires de financement de la relance ou d’investissement, qu’ils aient été adoptés au moment de la présentation du PNRR ou plus récemment. À titre d’exemple, l’enveloppe du plan France relance annoncé en septembre 2020 se montait à 100 milliards d’euros, dont seuls 39 milliards ont été financés par les subventions de la facilité pour la reprise et la résilience. En outre, nous n’avons tenu compte ni des mesures de soutien face à l’épidémie (dispositifs de chômage partiel, etc.), ni du plan d’investissement France 2030 annoncé le 12 octobre 2021.
De même, pour ce qui est des réformes, nous nous sommes limités à celles qui ont été reprises dans les jalons (« milestones ») et dans les cibles (« targets ») des décisions d’exécution du Conseil relatives aux PNRR individuels[1]. Des réformes structurelles peuvent néanmoins avoir été mises en œuvre avant l’adoption des PNRR ou être mises en œuvre librement par les gouvernements pendant la période 2021 ‑ 2026 sans qu’elles ne fassent partie des jalons. En effet, certains gouvernements ont préféré ne pas se voir imposer de contraintes en termes de calendrier pour des réformes sensibles, comme celle des pensions. C’était notamment le cas du gouvernement allemand, qui ne souhaitait pas donner d’indication pour ce type de réformes, le PNRR ayant été approuvé par le Conseil Ecofin en juillet 2021, soit trop près des élections législatives qui ont eu lieu en septembre.
PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE LA COMPARAISON INTERNATIONALE
Selon les PNRR, les subventions (et les prêts) serviront principalement à financer, comme demandé, des investissements verts et numériques. L’Italie, l’Espagne et la France prévoient également d’en affecter environ un tiers à des projets autres que des investissements verts et numériques (qu’il s’agisse d’autres investissements ou de dépenses courantes), ce qui représente une part bien plus importante qu’en Belgique et en Allemagne. Étant donné la grande ampleur des PNRR de l’Italie et de l’Espagne, ces pays devraient allouer des montants considérables à ces autres projets. À la lumière de leur spécialisation dans le tourisme et de la nécessité d’apporter une solution aux vulnérabilités économiques existantes, l’Italie et l’Espagne ont réparti leurs dépenses sur un ensemble de catégories telles que le marché du travail, l’éducation et la formation, la recherche et l’innovation, la cohésion économique, sociale et territoriale, la santé, la culture et le tourisme.
[1] Les jalons consistent en des mesures ou éléments de réforme législative, décrétale ou réglementaire, tandis que les cibles représentent plutôt des objectifs quantifiés en termes de résultats à atteindre.
Comme attendu, les pays qui ont reçu les subventions les plus élevées se sont engagés à de plus vastes réformes visant à répondre efficacement à l’ensemble – ou à un sous-ensemble significatif – des défis recensés dans les recommandations par pays[2] pertinentes pour 2019 et 2020, lesquelles reflètent des déséquilibres et des faiblesses structurelles. La facilité pour la reprise et la résilience étant un programme fondé sur les résultats, les pays doivent atteindre les jalons convenus pour recevoir les subventions. L’Italie et l’Espagne ont également prévu d’atteindre en très peu de temps des jalons significatifs de réformes dans un large éventail de domaines. Des réformes substantielles, même à caractère horizontal, ont déjà été mises en œuvre en 2021, avant que le premier versement n’ait été demandé.
Les réformes à mettre en œuvre en 2022 et au cours des années suivantes demeurent toutefois d’envergure, en particulier en Italie et en Espagne. Les gouvernements semblent avoir pleinement compris que la facilité pour la reprise et la résilience constituait une opportunité unique pour les pays les moins résilients et/ou les plus affectés par la crise du COVID-19 de contribuer à résoudre leurs problèmes structurels par des investissements et des réformes. À plus long terme, le succès du NGEU dépendra de la mise en œuvre.
ÉCLAIRAGE POUR LA BELGIQUE
L’analyse réalisée dans l’article met également les investissements et les réformes de la Belgique en perspective. En contrepartie d’un montant bien plus modeste de subventions dans le cadre de la facilité pour la reprise et la résilience (maximum 5,9 milliards d’euros, 1,2 % du PIB), les réformes attendues de la Belgique sont plus limitées en nombre et en profondeur et moins vastes que dans le cas de l’Italie et de l’Espagne. Cela reste néanmoins pour la Belgique également une bonne opportunité de mener des réformes structurelles soutenant les transitions verte et numérique et d’accroître de manière soutenable le potentiel de croissance de notre économie.
L’article présente les principaux investissements et réformes repris dans le PNRR de la Belgique. Une ventilation systématique – et originale – est également réalisée entre ce qui est décidé par le gouvernement fédéral, le gouvernement flamand et les autres gouvernements régionaux. La répartition entre les entités gouvernementales des subventions provenant de la facilité pour la reprise et la résilience résulte de négociations politiques au sein du Comité de concertation (« Codeco »). L’affectation des dépenses effectuées par les différents gouvernements représente, quant à elle, un choix politique. Pour ce qui est des différences, nous avons notamment relevé que la Communauté flamande avait davantage axé ses priorités sur le financement des compétences et de l’inclusion numériques, alors que les autres entités régionales financeront davantage la rénovation et l’isolation des bâtiments.
[2] Chaque année, dans le contexte du semestre européen, la Commission européenne formule des recommandations de politique économique pour l’ensemble des États membres de l’UE. Celles-ci sont débattues et approuvées au sein du Conseil Ecofin.