Chargé de conférences du premier cours de fiscalité environnementale à Solvay, j’ai exploré cette matière davantage et mes conclusions « belge » et « européenne » sont pitoyables.
Mais pourquoi notre monde politique est-il incapable de se saisir de cet outil à des fins durables ?
Depuis l’étude de Meadows de 1972 et ses multiples « mises à jour » à la demande du Club de Rome, la question des limites de la croissance a été posée à de multiples reprises. Et les résultats sont interpellant. Contrairement à certains débatteurs, il ne s’agit pas d’une question idéologique, mais d’un simple constat scientifique qui met en évidence un fait implacable : les ressources de notre planète sont limitées et leur exploitation non concertée face à une population exponentielle et un mode de consommation assoiffée, une équation dangereuse.
C’est dans ce contexte que nait le développement durable. Souvent présenté comme un concept « écolo-bobo », il est un des quatre scénarios possibles pour garantir un futur à notre humanité. Il est surtout le seul scénario raisonnable pour équilibrer biocapacité et continuité. Contrairement aux alternatives, il ne passe pas par une rupture nette du modèle économique (ce que proposent les porteurs d’un modèle de décroissance), par un effondrement ou le chaos. En réalité, les observateurs les plus mesurés penchent à l’avenir pour un scénario mixte…
Le DD cherche à répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Il repose sur l'équilibre entre trois piliers fondamentaux : l'environnemental, l'économique, et le social. Cette approche cherche à harmoniser la croissance économique avec la protection de l'environnement et l'équité sociale, en reconnaissant l'interdépendance de ces domaines.
Ce sont les Nations Unies qui en 2015 ont initié un cadre lisible en définissant 17 objectifs de DD, à atteindre dès 2030…
Pendant ce temps les entreprises s’intéressent au sujet. Dès 2006 naissent les premières publications (« Who cares wins ») en encourageant l'intégration des questions ESG dans les décisions financières.
Mais au-delà du cadre, seules les normes peuvent imposer progressivement un mouvement contraignant. C’est l’objectif du pacte vert qui ambitionne de porter l’Europe comme « premier continent neutre » d’ici 2050. Il donne naissance à ses normes environnementales qui prennent la forme d'une taxonomie européenne, définissant les critères de performance environnementale pour 13 secteurs et 104 activités.
Ces normes s’accompagnent d’obligations de reporting des entreprises : le CSRD pour les entreprises publiques et les entreprises cotées (plus de 49.000 entreprises) et le SFRD pour les entreprises qui financent l’économie. Ces normes offriront plus de transparence et lisibilité de l’impact de nos entreprises sur l’environnement. Un outil pour elles-mêmes, mais également pour les autorités et la société civile.
Vient enfin dans cet écosystème la fiscalité environnementale. Mais qui impacte quoi ? Les normes créent des recettes fiscales potentielles, mais en réalité, la fiscalité peut aussi impacter les normes en modifiant les incitations ou les contraintes des agents économiques, qui se traduisent par des variations de leurs comportements, de leurs choix, de leurs investissements, de leurs productions ou de leurs consommations, et donc de leur performance environnementale.
L’enjeu durable suggère que la consommation évolue dans sa consistance (migration vers des consommations durables) et dans sa quantité (sobriété et performance énergétique). La fiscalité s’impose aujourd’hui comme le moteur du financement des états gourmands en moyens. Parallèlement, les sources des États s’assèchent, car à force de taxer, les limites de la taxation épousent les mêmes constats que les limites de la croissance de Meadows.
L’analyse de l’usage de notre fiscalité environnementale est pitoyable. En réalité, les deux principes qu’elle sous-tend sont tout simplement inusités : le principe du pollueur-payeur, sanctionnant le consommateur non conscient de ses externalités et de ses choix et le principe de l’incitateur par encouragement ou découragement.
La seule motivation des états reste la recette fiscale, facile et dont l’impact est dehors du « périmètre électoral ». Fiscaliser le t-shirt chinois à 4€ face à une production durable européenne ou la bouteille d’eau en plastique face à une eau potable de qualité est un choix politique.
Si les États ne se saisissent pas du moment, le marché le fera. L’inflation qui traduit d’abord et avant tout un rapport à la pénurie plus qu’une surchauffe de marché modérable par un simple taux d’intérêt est un signal fort. Il faut saisir l’instant, à défaut, c’est l’économie qui le fera, sur le dos des États. Autrement dit, modérons les équilibres de consommation en usant de la fiscalité plutôt que par la finance (les taux d’intérêt) et compensons-le par une incitation au travail (en le défiscalisant).
Voilà une piste bien loin des recettes du tiroir-caisse.
Cette chronique a également été publiée dans l'Echo.