Depuis le 1er janvier 2019, les sociétés belges appartenant à un groupe peuvent alléger leur feuille d’impôts à la faveur d’un système de consolidation inédit reposant sur une nouvelle déduction fiscale : la « déduction pour transfert intra-groupe». Ce dispositif présente un intérêt pratique considérable, eu égard au poids important des groupes d’entreprises dans l’économie belge. Il offre notamment un terreau propice aux acquisitions d’entreprises.
A condition de le combiner habilement avec une série de mesures fiscales complexes et d’éviter les chausse-trappes.
En règle générale, l’acquisition d’une société (société cible) est réalisée par l’intermédiaire d’une société holding belge. La holding conclut souvent un prêt pour financer le prix d’acquisition des actions de la société-cible. Jusqu’il y a peu, cette situation posait un problème fiscal : l’impossibilité d’imputer les intérêts de la dette de financement, logée au sein de la holding belge, sur les résultats opérationnels de la société-cible. La cause de ce problème : l’absence de consolidation fiscale dans le paysage fiscal belge.
Exemple : une société holding (A) avait contracté un prêt pour financer le prix d’acquisition de 100% des actions d’une filiale opérationnelle (B). La filiale B réalisait des bénéfices (30.000.000 EUR), alors que la holding A avait une perte de l’exercice (-4.000.000 EUR) résultant de la prise en charge des intérêts sur la dette d’acquisition. Les effets négatifs de l’absence de consolidation fiscale se faisaient particulièrement ressentir dans ce cas de figure, puisqu’il était impossible d’ « utiliser » les pertes de la holding A pour éponger les résultats bénéficiaires de sa filiale B. Résultat des courses : A avait une perte à reporter de -4.000.000 EUR et B une base imposable de 30.000.000 EUR sur laquelle elle payait l’impôt des sociétés.
La donne a changé depuis l’instauration du régime de « déduction pour transfert intra-groupe », entré en vigueur le 1er janvier 2019 : les pertes de l’exercice d’une société du groupe peuvent en effet, moyennant le respect de certaines conditions, être compensées avec les bénéfices réalisés par une autre société du groupe. Ceci signifie ici que la filiale B peut « transférer » une partie de son bénéfice (à hauteur de la perte de l’exercice de A, soit 4.000.000 EUR) à sa société mère A au titre de « transfert intra-groupe ». B est en droit de déduire le montant de ce « transfert intra-groupe », ce qui permet de ramener sa base imposable à 26.000.000 EUR. Quant à A, elle doit reprendre le montant du transfert intra-groupe dans sa base imposable, ce qui a simplement pour effet d’éponger sa perte de l’exercice. Une « convention de transfert intra-groupe » doit être conclue entre les sociétés concernées. Par cette convention, la société qui déduit le transfert intra-groupe (B) doit s’engager à payer à l’autre société (A) une indemnité égale à l’économie fiscale réalisée.
Comme souvent en fiscalité, les choses ne sont toutefois pas si simples
D’abord, le régime de consolidation fiscale est soumis à des conditions strictes. En bref : une participation importante et durable est requise entre les sociétés impliquées. En l’espèce, A doit avoir détenu une participation directe de 90% dans B pendant une période ininterrompue de 5 ans. Soit une éternité ! La filiale B n’est donc pas en droit de faire un « transfert intra-groupe » (déductible) à sa mère A immédiatement après l’acquisition. Il faudra encore attendre quelques années…
Ensuite, la consolidation fiscale regorge de subtilités et de pièges, en particulier lorsqu’elle interagit avec d’autres mesures fiscales telles que la limitation à la déduction des intérêts entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Cette règle empêche les sociétés belges de déduire leurs charges de financement au-delà d’un plafond égal à 30% de l’EBITDA « fiscal » (résultat avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, moyennant certaines corrections visant à retrancher les revenus exonérés fiscalement) ou à un montant de 3.000.000 EUR (à répartir toutefois entre les sociétés du groupe), le montant le plus élevé étant retenu. Cette mesure aboutit généralement à ce que la holding A n’est pas en mesure d’utiliser (pleinement) ses charges d’emprunt (en raison de l’absence d’EBITDA fiscal) pour éponger le bénéfice imposable découlant du « transfert intra-groupe » reçu de sa filiale B. Cet écueil peut heureusement être évité si A et B concluent une " convention de déduction d’intérêts" par laquelle B (qui dispose d’une capacité de déduction d’intérêts excédentaire, en raison de son EBITDA important) transfère vers A sa capacité de déduction de charges d’emprunt. En fin de compte : pour que la consolidation fiscale fonctionne, il faut que B fasse à A un « transfert intra-groupe » de concert avec un transfert de sa capacité de déduction des intérêts.
On relèvera enfin que, sur la base des textes légaux actuels, le gain fiscal lié à la consolidation fiscale est susceptible d’être (en partie) anéanti en cas de distribution par B d’un dividende à A. Cette situation – à mon avis contraire à la directive mère-fille- s’explique par une mesure anti-abus interdisant la déduction des RDT de l’année sur le transfert intra-groupe reçu (article 207, al. 8 du CIR).