Taxation des plus-values: dix critiques issues de mes observations!
Temps de lecture: 13 min | 25 juil. 2025 à 04:10
Pierre-François Coppens
Conseiller Fiscal, Juriste | Président @ AFPC
La Belgique a toujours été considérée comme un paradis fiscal pour les actionnaires du fait de l'exonération des plus-values sur actions. Néanmoins, on a pu constater une sorte de "traumatisme fiscal" ressenti par certains élus, à la suite de la cession par Monsieur Marc Coucke de sa participation dans la société Omega Pharma pour la somme notable de 1,45 milliard d'euros, le tout totalement exonéré d'impôt. L'intéressé lui-même reconnaissait cette incongruité, ce qui l'a peut-être incité à réaliser d'importants investissements porteurs d'emplois dans notre pays, dans le prolongement de la réalisation de cette plus-value gigantesque.
Dès lors, après divers débats parfois houleux, dans le cadre des accords permettant la constitution du gouvernement Arizona, il a été décidé de faire supporter par "les épaules les plus larges"une cotisation dite de solidarité d'un montant de 10 % pour les plus-values sur les actifs financiers (avec une exonération de 10 000 euros) et une taxation progressive de 1,25 % à 10 % pour les plus-values relatives aux cessions de participations d'au moins 20 % dans une société (avec une exonération de 1 million d'euros).
Ce projet de loi ne manque pas de soulever diverses critiques que nous avons résumées en 10 points, rappelant une fois encore que nos observations concernent un texte qui n'est évidemment pas encore finalisé.
À titre personnel, et peut-être à contre-courant de certains commentateurs fiscaux, je ne considère pas que le principe d'une taxation des plus-values importantes sur actions et titres soit absolument condamnable ou un frein immédiat à toute transmission d'entreprise.
Dans la mesure où toutes les catégories sociales sont aujourd'hui mises à contribution dans le cadre d'un assainissement des finances publiques (diminution progressive des pensions des fonctionnaires, fin de certaines prépensions, suppression des déductions d'intérêts sur crédits relatifs aux secondes résidences, limitation des allocations de chômage dans le temps, suppression de certains subsides, fédéraux et régionaux, etc.), on peut comprendre que les personnes qui réalisent des gains très substantiels lors de la cession de leur participation, ou de la vente d'un portefeuille, contribuent, de manière raisonnable, à cet effort collectif.
En d'autres termes, je ne suis pas personnellement heurté par l'idée de cette taxe qui actuellement fait couler beaucoup d'encre.
Ceci étant posé, cela ne signifie pas que ce projet de loi ne puisse faire l'objet de sévères critiques.
Sachant qu'en fiscalité rien n'est figé dans le marbre, on ne peut qu'espérer que le bon sens et le pragmatisme triompheront à propos de cette taxation dont nul ne peut prévoir les effets à moyen ou long terme.
Il me paraît tout d'abord important de préciser que notre pays qui exonère les plus-values sur actions l'a toujours fait avec l'idée, que je trouve très cohérente, que les plus-values ne sont que l'expression de bénéfices engrangés par une société et qui ont été amplement taxés auparavant à l'impôt des sociétés. L'exonération des plus-values non spéculatives sur actions n'a pas pour finalité d'effacer une matière imposable, celle-ci étant simplement déplacée vers un autre contribuable. D'autre part on ne perdra pas de vue que si un acquéreur paye à prix élevé pour l'achat d'une société, on peut supposer qu'il escompte d'en retirer des revenus à plus ou moins long terme qui seront imposés au titre de dividendes soumis au taux du précompte mobilier. Il y a donc quelque part une double imposition si l'on introduit cette taxe, dans la mesure où elle dépasserait le flux de dividendes futurs susceptibles d'être taxés. Dès lors, une taxation des plus-values sur actions qui, inévitablement, contrarie ces principes doit rester très réduite.
Dans ce projet de loi de taxation des plus-values, ce qui retient d'emblée l'attention est évidemment l'absence de prise en compte de l'inflation. Au cours des 20 dernières années l'inflation cumulée a été de l'ordre de 62 % alors que les rendements relatifs aux actions des principales bourses européennes, asiatiques ou américaines se situent évidemment dans des proportions plus faibles. Il est donc absolument incompréhensible que le législateur n'ait même pas évoqué un abattement minimal (par exemple de 5 %) sur le montant de la plus-value imposable. Il faut savoir que d'autres pays européens, tel que le Portugal, ont clairement intégré un facteur de correction liée à cette inflation. Nous plaidons pour une adaptation du texte législatif à ce propos.
Ce régime fiscal annoncé présente en outre une évidente atteinte au principe de non-discrimination qui a d'ailleurs été remarquablement dénoncée par le professeur Jan Van Dyck (Fiscologuedu 14 février 2025, n° 1869) du seul fait du seuil de 20 % : si vous avez une participation de 20 % et que vous réalisez une plus-value de 2 millions d'euros, votre imposition sera d'à peine 12 500 € (1, 25 % x (2 000 000 -1 000 000)). si vous avez participation de 19,99 %, votre imposition sera de 199 000 € (10 % x (2 000 000 – 10 000)) . Il ne faut pas être un grand spécialiste des principes de droit fiscal pour se rendre compte que ce type de différence de taxation contrarie tous les principes d'égalité devant l'impôt. On peut comprendre que le gouvernement ait souhaité fixer un seuil de 20 % qui correspond à une définition de ce qu'est une immobilisation financière, qui suppose une influence notable dans l'entreprise, mais cette réflexion aurait dû s'accompagner d'un mécanisme de taxation plus progressif, afin d'éviter cette situation totalement surréaliste.
Une autre critique qu'il convient d'émettre porte sur l'évaluation d'une entreprise qui devrait se faire sur base d'une situation au 31 décembre 2025. Quelle méthode d'évaluation adopter sachant que l'on ne peut dans de nombreux cas se limiter à la prise en compte des simples fonds propres, de nombreuses sociétés ayant une valeur immatérielle très importante (Goodwill, clientèle, savoir-faire,) qui a été forgée au fil des années et certainement avant le 1er janvier 2026 ? Il est demandé aux experts-comptables ou réviseurs d'entreprises de participer à cet exercice de valorisation, mais l'on peut très vite deviner que malgré l'incontestable expertise de ces professionnels, évaluations resteront toujours contestables, imparfaites, voire dans certains cas aléatoires. Et il est à craindre que cela donnera lieu à d'inévitables contestations de la part de l'administration fiscale qui proposera vraisemblablement ses propres méthodes alternatives. Le débat serait alors tranché par les tribunaux à qui on souhaite bon courage pour trancher le nœud gordien, vider ce contentieux potentiel et fixer une plus-value la plus réaliste possible. J'ajouterais que, connaissant l'ingénierie fiscale et comptable de certaines sociétés et de leurs conseillers, on peut imaginer que diverses opérations, voire manipulations des comptes, seront réalisées en vue de donner une valeur substantielle à la société avant l'entrée en vigueur de la loi.
En ce qui concerne les contribuables qui souhaiteraient échapper à cette imposition en se délocalisant, il est prévu dans le futur projet de loi, l'introduction d'une "exit tax" calculée sur les plus-values latentes sur les actifs financiers lors du transfert du domicile à l'étranger. C'est la technique qu'a trouvée la Belgique pour préserver la matière imposable. À notre avis, ce type de procédé pour le moins contestable est d'une très grande violence et pose question. De manière quelque peu sournoise, le texte de loi prévoit que cette "exit tax" pourrait être payée de manière étalée, ce qui devrait éviter une forme de contestation par rapport au principe de liberté de circulation ou d'établissement. Outre le fait qu'il sera sans doute très difficile d'établir le montant de ces plus-values latentes, on ne peut que plaider pour la suppression de cette mesure qui est très discutable par rapport au droit européen.
Sur la base des textes actuels, il est prévu que les banques prélèveront l'impôt à la source sur les plus-values sur actifs financiers réalisées par les contribuables. Un tel prélèvement automatique permet de bénéficier de l'anonymat, mais ne permet pas d'obtenir l'exonération des 10.000 premiers euros par an. C'est donc au contribuable d'entreprendre la démarche de revendiquer dans sa déclaration fiscale une telle exonération, ce qui l'oblige à révéler la hauteur de ces plus-values et donc indirectement de son patrimoine. Il est évident que ce type d'information portée à la connaissance de l'administration fiscale risque d'être utilisée dans le cadre de potentiels contrôles qui peuvent causer de sérieux préjudices à certains contribuables. Ce qui d'ailleurs a déjà conduit certains commentateurs fiscaux à préconiser de privilégier l'anonymat, quitte à faire l'impasse sur cette exonération. On peut que critiquer ces modalités proposées par le législateur qui auront pour effet, dans de nombreux cas, de faire perdre le bénéfice d'une exonération qui aurait pu être accordée de manière automatique ou obtenue à la suite d'un questionnaire posé par la banque au bénéficiaire de tels revenus.
Il faut rappeler ici que cette taxation des plus-values sur cession d'actifs financiers au taux de 10 % ne prive pas l'administration fiscale du droit de taxer au taux de 33 % toute une série d'opérations dites spéculatives, c'est-à-dire sortant du cadre de la gestion normale du patrimoine privé. En réalité, le maintien de cette imposition au titre de revenus divers confère à l'administration un pouvoir discrétionnaire que l'on aurait préféré voir disparaître. Car, en la matière, la notion de "plus-value spéculative" est et continuera à être interprétée de manière quelquefois subjective par des contrôleurs qui estimeront qu'une taxation de 10 % est insuffisante lorsque la plus-value leur semble trop élevée ou obtenue de manière trop rapide. Il nous paraît que le législateur serait plus inspiré à définir les cas susceptibles d'être taxés à ce taux de 33 % et ne pas laisser ainsi les contribuables dans une forme d'insécurité juridique permanente.
On ne perdra pas de vue non plus que l'administration dispose toujours du droit d'invoquer la disposition anti abus (article 344 § 1er du CIR) pour sanctionner certaines opérations de cession d'actions jugées artificielles. En ce domaine, on observe déjà que, dans certains cas, l'administration fiscale (peut-être dans le prolongement d'une certaine doctrine du SDA) considère qu'une vente d'actions d'une société disposant d'importantes liquidités peut être qualifiée d'abusive, car la société aurait dû au préalable sortir les liquidités en subissant le taux de précompte mobilier de 30 %. L'administration taxe donc l'opération non plus comme une cession d'actions mais comme une distribution de dividendes. À nouveau, il est à craindre des interprétations personnelles de la part de tel ou tel contrôleur en la matière, et surtout une immixtion dans la gestion des affaires d'un l'actionnaire. C'est donc un contrôle d''opportunité auquel on risque d'assister de la part du fisc, ce qui lui est pourtant interdit. À titre personnel, je ne vois d'ailleurs pas pourquoi l'administration se permettrait d'exiger la sortie des liquidités avant cession d'une société, simplement parce que la société n'aurait pas distribué suffisamment de dividendes au fil des années précédentes. Cela dépasse amplement le cadre de son pouvoir. En la matière, le seul abus qui peut être dénoncé est celui de l'administration qui se permettrait de produire sa propre vision de ce qu'est une opération acceptable sur le plan fiscal.
Une autre critique qui doit être faite de ce projet de loi relatif à la contribution de solidarité concerne les contrats d'assurance. Le projet de loi inclut les contrats d'assurance vie belge (branche 21, 23 et 26) mais aussi certains contrats étrangers (principalement au Luxembourg, branche 6). La taxation se produirait lors d'un rachat total ou partiel de tels produits d'assurance. Un premier problème posé par ce type de taxation est de déterminer la quote-part de la plus-value lorsqu'un tel contrat d'assurance a pour objet un portefeuille qui est formé à la fois par des actions, des obligations ou des liquidités, ce qui est assez fréquent. Un tel rachat d'actions qui porterait par exemple sur la quote-part des liquidités ne peut bien entendu être imposé. Cela entraîne en tout cas un véritable casse-tête pour les sociétés gestionnaires de tels portefeuilles qui devront calculer la plus-value imposable. Un autre problème qui me paraît encore plus important est l'atteinte évidente au principe de non-rétroactivité fiscale. En effet, tout investisseur qui a payé une prime d'assurance pour entrer dans ce type de produit avait payé une taxe d'entrée de 2 % sur le montant de cette prime, avec la garantie d'une exonération de tous les revenus, y compris les plus-values, obtenus ultérieurement. Taxer au taux de 10 % les revenus issus de ces produits d'assurance existants est profondément choquant. À tout le moins, le législateur devrait considérer que cette taxation ne peut frapper que les nouveaux contrats d'assurance-vie constitués à partir de 2026 (et prévoir le cas échéant une taxe d'entrée réduite voire une absence de taxe d'entrée). Il est inacceptable de placer les contribuables devant un fait accompli et saisir des plus-values sur des revenus relatifs à des contrats conclus avant l'entrée en vigueur de ce projet de loi.
Ma dernière critique est peut-être la plus sévère car elle s'inspire d'une réalité historique. Il est évident que ce taux de 10 % qui, malgré les critiques, reste un taux acceptable, risque très vraisemblablement de ne pas être garanti à moyen ou long terme. Ce taux de 10 % est-il un d'ailleurs leurre ? Il est plus que probable que l'administration fiscale, sans doute sous une autre législature, pèsera de tout son poids pour faire passer cette taxation de 10 % à 20 %, voire 30 %. Ce n'est d'ailleurs pas contesté par les élus de l'opposition, dont le plus virulent n'est autre que le président du Parti socialiste, clamant haut et fort qu'il suffit d'une simple modification du texte de loi de quelques lignes pour augmenter le taux d'imposition. On ne peut que se rappeler l'évolution des taux de précompte mobilier sur les dividendes, ou même sur le boni de liquidation, qui ont grimpé progressivement de 10 % à 30 % en quelques années. Il serait évidemment dramatique que le taux de taxation des plus-values sur actions en vienne un jour à dépasser ce seuil de 10 %, car les effets sur notre économie et nos PME seraient désastreux. L'envie de se lancer dans un projet d'entreprise serait totalement détruite avec un taux de taxation des plus-values qui viendrait à décourager tout investisseur ou tout entrepreneur. Quand on sait les visions particulièrement dogmatiques exprimées par certains hommes politiques qui considèrent l'impôt comme le seul moyen de financement d'un État, faisant fi de toutes les solutions consistant à réduire les dépenses publiques, il n'est pas irréaliste de craindre que, dans un horizon de 5 à 10 ans, le taux de 10 % ne soit plus qu'un lointain souvenir. Et c'est à ce moment-là qu'on se rendra compte que l'on a ouvert dangereusement la boîte de Pandore, abîmant de manière définitive notre tissu économique et le capital à risque.
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