La plus-value réalisée par un résident fiscal belge sur les parts d’une SCI française, toujours taxable ?

La « saga » des SCI françaises qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre n’est hélas probablement pas terminée. Les plus-values réalisées par des résidents fiscaux belges sur les parts de ces sociétés semblaient, sur la base de la jurisprudence existante, pouvoir échapper à toute imposition. Un arrêt du Conseil d’Etat français du 24 février 2020 est toutefois venu jeter le trouble sur cette question.

La détention d’actions de sociétés immobilières françaises par des résidents fiscaux belges a fait l’objet ces dernières de nombreux débats ayant abouti à d’importantes décisions judiciaires.

Ces controverses concernaient essentiellement le traitement fiscal qu’il convenait de réserver aux SCI françaises dites « translucides » car soumises à l’impôt sur le revenu, nonobstant le fait qu’elles disposaient d’une personnalité juridique propre.

La question était de savoir si les revenus de la SCI imposés en France dans le chef de ses associés en tant que revenus immobiliers pouvaient encore être imposés en Belgique à la suite de leur distribution (de dividendes ou de liquidation) en tant que revenus mobiliers.

Par un arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation de Belgique a définitivement tranché cette question en considérant que :

• S’agissant de l’imposition des revenus perçus par la SCI, la France disposait du pouvoir d’imposer ces revenus en tant que revenus immobiliers ;

• S’agissant de l’imposition des revenus distribués par la SCI en faveur de ses associés, la Belgique disposait du pouvoir d’imposer ces revenus en tant que revenus mobiliers.

Présentation de la controverse

La controverse s’explique par le fait que :

• la France qui assimile fiscalement les revenus imposés dans le chef des associés de la SCI à des revenus immobiliers revendiquait l’application de l’article 3 de la convention préventive de la double imposition relative aux revenus immobiliers qui attribue un pouvoir d’imposition exclusif à l’Etat de situation de l’immeuble (la France) ;

• la Belgique, qui ignore cette assimilation fiscale française, considérait que les revenus distribués par la SCI, société disposant de la personnalité juridique, devaient être considérés comme des dividendes visés à l’article 15 de la convention préventive de la double imposition qui attribue le pouvoir d’imposition à l’Etat de résidence du bénéficiaire des dividendes (la Belgique).

La décision de la Cour de cassation de Belgique se fonde sur la nature mobilière des titres de SCI sur le plan civil, celle-ci n’étant nullement remise en cause par le traitement fiscal qui leur est réservé en droit français.

Dès lors qu’il s’agit, selon elle, de valeurs mobilières, la Cour de cassation de Belgique a considéré que le traitement fiscal qui devait être réservé aux revenus distribués devait être celui applicable aux dividendes.

Une mauvaise nouvelle pour les dividendes, une bonne pour les plus-values

Si cet arrêt constituait une très mauvaise nouvelle pour les résidents fiscaux belges détenteurs de parts de SCI, un espoir subsistait en ce que les opérations pénalisées étaient celles relatives à la distribution de revenus par la SCI.

La cession de parts de SCI moyennant la réalisation d’une plus-value semblait, d’un point de vue belge, pouvoir continuer à échapper à toute imposition. En effet, la Cour de cassation de Belgique ayant considéré que les parts de SCI constituaient des valeurs mobilières, la plus-value éventuellement réalisée à l’occasion de leur cession relevait de l’article 18 de la convention préventive de la double imposition belgo-française qui attribue le pouvoir d’imposition exclusif à la Belgique. La Belgique n’imposant en principe pas les plus-values sur titres, un résident fiscal belge pouvait donc échapper à toute imposition en procédant à la cession de ses parts.

L’arrêt du Conseil d’Etat français du 24 février 2020

Cet espoir a été très récemment remis en cause par une décision rendue par le Conseil d’Etat français le 24 février 2020.

Après avoir rappelé que les personnes physiques non domiciliées fiscalement en France sont soumises au régime des plus-values immobilières de l'article 244bis A du code général des impôts (CGI) dès lors qu'elles cèdent des « parts qu'elles détiennent dans les sociétés ou organismes, qu'elle qu'en soit la forme, dont l'actif est principalement constitué, directement ou indirectement de biens ou droit immobilier », a considéré que la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 ne faisait pas obstacle à l'application de la règle de droit interne.

En l'espèce, un résident fiscal belge avait été imposé en France, sur la base de l'article 244 bis A du CGI, sur la plus-value résultant de la cession des parts d'une société civile immobilière détenant des biens immobiliers situés en France.

Comme précédemment indiqué, l'article 3 de la convention fiscale franco-belge prévoit que les revenus provenant de biens immobiliers ne sont imposables que dans l'Etat ou les biens sont situés et que la notion de bien immobilier se détermine d'après les lois dudit Etat.

Par ailleurs, le paragraphe 2 du protocole de la convention préventive de la double imposition conclue entre la Belgique et la France prévoit que la France peut considérer comme des biens immobiliers les droits sociaux possédés par les associés des sociétés qui ont pour unique objet soit la construction ou acquisition d'immeuble en vue de leur division soit la gestion de ces immeubles (c’est à dire les sociétés dites d'attribution relevant de l'article 1655 ter du CGI).

Le Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP), qui commente la convention fiscale franco-belge, prévoit toutefois, de manière plutôt étonnante, que le paragraphe 2 précité n'a pas de caractère limitatif et que « le caractère immobilier doit être reconnu pour toute société dont le patrimoine est composé essentiellement par des immeubles que celle-ci soit régies ou non par l'article 1655 ter du CGI ».

C'est pour contester la position exprimée par l'administration fiscale dans le BOFIP que le contribuable avait introduit un recours pour excès de pouvoir directement devant le Conseil d'Etat.

Le Conseil d'Etat a toutefois rejeté la requête du contribuable belge et validé l'interprétation retenue par l'administration dans sa doctrine au motif que « la notion de biens immobiliers visée à l'article 3 doit être interprétée, conformément aux stipulations des articles 3 et 22 de la convention, en fonction du sens que lui attribue la législation fiscale française ». Or, selon le Conseil d'Etat, celle-ci assimile les titres de sociétés à prépondérance immobilière à des biens immobiliers en les soumettant au régime de l'article 244 bis A du CGI.

Critiques

Cette décision est critiquable en ce que, tout d'abord, l'article 3 de la convention franco-belge renvoie aux lois de l'Etat de situation du bien. De jurisprudence constante, la notion de bien immobilier doit donc être interprétée conformément aux qualifications retenues par la loi civile, et non par la loi fiscale.

Par ailleurs, on relèvera que l'article 244 bis A du CGI ne qualifie pas les parts de sociétés à prépondérance immobilière de biens immobiliers, mais prévoit leur imposition selon les mêmes règles que les biens immobiliers. La nuance est importante. Selon la loi française, les parts de sociétés à prépondérance immobilière sont des biens mobiliers qui sont simplement assimilées, sur le plan du droit fiscal, à des biens immobiliers.

Enfin, en qualifiant les parts de sociétés à prépondérance immobilière de biens immobiliers, le Conseil d'Etat français adopte une position contraire à celle de la Cour de cassation de Belgique, de la Cour de cassation française et du Conseil constitutionnel français. Cette fausse note est pour le moins dérangeante.

Quelle que soit l'appréciation qu’on portera à la décision rendue le 24 février 2020 par le Conseil d’Etat français, il semble que celle-ci définit la position de l’administration fiscale française eu égard aux plus-values réalisées sur les parts de sociétés à prépondérance immobilière françaises, ce qui promet de nouvelles batailles juridiques pour les résidents fiscaux belges détenteurs de telles parts.

Ne reste qu’à espérer que de futures décisions de jurisprudence (belges ou françaises) viendront apporter plus de clarté et de rigueur juridique dans le flou à nouveau instauré par le Conseil d’Etat français et mettre fin à un débat qui n’a que trop duré.


Source : Droitbelge.be

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