Dans l’attente de l’intervention du législateur belge, il est dorénavant déconseillé de recourir à une succession alternée de CDD et de contrats de remplacement pour une durée dépassant deux ans. En cas de litige, les juridictions belges devront appliquer les règles applicables aux contrats de travail conclus à durée indéterminée, notamment en matière de préavis.
Les contrats conclus à durée déterminée ou pour un travail nettement défini et les contrats de remplacement sont des contrats de nature différente, qui sont, en droit belge, soumis à des règles différentes, notamment en matière de résiliation.
Un contrat de travail conclu à durée déterminée ou pour un travail nettement défini (ci-après « CDD ») est un contrat de travail qui suppose l’indication d’un jour déterminé ou d’un événement devant se produire à une date fixe, après lesquels les parties sont déchargées de leurs obligations réciproques, sauf tacite reconduction. Le contrat de travail prend automatiquement fin à l’expiration du terme ou à l’achèvement du travail convenu, sans préavis ni indemnité.
Afin d’assurer une stabilité d’emploi aux travailleurs engagés sur la base de ce type de contrats temporaires, la loi relative aux contrats de travail (« la LCT ») interdit la succession de ces contrats, sans interruption attribuable au travailleur entre eux, sauf si l’employeur prouve que la conclusion de ce type de contrats temporaires est justifiée par la nature du travail ou par d’autres raisons légitimes (art. 10 LCT). À défaut pour l’employeur d’apporter cette preuve, ces contrats sont qualifiés de contrat conclu pour une durée indéterminée et il ne pourra y être mis fin que moyennant le respect du préavis légal ou le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Afin toutefois d’octroyer une certaine flexibilité aux employeurs dans le cadre de l’organisation de leur travail, la LCT prévoit une exception à cette interdiction, en permettant la succession de (i) maximum quatre contrats à durée déterminée (ou pour un travail nettement défini), dont la durée ne peut chaque fois être inférieure à trois mois, pour une durée maximum totale de deux ans OU (ii) moyennant l’autorisation préalable de l’inspection sociale, de contrats dont la durée ne peut chaque fois être inférieure à six mois, pour une durée maximum totale de trois ans (art. 10bis LCT)
Un contrat de remplacement est un contrat de travail qui tend au remplacement d’un travailleur dont le contrat de travail est suspendu et dont le retour dans l’entreprise ne peut être déterminé dans le temps de manière exacte. Un contrat de remplacement peut être conclu pour une durée indéterminée, si l’événement qui doit mettre fin au remplacement est déterminé mais pas le moment précis de sa survenance, ou pour une durée déterminée, lorsque le moment de la fin du remplacement est fixé. À l’instar des CDD, la LCT prévoit également, en raison de la ratio legis particulière du contrat de remplacement, une dérogation aux règles relatives aux délais de préavis applicables aux contrats de travail à durée indéterminée, en ce qu’elle permet aux parties de prévoir que le contrat prendra fin moyennant le respect d’un délai de préavis abrégé ou sans délai de préavis, lorsque la cause du remplacement prend fin ou qu’il est mis fin au contrat du travailleur remplacé.
Que le contrat de remplacement soit conclu à durée déterminée ou indéterminée, il ne peut dépasser une durée de deux ans, et ce qu’il s’agisse d’un contrat ou d’une succession de contrats de remplacement (art. 11 ter LCT). En cas de dépassement de cette durée de deux ans, le contrat de remplacement est soumis aux mêmes conditions que les contrats conclus pour une durée indéterminée et il ne pourra y être mis fin que moyennant le respect du préavis légal ou le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Une succession de CDD est limitée à une durée de deux ans (ou trois ans moyennant autorisation préalable de l’inspection sociale), sauf si la nature du travail ou d’autres raisons légitimes le justifient.
Une succession de contrats de remplacement est autorisée pour une durée maximale de deux ans
Il était admis jusqu’il y a peu que, en raison de leur nature et règlementation différentes, les règles des CDD successifs ne s’appliquent pas en cas de succession de CDD et de contrats de remplacement.
A ce jour, nous nous pouvons encore lire sur le site du SPF Emploi Travail et Concertation Sociale que cette forme de succession reste autorisée, pour autant qu’elle n’ait pas pour objectif de contourner les dispositions impératives de la loi relative aux contrats de travail, illustré avec l’exemple suivant :
· du 01/01/2014 au 31/03/2014 : contrat à durée déterminée (CDD);
· du 01/04/2014 au 15/05/2014 : contrat de remplacement;
· du 16/05/2014 au 31/08/2014 : contrat à durée déterminée (CDD);
· du 01/09/2014 au 31/12/2014 : contrat à durée déterminée (CDD).
Il y est expliqué que la chaîne des CDD a été interrompue par la conclusion du deuxième contrat, qui est un contrat de remplacement à durée indéterminée, et que, par conséquent, la succession des CDD ne reprend qu’à la conclusion du troisième contrat conclu à durée déterminée. Concrètement, dans l’exemple donnée, la succession des CDD pourrait donc encore se poursuivre jusqu’au 15 mai 2016. Au-delà de cette date, le contrat devient un CDI.
Dans une affaire soumise à la Cour du travail de Gand, division Bruges, un travailleur avait été occupé depuis 2001 de manière ininterrompue via des CDD et contrats de remplacement successifs. Son employeur l’avait licencié en octobre 2017 moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis correspondant à la rémunération restant à courir jusqu’à la date de fin du CDD en cours, le 31 décembre 2017. Le travailleur avait réclamé une indemnité compensatoire de préavis complémentaire affirmant qu’il était question d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis 2001.
À la question, posée par la Cour du travail à la Cour Constitutionnelle, de savoir si les règlementations distinctes applicables aux CDD et aux contrats de remplacement violent les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les « interdictions » de conclure des CDD ou des contrats de remplacement successifs ne peuvent être appliquées lorsqu’il y a une succession alternée de CDD et de contrats de remplacement, la Cour Constitutionnelle a répondu par la positive dans un arrêt du 17 juin dernier.
Compte tenu de l’objectif poursuivi par ces réglementations d’assurer la stabilité de l’emploi et de protéger le travailleur contre le recours abusif de l’employeur à des CDD successifs, la Cour Constitutionnelle a jugé qu’il n’est pas raisonnablement justifié que cette garantie s’applique uniquement soit en cas de CDD successifs, soit en cas de contrats de remplacement successifs, mais pas dans le cas d’une succession de CDD et de contrats de remplacement.
Le législateur devra donc adapter la réglementation actuelle. Dans cette attente, les juridictions belges ne peuvent plus appliquer la réglementation qualifiée d’inconstitutionnelle.