Le logement public en Wallonie : où en sommes-nous en 2024?
Temps de lecture: 10 min |19 septembre 2024 à 06:00
Philippe Defeyt
Economiste @ Institut pour un Développement Durable
Ce décodage est consacré à la (future) politique du logement public en Wallonie.
La principale préoccupation doit être de (re)faire des SLSP des acteurs immobiliers pleins et entiers, offrant une large gamme de logements à des loyers différenciés, participant ainsi à réduire la pression sur le marché immobilier, sans oublier pour autant leur politique sociale. Attention donc à ne pas distraire énergies, temps et moyens à d'autres objectifs, peut-être pertinents, mais moins essentiels ou urgents !
La priorité doit être donnée aux petits logements (environ 60% de la demande de logements publics contre environ 20% de l'offre seulement).
Trop de logements sociaux sont sous-occupés. Mettre en place des mutations plus rapides est ici incontournable. Augmenter l'offre de petits logements devrait faciliter cela.
Il est évident que les loyers demandés doivent désormais tenir compte des performances énergétiques (ce qu'on appelle les loyers-chauds).
Plutôt que de changer la règle des 20% de revenus maximum pour le calcul des loyers (hors paramètres énergétiques), il me semble prioritaire de mieux tenir compte de toutes les ressources, correctement actualisées.
Le problème des AIS est moins le nombre de propriétaires intéressés que la lenteur des procédures et, ceci expliquant cela, le manque de moyens des AIS et du Fonds du Logement pour traiter rapidement les offres des propriétaires. Il faut certainement ici un choc de simplification mais aussi des moyens supplémentaires.
Il est peut-être temps aussi de se livrer à une comparaison rigoureuse des coûts budgétaires totaux des diverses formules de soutien au logement public. Très concrètement : que coûte à la collectivité par année de disponibilité la création d'un logement dans une SLSP versus la prise en gestion d'un logement par une AIS ?
Tous les programmes budgétaires doivent être fondus en un droit de tirage unique, aux règles simples, valables pour toute la législature.
Pour piloter au mieux les projets du gouvernement il faut plus de données ; les efforts significatifs du CEHD vont dans la bonne direction. Mais il faut aller plus loin dans la collecte des données pour, par exemple, mieux connaître les ménages bénéficiant d'un logement public. Il est aussi urgent d'actualiser les statistiques sur le parc de logements publics !!!
Le secteur est en difficultés, financières et de sens ; il est donc urgent de choisir et mettre en route des mesures efficaces, efficientes et justes, d'autant plus que cette politique concerne à chaque moment environ 125.000 ménages (locataires des SLSP, des AIS et d'autres logements publics et bénéficiaires de l'allocation d'attente logement), soit presque 8% du nombre total de ménages privés en 2024.
La note de décodage est partagée en deux parties
des analyses concernant le texte de la DPR
des propositions complémentaires concernant des points non évoqués par la DPR.
Voici quelques points qui ressortent de ce travail :
Il est essentiel de (re)faire des SLSP des acteurs immobiliers pleins et entiers, offrant une large gamme de logements à des loyers différenciés, participant ainsi à réduire la pression sur le marché immobilier, sans oublier pour autant leur politique sociale.
Sans nier a priori les bénéfices potentiels, encore à expliciter et à chiffrer, d'une fusion des acteurs du logement wallons au sein d'une nouvelle l’Agence de l’Habitation, on peut craindre que celle-ci mobilisera beaucoup de temps et d'énergie, alors que l'objectif premier doit être d'augmenter et de diversifier le stock de logements en Wallonie.
Le chantier est gigantesque ; il faut donc se donner des priorités, plus pragmatiques, aux effets rapidement visibles (quick-win) :
au lieu de commencer par une fusion des acteurs, mettons en place des guichets uniques, animés par des professionnels, qui obligeront les acteurs à travailler ensemble, préparant ainsi une future fusion ;
au lieu de se focaliser sur une rotation rapide dans le logement social, activons les outils pour lutter contre la sous-occupation des logements, c'est une demande bien plus urgente, ce qui –sion veut aller plus loin – donnera du temps pour préparer une réforme beaucoup plus complexe que ce que donne à penser une lecture rapide ;
plutôt que de se lancer d'emblée dans une augmentation des loyers, commençons par mettre en place le loyer-chaud (on dispose de toutes les infos nécessaires grâce au cadastre et il y a un large consensus dans le secteur), et à redéfinir les revenus pris en considération pour fixer les loyers.
Voici pour la méthode. Quelques autres considérations.
> A PROPOS DE CE QUI SE TROUVE DANS LA DPR
Alors que c'est un argument souvent évoqué, un partenariat public-privé ne garantit pas, en soi, un coût total moins élevé.
L'idée de distinguer terrain et construction est dans l'air du temps. Elle est riche en perspectives. Mais attention à ne pas dilapider le foncier public.
La mise en place de ce qu'on appelle un guichet unique (aides et procédures en matière de logement, y compris l'énergie) n'a de sens que si des réponses peuvent être apportées immédiatement et directement sans devoir passer par un renvoi vers les opérateurs concernés.
Tous les programmes budgétaires doivent être fondus en un droit de tirage unique, aux règles simples, valables pour toute la législature.
Le problème des AIS est moins le nombre de propriétaires intéressés que la lenteur des procédures et, ceci expliquant cela, le manque de moyens des AIS et du Fonds du Logement pour traiter rapidement les offres des propriétaires. Il faut certainement ici un choc de simplification mais aussi des moyens supplémentaires.
Les charges d'urbanisme imposées d'ici delà devraient être réservées strictement au logement.
Toutes indique que la priorité doit être donnée à la mise à disposition de petits logements.La demande (listes d'attente) pour de tels logements est de l'ordre de 60%, soit environ 3 fois plus que la part de petits logements dans le stock de logements !
En cas de sous-occupation il faut, après une durée à déterminer, rendre la mutation obligatoire.
Des formules de rotation autres – comme par exemple être obligé de sortir d'un logement public après un certain temps - sont-elles vraiment souhaitables et praticables ? Que dirait-on si on faisait de même dans, par exemple, le secteur du handicap. Pourtant ici aussi il manque des"places" et une même préoccupation d'équité pourrait être mise en avant. On notera encore que la démarchehousing-first– encouragée par la nouvelle majorité – est précisément basée sur la pérennisation de l'occupation du logement.
Combiner accès au logement social avec des démarches d'activation professionnelle n'est pas évident :
n'oublions pas qu'à côté de la personne en difficultés il y a aussi d'autres adultes (par exemple une personne porteuse de handicap) et des enfants qu'il serait contraire à l'éthique de pénaliser si on doit constater des"manquements" dans le cas du demandeur d'un logement social;
il faut déterminer ce qui est juge"suffisant" comme volonté de s'insérer ; par exemple, on a montré qu'en Wallonie 39% des chômeurs de longue durée avaient travaillé au moins une fois depuis que la barre des 2 ans de chômage a été franchie (observations : avril 2024) = est-ce suffisant ? ; et quid d'autres démarches (ALE, stages, etc.) ?
> CE QUI NE SE TROUVE PAS DANS LA DPR
Quoique brassant large, la DPR n'évoque pas tous les enjeux. Voici quelques observations/pistes complémentaires.
Rien n'est dit sur les moyens budgétaires – c'est le cas de l'ensemble de la DPR – que cette majorité consacrera au secteur. On peut craindre que, contrairement aux attentes du secteur, les recettes propres supplémentaires qui échoiront aux SLSP (par exemple via les loyers-chauds) permettront de diminuer l'effort budgétaire de la Wallonie.
Pour piloter au mieux les projets du gouvernement il faut plus de données ; les efforts significatifs du CEHD vont dans la bonne direction. Mais il faut aller plus loin dans la collecte des données pour, par exemple, mieux connaître les ménages bénéficiant d'un logement public. Il est aussi urgent d'actualiser les statistiques sur le parc de logements publics !!!
Il est peut-être temps aussi de se livrer à une comparaison rigoureuse des coûts budgétaires totaux des diverses formules de soutien au logement public. Très concrètement : que coûte à la collectivité par année de disponibilité la création d'un logement dans une SLSP versus la prise en gestion d'un logement dans une AIS ?
Si on veut faciliter les accords privé-public, mais aussi pour des raisons d'équité, il faut harmoniser les normes de salubrité; pourquoi un logement public doit-il être plus grand qu'un logement privé ?
Le système reste administrativement lourd, c'est le moins que l'on puisse dire. Si les contrats de gestion entre la Wallonie et les acteurs du logement, demain l'Agence de l'Habitation, sont clairs, pourquoi certaines décisions de tutelle doivent-elles encore être confirmées par le/la Ministre ? C'est à chaque fois une perte de temps. Il faut aussi alléger la tutelle sur les opérateurs (SLSP, AIS...) et, en tout état de cause, raccourcir les délais.
La SWL possède de nombreux terrains constructibles. Ils ne sont pas toujours bien situés par rapport aux premières indications sur les centralités. Il me semble nécessaire que la SWL propose au gouvernement un plan pour l'avenir de ces réserves foncières en les attribuant en priorité à la SLSP concernée quand elles se trouvent en zone de centralité ; les autres terrains seraient affectés à la politique foncière que devra mettre en place le gouvernement pour aller vers le"zéro artificialisation nette".
Deux points concernant les investissements énergétiques :
On ne tient pas assez compte pour le moment d'une préoccupation qui va prendre de plus en plus de place : protéger les locataires des fortes chaleurs.
La législation doit évoluer pour faciliter le recours – via des tiers investisseurs/exploitants – à des systèmes de chauffage collectifs comme par exemple un réseau de chauffage alimenté par de la bio-masse.
Au total, et les projets du nouveau gouvernement risquent encore de confirmer cette tendance, on se trouve dans un paysage du logement de plus en plus éclaté. Ménages bénéficiant d'aides fiscales de différentes périodes, systèmes de fixation des loyers publics différents d'un type d'opérateur à l'autre, inéquités propres au logement public (à revenu et composition du ménage identiques, il n'y a aucun lien entre le loyer et les caractéristiques du logement), ménages profitant d'un démembrement du droit de propriété ou pas, ménages profitant d'aides ou pas, normes différentes, etc., etc. Il est donc temps de faire un saut quantique en matière de logement : faire glisser les aides à la brique vers des aides à la personne. Cette révolution n'est malheureusement même pas esquissée dans la DPR.