
Lorsque le Point de Contact Central des comptes et contrats financiers (PCC) a été introduit en 2011, l'objectif était clair : lutter contre la fraude fiscale en créant une base de données centrale des comptes belges. Mais cela ne s'est pas arrêté là. En 2013, il y a eu une extension aux comptes étrangers. En 2022, une nouvelle étape importante a suivi : les institutions financières devaient non seulement déclarer les comptes de leurs clients, mais aussi les soldes périodiques et les montants globalisés des contrats. Cela a soulevé de nombreuses questions chez les personnes attachées à l'État de droit. Néanmoins, la Cour constitutionnelle a jugé cette extension proportionnée, malgré des objections concernant la vie privée et le traitement massif de données sans soupçon individuel de fraude.
Aujourd'hui, nous sommes à nouveau à un point d'inflexion. Un amendement gouvernemental ouvre la voie à l'exploration de données (datamining) en reliant le PCC au dossier fiscal complet du contribuable : déclarations historiques, fiches et données relationnelles. En croisant les bases de données du PCC et de l'administration fiscale, on souhaite exécuter des processus d'exploration de données (datamining), de rapprochement de données (datamatching) et de profilage pour détecter les risques de fraude. Techniquement, cela se fait en dérogeant à la règle actuelle : alors que le PCC ne pouvait jusqu'à présent être consulté qu'en cas d'indices de fraude fiscale, il sera désormais également accessible de manière proactive aux spécialistes de l'exploration de données. Si un risque est identifié sur la base de facteurs de risque prédéfinis, le dossier est transmis au service de contrôle.
Cela soulève une question fondamentale : quand un contrôle légitime devient-il du fishing ? Dans le jargon juridique, le fishing est une recherche de preuves non ciblée : collecter le plus d'informations possible sans soupçon concret, dans l'espoir de trouver quelque chose d'incriminant. Le droit belge interdit de telles pratiques, tant en matière pénale qu'en matière civile et fiscale. Le fishing viole la vie privée, est disproportionné et porte atteinte au droit de la défense.
L'affaire Sky ECC illustre à quel point cette discussion peut être vive. À partir de 2021, les autorités belges, françaises et néerlandaises ont intercepté des millions de messages chiffrés d'utilisateurs de Sky ECC. La défense a parlé de fishing. Néanmoins, la Cour de Cassation a jugé que l'opération n'était pas du fishing, car il existait au préalable des indices concrets selon lesquels les appareils Sky ECC étaient utilisés à grande échelle pour la criminalité organisée. L'infiltration numérique, selon la jurisprudence, n'est pas une collecte de données non ciblée, mais une méthode nécessaire dans la lutte contre la grande criminalité.
Qu'est-ce que cela signifie pour les contrôles fiscaux ? Le PCC et l'entrepôt de données (datawarehouse) créent une tension similaire. D'une part, il y a un objectif légitime : la lutte contre la fraude et la justice fiscale. D'autre part, il y a une menace de glissement d'un contrôle ciblé vers une exploration de données (datamining) étendue sans soupçon individuel. Si les fonctionnaires obtiennent l'accès aux soldes historiques et aux données de contrats pour détecter des « risques », la question se pose de savoir si cela reste dans les limites de la nécessité et de la proportionnalité. La Cour constitutionnelle devra peut-être se prononcer à nouveau, et des juridictions internationales telles que la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice de l'Union européenne devront également élaborer un cadre normatif. Leur jugement sur l'interception en vrac (bulkinterceptie) et la vie privée dans l'affaire Sky ECC pourrait être déterminant pour le traitement des données fiscales.
La question philosophique peut être posée de savoir si nous allons créer un nouveau jugement dernier. Les ordinateurs sont-ils les nouveaux dieux de notre société ? Allons-nous permettre qu'en notre monde axé sur les données, les systèmes numériques et les algorithmes acquièrent une autorité quasi transcendante ? Cette technologie est de plus en plus décrite en des termes qui rappellent les fondements de la théologie. Finalement, le premier qui sera saisi de cette question sera la Cour constitutionnelle.