Le Productivisme et Comptabilisme d’Ernest Solvay (1838-1922). Utopie ou vision ?

Ernest Solvay, le grand industriel de la chimie et philanthrope est non seulement un inventeur, mais aussi un génie en sciences de gestion, brevetant ses inventions, utilisant ses réseaux, faisant appel à des consultants et étendant ses entreprises dans le monde entier. En trente ans, il a conquis le monde devenant le roi de la soude.


Solvay est donc un réaliste qui parait éloigné de toute idée utopiste et pourtant il imagine le « comptabilisme » un système de comptabilité qui remplacerait la monnaie métallique et fiduciaire en circulation et serait le moyen pour l’Etat de suivre et d’évaluer la fortune acquise de chaque individu tandis que « Le productivisme » bannirait l’hérédité capitaliste.


Pour valider ses idées sur un plan scientifique, Ernest Solvay fait appel aux universitaires Guillaume Degreef (1842-1924) et Hector Denis (1842-1913), précurseurs de la sociologie en Belgique ainsi que du futur homme d’état socialiste Emile Vandervelde (1866-1938). Un Institut des Sciences Sociales (ISS) est créé en 1894. Dans la pensée d’Ernest Solvay, l’ISS doit poursuivre la vérification d’une hypothèse spéciale définie par lui, et réaliser des études d’une portée plus générale et plus lointaine. Une rencontre avec l’ingénieur et sociologue Emile Waxweiller (1867-1916) persuade Ernest Solvay d’implanter un Institut de Sociologie dans le voisinage de l’Institut de Physiologie au Parc Léopold, avec comme but commun le « productivisme humain, la mise en valeur de la vie de l’homme et de son rendement énergétique ».


Les préoccupations d’Ernest Solvay dans le domaine économique restent étroitement liées à ses préoccupations sociales, et ceci l’amène à envisager le développement des sciences commerciales afin d’en assurer le développement scientifique.

En 1903, Ernest Solvay offre à l’Université de Bruxelles de créer une école ce commerce formant des ingénieurs commerciaux, de manière à élever au rang des sciences des activités perçues jusque-là comme empiriques.


Emile Waxweiler se voit à nouveau confier la conception puis la direction de la nouvelle école de commerce qu’il dirigera jusqu’à sa mort accidentelle pendant la première guerre mondiale à Londres en 1916.

Ces institutions ont-elles évolué selon les vœux de leur fondateur ? N’ont-elles pas été submergées par les idées socio-économiques dominantes ?


Si on observe le système monétaire et ses évolutions successives depuis la fin de la Première Guerre Mondiale et l’abandon de la convertibilité du dollar américain en or en 1971, et si de plus on est simplement conscient de ce qui se vit avec les moyens technologiques de l’information et de la communication, de paiements, d’échanges de données comptables, on peut se demander si on n’est pas entré dans l’ère du comptabilisme d’Ernest Solvay.


De même, si l’économie libérale et naturelle s’est toujours développée par des déséquilibres et des crises, on doit bien constater que la situation économique et financière mondiale actuelle stagne, et que les idées nouvelles d’économie circulaire et de partage citoyen, ainsi que les projets de création de nouvelles zones de libre-échange, ne sont pas porteurs de grand espoirs. Toutefois les idées de libre socialisation de Solvay ne sont-elles pas celles développées par les incubateurs d’entreprises (crowdfounding), et celles de capacitariat ne sont-elles pas celles de la mobilité professionnelle des jeunes travailleurs ?


Ne peut-on pas aller plus loin ? Si Ernest Solvay était un libéral progressiste il ne serait certainement pas devenu un néo-libéral actuel qui prône l’affaiblissement de l’Etat au profit de l’entreprise privée.


De la même façon qu’au début du XXe siècle on a dû admettre que le laisser-faire en matière sociale n’était plus tolérable ni admissible dans l’intérêt même de la société, la visite de certaines pensées oubliées peut présenter un certain intérêt qui ne se limite pas à la curiosité.


C’est ce qu’observe l’anthropologue et économiste Paul Jorion sur son blog et dans un article publié dans le Trends-tendances du 27 juin 2019 après avoir pris connaissance du texte d’une conférence donnée en 2016 à l’Université technologique de Belfort-Montbéliard.

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