Un article que je publiais dans la Libre Eco du 18 janvier 2025
Paul a rempli sa déclaration fiscale tardivement et constate dans son avertissement-extrait de rôle que l’administration lui inflige un accroissement de 10%, c’est-à-dire une augmentation de l’impôt dû de 10% à titre de sanction.
L’administration peut en effet sanctionner l’absence de déclaration, la remise tardive de celle-ci ou son caractère incomplet ou inexact en appliquant un accroissement dont le taux varie entre 10 et 200%.
1. Le taux de 10% est celui qui s’applique à une première infraction commise de bonne foi, c’est-à-dire sans intention d’éluder l’impôt. Si Paul a agi de mauvaise foi, dans une intention frauduleuse avec l’intention de nuire, le taux de la sanction aurait été fixé à 50%. L’intention frauduleuse, c’est commettre une infraction dans le but de se procurer, à soi ou à un tiers, un avantage illicite, au détriment de la collectivité. Le taux de 200% est réservé à la fraude grave, qui doit être démontrée par l’administration. Si Paul persiste année après année, l’administration augmentera le taux selon une échelle fixée par arrêté royal.
L’administration a pour habitude d’appliquer la sanction comme un couperet et peu en réchappent. Pourtant, le texte de loi permet à Paul de rappeler qu’en l’absence de mauvaise foi, l’administration peut renoncer à l’application du taux de 10%. Il aura donc intérêt à négocier sans désemparer.
2. Ce sera plus difficile si Paul récidive parce que l’administration va considérer qu’il n’agit plus de bonne foi… le taux sera fixé à 20% et augmentera d’année en année.
Toute négociation n’est cependant pas exclue puisque les cours et tribunaux relèvent régulièrement la disproportion entre la sanction infligée et la gravité de l’infraction commise : 20% pour un retard d’un mois par exemple peut être considéré comme excessif par rapport à la nature et à la gravité des faits… c’est ce qu’ont décidé les tribunaux de Gand et du Brabant wallon dans deux jugements récents.
Les tribunaux se sont appuyés sur le caractère pénal de la sanction et le droit corrélatif d’une justice indépendante et impartiale pour réduire une sanction et la rendre proportionnelle à l’infraction commise.
Il ne faut sans doute pas aller jusqu’en justice pour faire entendre raison à l’administration et obtenir une renonciation à l’application d’un accroissement, fût-il de 20%. Paul peut invoquer cette jurisprudence pour contester l’accroissement et amener l’administration à apprécier la disproportion entre les faits et la sanction.
Au besoin, Paul peut aussi solliciter la cellule sanctions administratives du service de conciliations fiscales pour obtenir la remise ou la modération de ces accroissements.
3. Il reste que l’application quasi automatique d’un accroissement de 10% par l’administration, sans avoir égard à la bonne foi ou aux circonstances spécifiques, est encore la règle. De nombreux contribuables, pour éviter les ennuis et une procédure longue et incertaine payent sans rechigner. Pourtant, on pourra difficilement reprocher à Paul de s’être trompé en remplissant sa déclaration fiscale qui compte plus de 830 codes …
La Cour constitutionnelle s’est encore prononcée le 21 novembre dernier de manière sibylline sur la question, rappelant que la sanction peut ne pas être appliquée lorsqu’il s’agit d’une première infraction sans intention de fraude.
Dans la foulée de cet arrêt, le Ministre Van Peterghem confirme que désormais, les contribuables qui ont commis des erreurs de bonne foi dans leur déclaration fiscale seront épargnés d’un accroissement automatique et d’une amende administrative.
Il est quand même étrange qu’il faille rappeler que le texte légal lui-même ne prévoit pas d’accroissement automatique en cas de première infraction commise de bonne foi. La loi fiscale est d’ordre public, son interprétation est donc stricte : elle ne peut être interprétée de manière extensive ou par analogie, surtout quand le texte est clair. Aussi, l’administration doit l’appliquer avec la rigueur d’un métronome sans attendre un rappel de la loi par la Cour constitutionnelle et une précision ministérielle dans la foulée.
Anne-Thérèse Desfosses
Associée chez WBGJ
Professeure à la CBCEC