Les risques cachés des investissements en actions étrangères

Il peut ainsi advenir qu’un investisseur particulier se voie taxé à l’occasion de la restructuration d’une société étrangère, alors même qu’il ne s’est pas enrichi.


Investir dans des actions de sociétés étrangères peut conduire à des situations injustes sur le plan fiscal. Il peut ainsi advenir qu’un investisseur particulier se voie taxé à l’occasion d’une restructuration de la société étrangère, alors même qu’il ne s’est pas enrichi. Une récente décision de jurisprudence, relative au traitement fiscal d’une spin-off d’une société américaine, l’illustre de manière éloquente.

Dans l’affaire ayant donné lieu à un jugement du 9 octobre 2024 du tribunal de première instance de Gand, un contribuable belge détenait des actions dans une société cotée américaine (DowDuPont) sur un compte-titres ouvert auprès d’une banque belge. La société américaine avait fait l’objet d’une opération de spin-off : elle avait ainsi été scindée en trois sociétés indépendantes au sein desquelles des pôles d’activité distincts avaient été logés. Une opération de spin-off est une opération par laquelle une société X transfère (sans être dissoute) une partie de ses activités contre la remise d’actions nouvelles à la société Y ; la société X procède ensuite à l’attribution à ses actionnaires, sur présentation du nombre déterminé d’actions qu’ils détiennent, d’un dividende en nature sous la forme d’actions Y. En l’espèce, le contribuable avait reçu en nature, à l’occasion de l’opération de spin-off, des actions Dow Inc. (d’une valeur de 22 162 euros) et Corteva (pour une valeur de 9 782 euros).


Un dividende en nature taxable

La banque belge avait prélevé le précompte mobilier (au taux de 30 %) pour un montant total de 31 944 euros sur ces actions attribuées dans le cadre de l’opération de spin-off. Cette retenue du précompte mobilier était restée en travers de la gorge du contribuable : celui-ci ne s’était en effet pas enrichi à l’issue de l’opération, puisque la valeur de ses investissements avant et après l’opération était restée pratiquement identique ! Raison pour laquelle le contribuable introduisit auprès de l’Administration une demande en restitution du précompte mobilier. Comme sa réclamation resta sans réponse, il porta l’affaire en justice.

Se ralliant à la position administrative traditionnelle, le tribunal gantois a jugé qu’une distribution d’actions en nature, à l’occasion d’une opération de spin-off d’une société américaine, constituait un dividende imposable. Il a rejeté catégoriquement la position défendue par le contribuable suivant laquelle le dividende imposable devrait être limité à son enrichissement effectif à l’issue de l’opération de spin-off. Par ailleurs, il a écarté l’exonération de précompte mobilier spécifique applicable aux opérations de spin-off car le contribuable n’a pas pu démontrer le respect de toutes ses conditions d’application (ce qui est quasiment une mission impossible en pratique).


Cette retenue du précompte mobilier était restée en travers de la gorge du contribuable.


Atteinte au droit de propriété consacré par la CEDH ?

Il n’est pas rare que les contribuables, confrontés à pareille injustice, invoquent la violation du droit de propriété garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Parfois, cet argument fait mouche. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, la Cour suprême (Hoge Raad) a déjà condamné sur cette base le régime d’imposition des revenus d’épargne et de placement (“vermogensrendementsheffing” – “box III”). L’atteinte au droit de propriété résidait dans le fait que l’impôt n’était pas basé sur les revenus réels générés par les investissements mais bien sur une base forfaitaire calculée à partir du rendement moyen généré par les investissements au cours d’années antérieures. La Cour suprême des Pays-Bas y a vu une atteinte au droit de propriété, en ce que des investisseurs pourraient être redevables d’un impôt largement supérieur au rendement effectif obtenu de leurs investissements au cours d’un exercice d’imposition donné.

Devant le tribunal de Gand, le contribuable avait invoqué cette jurisprudence hollandaise. Le juge gantois a toutefois écarté cet argumentaire au motif qu’il n’était nullement question en l’espèce d’un dividende “fictif”, dès lors que le contribuable avait effectivement reçu le dividende en question (actions en nature)…

Les boursicoteurs aguerris sont bien conscients de cette taxation (perçue comme foncièrement injuste) lors de l’attribution d’actions dans le cadre d’une spin-off. Il en va de même de la plupart des banques (privées), qui ont conclu avec leurs clients un contrat de conseil en placement ou de gestion de fortune. L’une des solutions souvent préconisées par les banques est assez radicale : vendre les actions avant la spin-off (avec réalisation d’une plus-value sur actions exonérée)…, quitte à racheter les actions après la spin-off… On évite ainsi soigneusement toute taxation d’un dividende lors de la spin-off ! Qui fait donc le plus souvent les frais de cette taxation en cas de spin-off ? Les petits investisseurs qui gèrent eux-mêmes leur portefeuille-titres et qui n’ont pas vu venir la spin-off (et n’ont pas connaissance de ses implications fiscales)…

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