L’année 2023 n’est pas encore terminée mais il est tellement tentant de déjà tirer un bilan … que nous allons céder à la tentation. Et sur le plan économico-financier, le bilan est bon, et cela choque ! Environnement, guerres, rivalités géopolitiques, inégalités, tensions sociales, terrorisme, maîtrise de la technologie, santé publique ou encore, et non des moindres, populisme, les inquiétudes abondent. Oui, le monde inquiète. Et néanmoins, l’économie rassure.
Comme le reprenait récemment l’excellent Mohamed El-Erian dans une chronique pour Project Syndicate (29 novembre 2023), Bloomberg Economics annonçait le 17 octobre 2022 que le scénario d’une récession en 2023 aux Etats-Unis avait une probabilité de … 100% ![1] C’est dire si les prévisions étaient sombres. Et donc, oui, en regard de ces craintes, il est correct de dire que l’économie a rassuré, en tout cas à court terme. La récession annoncée comme inévitable a été évitée, avec, en particulier une croissance soutenue aux Etats-Unis, où elle dépasse 2%. Certes, en Europe, la surprise positive est nettement moins marquée, mais ici aussi la récession aura été évitée. Bien sûr, la politique budgétaire est restée accommodante (plus de 5% du PIB de déficit outre-Atlantique), et viendra un jour où il devra en aller autrement, mais ceci n’est pas l’explication de l’heureuse surprise puisque cette impulsion était déjà dans les cartes il y a un an.
« Ni trop chaud, ni trop froid », tel est le porridge que Boucle d’Or découvre dans le bol du petit ours parti faire un tour en forêt avec ses parents. Cette formulation du bon équilibrage, appelé dans le jargon économico-financier scénario à la « Goldilocks », du terme anglais pour « Boucle d’Or », semble convenir parfaitement pour caractériser l’état actuel du marché du travail aux Etats-Unis et aussi, même si c’est moins marqué, en Europe. Nous observons en effet à la fois un taux de chômage faible et des gains de productivité bien orientés, mais sans, pour autant, assister à une forte progression des salaires. Ces derniers sont en train de récupérer la déperdition de valeur subie en 2022, quand l’inflation a fait baisser le pouvoir d’achat des salaires (sauf là où il y a indexation automatique, c’est-à-dire sauf en Belgique), mais l’évolution des coûts salariaux unitaires en termes réels est rassurante. Bien sûr, tout n’est pas parfait, et nombre d’entreprises ont à déplorer des difficultés de recrutement, avec un grave « mismatch » (ou déphasage) entre offre et demande de travail, mais c’est, entre guillemets, un « problème de riches », moins grave qu’un taux de chômage à deux chiffres ou une envolée des salaires.
« Tour d’honneur pour l’équipe transitoire », voilà comment Joe Stiglitz a résumé l’état des lieux en matière d’inflation en cette fin 2023. Qu’est-ce à dire ? La très grande majorité des économistes en dehors des banques centrales et plus encore parmi ceux qui y travaillent n’avaient pas venu voir le retour de l’inflation à la mi-2021 et son emballement en 2022. D’aucuns ont alors pronostiqué le grand retour de l’inflation, ce qui, combiné avec les attentes de récession susmentionnées, a fait le succès du terme « stagflation », mot-valise formé de « stagnation » et « inflation ». Et ils ont eu tort. En cette fin d’année, l’inflation est clairement sur une pente descendante, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, et cela même si on se concentre sur l’inflation dite sous-jacente, hors énergie et alimentation non transformée. « La bataille contre l’inflation n’est pas encore gagnée », écrivait le FMI il y a quelques mois. Aujourd’hui, cela semble bien engagé, et donc oui, le grand retour de l’inflation n’aura été que « transitoire ». Ceci dit, il est prudent d’envisager que l’inflation pisse tendanciellement dépasser 2% dans la décennie de transition qui vient.
Conjoncture, productivité, marché du travail, inflation, voilà qui devrait largement suffire pour que notre regard économique sur l’année écoulée soit apaisé, mais ce n’est pas tout. Deux points, plus directement financiers, méritent encore d’être mis en exergue. Le premier a trait au système monétaire et aux banques centrales. Pour ces dernières, qui, comme rappelé, n’avaient pas vu revenir l’inflation, l’année commençait mal, la critique du « trop tard » s’accompagnant d’une critique de « trop fort ». Or, non, malgré un resserrement historiquement violent, en termes tant d’amplitude que de rythme, l’économie n’a pas sombré. Et ceux qui ont fait des reproches aux banques centrales doivent se demander ce qu’aurait été l’inflation américaine sans la remontée des taux de la FED au-delà de 5% ! Le système monétaire a traversé une zone de très fortes turbulences, et en est sorti sans casse grave, et avec même une belle décrue des taux d’intérêt ces dernières semaines. Bien sûr, il y a ici ou là des dommages collatéraux, notamment dans le secteur immobilier, mais n’est pas, s’agissant de foncier, foncièrement un assainissement ?
Enfin, dernier apaisement à être mis en lumière ici, c’est celui de la capacité d’adaptation des entreprises. Bien entendu, l’économie de marché porte en elle que ce sont les entreprises et leurs actionnaires qui doivent encaisser les fluctuations conjoncturelles, juste revers de la perception de la prime de risque, mais, en même temps, que celles-ci soient parvenues à tirer leur épingle du jeu est une bonne nouvelle. Certes, la profitabilité des société cotées doit aussi à leur « pricing power » et, en amont, à une intensité concurrentielle insatisfaisante, mais sachons aussi voir les bénéfices de l’agilité des entrepreneurs.
Si, sauf mauvaise surprise de fin d’année, 2023 aura été finalement un bon cru boursier, ce n’est donc pas le fait d’illusions des marchés financiers, mais de facteurs réellement apaisants.
Cette chronique est également disponible sur l'Echo.
[1] https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-10-17/forecast-for-us-recession-within-year-hits-100-in-blow-to-biden?sref=4rOwJ71Y&leadSource=uverify%20wall