Libr. XV., Cotrugli et de Raphaeli

Faut-il réécrire l’histoire de la comptabilité ?


Benedetto Cotrugli est l’auteur d’un traité de commerce Della Mercatura et del Mercante perfetto, qui comporte un chapitre consacré à la comptabilité par parties doubles écrit en 1458. Cette œuvre manuscrite n’a et pour cause pas connu de grande diffusion parce que le nombre de copies est évalué à six dont subsistent quand même quatre exemplaires connus.


Si Cotrugli a écrit avant Pacioli, ce dernier est bien le premier à avoir publié un traité imprimé de comptabilité inséré dans la Summa de Arithmerica en 1494, d’où sa notoriété par une plus grande diffusion de son oeuvre (édition originale 300 ex. à Venise + subséquentes, tirés à part et piratages) et la paternité d’une filiation d’ouvrages que l’on retrouve à Anvers avec Jan Ympyn Christoffels en 1543.L’œuvre de Cotrugli reste manuscrite jusqu’à ce que 115 ans plus tard elle est imprimée à Venise en 1573, traduite en français et publiée à Lyon en 1582 par Jean Boyron.


Jusque- là rien qui puisse bouleverser l’histoire de la comptabilité, ces éléments sont bien connus.


Un exemplaire du manuscrit de Cotrugli se trouve à La Valette et est repris dans le premier catalogue de la Bibliothèque Nationale de Malte publié en 1856. Cet ouvrage reste tranquillement dans cette bibliothèque jusqu’en 1989 où à l’occasion d’un nouvel inventaire, Paul Oskar Kristeller (1905-1999 allemand prof. Uni. Columbia, USA) constate que cet ouvrage relié comporte en réalité deux volumes distincts et un nouvel article est ainsi ajouté au catalogue de la bibliothèque reprenant comme titre le texte d’ouverture : « Questa sie larregola de libro laqual sie fondamento de ogni quadenier » du second volume.


En 1998 deux chercheurs hollandais Anne Van der Helm et Johanna Postma se rendent à Malte pour analyser le contenu de ce nouvel ouvrage et découvrent ainsi le premier traité pratique de comptabilité écrit / dicté en 1475 par Marino de Raphaeli à son élève le fils du grand marchand vénitien Zuan de Domenigo.


Le traité de la marchandise et du parfait marchand de Benedetto Cotrugli traduit par Jean Boyron en 1582, reproduit en fac-similé et publié à Paris par l’Harmattan (2007) a fait l’objet d’un nouveau tirage en janvier 2018.


Les lignes bougent et des outils nécessaires pour réaliser un travail d’ensemble reliant l’œuvre de Cotrugli et de de Raphaeli avec celle de Luca Pacioli permettent maintenant d’écrire de nouvelles pages de l’histoire de la comptabilité par parties doubles.


Ces pages nouvelles ont été écrites pour la première fois dans la littérature professionnelle de langue française dans la Revue belge de la comptabilité de septembre 2018 et de mars et juin 2019 et reprises en un seul article par la Revue d’histoire et de prospective du management de juillet-décembre 2019 sous la direction de Luc Marco professeur émérite en sciences de gestion et du management aux universités de Paris 13 et Sorbonne Paris Cité.


Cet article se compose de trois parties :

  1. La vie et l’œuvre de Benedetto Cotrugli ainsi que des éléments de la vie de Marino de Raphaeli. Le premier a eu une vie mouvementée car après des études humanistes interrompues, il devient commerçant, navigateur et consul de Raguse à Naples en finissant sa carrière comme maître de la monnaie du royaume de Naples. On sait moins de choses sur Marino de Raphaeli sinon qu’il serait natif de Raguse.
  2. La seconde porte sur son traité Della Mercatora et Del Mercante perfetto. Si les auteurs, dont Stévelinck pour lequel Cotrugli est un précurseur, ont plutôt insisté sur l’aspect comptable (5 pages) du traité de Cotrugli (112 pages), ils n’ont abordé que superficiellement les autres aspects du livre. Une nouvelle lecture conduit à considérer que cet ouvrage est le premier ouvrage moderne en gestion d’ entreprise si l’on définit la gestion comme la capacité d’utiliser toutes les ressources de l’intelligence humaine pour bien conduire les entreprises et dégager des profits à long terme. En effet une lecture active de l’ouvrage permet de constater que Cotrugli fait d’abord une distinction entre le commerce du grand marchand et celui du marchand tenant boutique. Il conseille le commerçant sur différents points, lieu où doit s’exercer le commerce, dans quelles circonstances ont vend au comptant ou à terme, comment on recouvre ses créances, il traite des changes et lettres de change et donne des conseils sur les échéances à adopter en différentes places et sur la manière de tenir les écritures. Il justifie la nécessité de souscrire une assurance maritime contre les risques de piraterie mais aussi de naufrage. C’est dans la partie religieuse de son ouvrage (17 pages) qu’il justifie le recours au crédit (usure) dans des cas biens déterminés et il insiste en disant que sans crédit il n’y a pas de commerce (de gros) possible et ni d’approvisionnement des villes en biens de toute nature. La description précise du commerce maritime au milieu du 15e siècle et des bonnes pratiques à adopter tant sur le plan des techniques financières que comptables en font le premier ouvrage de gestion scientifique d’une entreprise.
  3. La troisième partie est un résumé manuscrit de Marino de Raphaeli qui est plus puissant, plus vaste dans les sujets traités que les premiers auteurs comptables d’Anvers en Brabant héritiers directs de Luca Pacioli.

Alors que les traités de Cotrugli et Pacioli sont théoriques (le traité de Pacioli ne comporte que 8 exemples d’articles), le traité de Raphaeli comporte 267 articles de journal qui peuvent être décomposés en 13 thèmes : des articles élémentaires comme acheter, vendre, payer à construire un immeuble ou la constitution d’une colleganza. La colleganza est la forme de société constituée à Venise pour un voyage déterminé par des associés actifs et /ou non actifs et dissoute au retour du navire après partage des bénéfices. Ces voyages durent plusieurs mois. Dans l’exemple du livre de Raphaeli, les pièces de vêtements embarquées à Venise sont troquées contre du froment, le froment contre des esclaves à Alexandrie, le dernier esclave vendu à Saragosse et retour à Venise avec du sucre. A Venise le sucre est vendu et le bénéfice partagé entre les trois investisseurs selon des règles fixées au départ. Ce traité a été analysé par Alan Sangster dans The Accounting Historians Journal de décembre 2015 (Volume 42, number 2 pp.1-34) sous le titre The earliestknown treatise, on double entry bookkeeping by Marino de Raphaeli. Alan Sangster est le spécialiste de Luca Pacioli auquel il a consacré ses dix dernières années de recherches. Il a retracé toute la vie de Luca Pacioli et dans de nombreux articles admire sa pédagogie tout à fait novatrice.


Les deux ouvrages reliés ensemble à Malte sous le titre de Libr. XV sont la Summa Summarum des connaissances comptables et des affaires au seuil de la Renaissance à découvrir dans l’article complet publié dans la R.H.P.M.Vol.-n°10 juillet-décembre 2019.

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