Sans tomber dans la vulgate marxiste, il est indéniable que son principal théoricien, Karl Marx (1818-1883), avait une compréhension aiguisée des dynamiques de répartition des gains de productivité entre le travail et le capital, en pleine révolution industrielle du XIXe siècle.
Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une nouvelle révolution industrielle, qui n’est pas seulement une extension d’Internet et de la numérisation, mais une rupture fondamentale, comparable à l’avènement de la mécanisation il y a deux siècles.
Cette révolution industrielle est, comme les précédentes, « capital-intensive », c’est-à-dire qu’elle repose sur l’investissement et la concentration du capital, plutôt que sur une forte intensité de main-d’œuvre.
Un indicateur de cette réalité est l’augmentation spectaculaire de la valeur boursière des entreprises technologiques. Le cours de bourse, reflétant la rentabilité attendue par les actionnaires, suggère que ces entreprises enrichissent davantage le capital, plutôt que les travailleurs qu’elles emploieront à l’avenir. Ces cours de bourse reflète non seulement leur caractère quasi-monopolistique, mais les gains de productivité qu’elles vont aspirer au reste de l’économie.
Si l’intelligence artificielle conduit à la disqualification du travail humain, cette réalité s’étendra à l’échelle mondiale.
Bien entendu, le progrès humain bénéficie à tous et est la source d’une prospérité collective, mais il est crucial de répartir équitablement les gains de productivité, bien que les capitalistes puissent légitimement affirmer qu’ils résultent de leurs investissements, au détriment des travailleurs moins qualifiés.
Selon le dernier rapport sur l’intelligence artificielle publié par le FMI, 60 % des emplois des économies avancées sont altérés par l’intelligence artificielle, et, dans ces 60 %, la moitié serait négativement impactée. Cette même institution, qu’on ne peut pas qualifier de gauchisante, souligne l’importance du partage des gains de productivité.
Pour comprendre l’ampleur de ce défi, il suffit d’examiner l’évolution de certaines données américaines sur 40 ans, facilement accessibles et vérifiables. En 40 ans, le PIB américain a connu une croissance annuelle (inflation comprise) de 6,60 %.
Le salaire médian d’un travailleur américain a augmenté à un taux annuel de 3,6 %, tandis que le Dow Jones, sans même tenir compte des dividendes, a progressé de 8,8 %.
Certes, la théorie financière justifie que le capital bénéficie d’une « prime de risque », due à l’incertitude liée à son avenir, mais le travail reste le véritable facteur de production, ne serait-ce que pour des raisons biologiques.
Je crois donc qu'il est impératif de s'inquiéter des déséquilibres socio-économiques qui minent déjà nos communautés. On comprend le danger que représentent des entreprises étrangères de stature mondiale pouvant submerger les capacités d'action des États.