L'ombre d'une crise du dollar sous la présidence de Trump

La fin de l'hégémonie américaine aura immanquablement des conséquences monétaires. Quels que soient les scénarios du futur, la prédominance du dollar est intenable.

La prédominance du dollar sur l’économie mondiale est incontestable. Le dollar est d’ailleurs devenu ce que le sociologue français Marcel Mauss (1872-1950) qualifiait de "fait social total". L’envergure du dollar dans les échanges internationaux renforce sa propre dominance puisqu’il n’existe, aujourd’hui, aucune alternative ou devise de substitution d’une crédibilité suffisante.

Le dollar est d’ailleurs garanti par la domination militaire des États-Unis: chaque porte-avions américain, qui est une armée navigante, est une Réserve fédérale flottante. Les États-Unis ont institué 12 Federal Reserve et possèdent… 12 porte-avions.

Cette dominance monétaire explique la capacité des États-Unis à faire financer leurs dettes commerciales et publiques par le reste du monde, sans compter que tous les dollars "créés" hors des États-Unis ne sont que le reflet d’accords d’échanges monétaires (des swaps) entre les banques centrales, dont la Réserve fédérale. Le dollar est la devise de 60% des échanges internationaux, l’euro et le renminbi intervenant respectivement pour 20% et 2%. Or le dollar est la monnaie de 4% de la population mondiale.


Vers une érosion du privilège du dollar?

La suprématie du dollar pourrait-elle alors s’effondrer au bénéfice des États-Unis? Les États-Unis ne remboursent jamais leurs dettes ni ne finissent leurs guerres.


Si les États-Unis ne dominent plus militairement une grande partie de la planète dans une logique impérialiste, le privilège du dollar s’érodera.

Une désagrégation du rôle international du dollar serait le résultat d’une conjugaison de plusieurs facteurs: une fragmentation des échanges internationaux juxtaposée à un isolationnisme américain croissant, une perte relative de dominance militaire, un nouvel ordre mondial dominé par la Chine, des réalités démographiques qui conduisent à l’émergence dominante d’un pôle asiatique, etc.

Aujourd’hui, des velléités d’union monétaire regroupent la Chine, la Russie et d’autres pays comme le Brésil. Ces initiatives pourraient aboutir dans le cadre d’une inversion des polarités militaires et politiques. Si les États-Unis ne dominent plus militairement une partie suffisamment étendue de la planète dans une logique impérialiste, le privilège du dollar s’érodera.


Une guerre des monnaies déclenchée par Trump?

Mais il n’est pas exclu que Donald Trump, dont l’objectif répété est de dépouiller la Réserve fédérale de son indépendance, décide s’il est élu, de déprécier fortement le dollar afin de renverser des dynamiques économiques. Il s’agirait de développer le potentiel d’exportation des États-Unis tout en pénalisant les importations américaines, qui seront elles-mêmes assorties de droits de douane fortement augmentés.


Les États-Unis ont déjà orchestré trois coups d’État monétaires depuis la création de la Réserve fédérale en 1913.

Comment procéder à un sabordage qui s’inscrirait dans ce qui est qualifié de "guerre des monnaies"? Comme les dollars américains détenus hors des États-Unis ne sont pas des dollars émis par la Réserve fédérale, mais font l’objet d’échanges entre les banques centrales, un dépôt en dollar effectué par un citoyen européen auprès d’une banque européenne est, en réalité, un dépôt en euro échangé par la BCE auprès de la Réserve fédérale américaine. S’il est mis fin à cet accord d’échange, le dollar s’écroule avec tout le système bancaire situé hors des États-Unis. Un tel acte s’assimilerait à ce que certains appellent une "militarisation" du dollar.

Cet effondrement n’est pas exclu puisque les États-Unis ont orchestré trois coups d’État monétaires depuis la création de la Réserve fédérale en 1913. Le premier fut la dévaluation orchestrée par Franklin Roosevelt, président des États-Unis de 1933 à 1945. Dans le cadre de sa politique du New Deal pour combattre la Grande Dépression, il avait dévalué le dollar par rapport à l’or en 1933-34. Le deuxième coup d’État monétaire eut lieu en 1971 lors de l’abandon des accords de Bretton Woods. Le troisième s’est manifesté par la vente massive de crédits immobiliers toxiques à des banques étrangères entre 2005 et 2008, jusqu’au krach bancaire de 2008, que l’on nomme rétrospectivement la crise des subprimes.


Une déflagration systémique

Si le risque d’une déliquescence brutale du dollar comme monnaie dominante se concrétisait, alors ce serait une déflagration monétaire et sociale systémique. Cela s’assimilerait un défaut partiel sur les gigantesques dettes extérieures américaines. Les banques centrales achèteraient des dollars pour le soutenir avec une création monétaire de leurs propres devises qui alimenterait une inflation eschatologique.


L’euro et le renminbi deviendraient alors les monnaies de référence.

Les unions monétaires, dont l’euro, seraient fissurées et les faillites bancaires s’enchaîneraient dans un chaos social indescriptible, sans compter les perturbations du commerce international, la défiance de tous les investisseurs et les défauts souverains en cascade. Ce serait un krach monétaire mondial. L’euro et le renminbi deviendraient alors les monnaies de référence, pourvu que cette dernière devise soit totalement convertible dans un cadre d’ouverture commerciale mondiale. L’or et les matières premières seraient des référents monétaires temporaires avant que le monde retrouve des bases financières stabilisées.

Devant ce scénario, on ne peut s’empêcher de penser à la dissuasion nucléaire qui conduit des pays à s’armer mutuellement pour s’éviter une destruction planétaire. Mais le dollar, ce n’est pas un explosif, c’est un simple symbole.


Ce scénario est d’infime probabilité à court terme. C’est peut-être, et même sans doute, de la fiction. Mais il doit être gardé à l’esprit dans le temps long et égard à l’importance de l’endettement extérieur américain et au contexte géopolitique.

Le monde de 2024 n’est plus celui du libérateur américain de 1944. Les États-Unis ne sont plus désireux ni capables d’imposer leur ordre politique à une planète que deux tiers de la population mondiale réfutent. De nombreuses alliances géopolitiques occidentales se désagrègent au profit de la Chine, de l’Inde et de la Russie. L’Afrique aussi n’est plus un territoire colonisé tandis que le Brésil se rapproche de la Chine. Le tropisme occidental est en train de s’étioler, et cela entraînera immanquablement des conséquences monétaires. Et, quels que soient les scénarios du futur, la prédominance du dollar est intenable.

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