Et si l’histoire était un éternel recommencement ? Si l’organisation de l’économie n’était que la retranscription, siècle après siècle, des mêmes ordonnancements promis à l’éternité mais sabordés à la première crise ? Ce n’est pas exclu lorsqu’on se penche sur l’Union monétaire latine, qui avait pour but d’uniformiser la monnaie dans les pays signataires.
Nous ne parlons pas de l’union qui a conduit à la création de l’euro. Pas non plus des accords de Bretton Woods qui ont charpenté la reconstruction monétaire occidentale après la Seconde Guerre mondiale. Ni davantage des accords de parité monétaire qui ont suivi le traité de Versailles de 1919. Je me réfère plutôt à l’Union monétaire latine de 1865.
L’histoire commence avec Napoléon qui répond aux désordres monétaires des assignats émis au moment de la Révolution française. Sous le Consulat, Bonaparte crée la Banque de France et invente en 1803 le franc-or (ou franc germinal). Ce franc est fondé sur un système bimétallique, c’est-à-dire faisant référence à deux métaux, l’or et l’argent. Les francs sont définis par rapport à un certain poids des deux métaux, le rapport de conversion entre l’or et l’argent étant fixé à 15,5. Cette réforme monétaire fournit à la France une référence intemporelle : le napoléon, une pièce de 6,4516 grammes, dont 5,801 d’or fin. Grâce à sa stabilité, le franc germinal s’exporte progressivement. Il est d’ailleurs reconnu par la Belgique au moment de l’indépendance, en 1830.
Mais le système des monnaies métalliques lie la valeur de la monnaie aux réserves des minerais d’or et d’argent. Or, les découvertes d’or en Californie (1848) et en Australie (1851) vont provoquer un afflux de métal aurifère qui va fragiliser le système. L’or devient plus commun et, en termes relatifs, l’argent devient plus rare. Rapidement, la valeur du métal argent dépasse sa valeur légale. Il devient donc intéressant de thésauriser de l’argent (qui vaut plus que son prix d’achat légal) ou de l’exporter.
L’inconvénient d’un système bimétallique provient ainsi d’une discordance entre le rapport légal fixe et le rapport commercial résultant des cours libres de l’or et de l’argent. Si, par exemple, la valeur du métal or baisse, il est possible de fondre des pièces d’argent pour les échanger contre du métal or à sa valeur commerciale en baisse. Il suffit ensuite de faire frapper des pièces d’or pour en obtenir une valeur bimétallique supérieure. Cette situation est résumée par la loi de Gresham (1519-1579) qui postule que lorsque deux monnaies légales sont en circulation, la mauvaise chasse la bonne. En d’autres termes, si une monnaie s’apprécie par rapport à l’autre, la plus appréciée tend à disparaître de la circulation pour être thésaurisée.
Les exploitations aurifères bouleversent donc le système. Il en découle un désordre monétaire auquel les pays répondent de manières diverses : la Belgique met fin au cours légal de l’or, tandis que l’Italie et la Suisse déprécient la valeur métallique de leurs devises. Mais la révolution industrielle suscite un niveau d’échanges commerciaux sans précédent. Il faut donc réinventer une stabilité monétaire.
Les principaux pays européens décident alors de créer une Union monétaire, qu’ils qualifient de “latine”. Le 23 décembre 1865, la Belgique, la France, l’Italie et la Suisse, rejoints par vingt-sept autres pays, signent une convention. Celle-ci harmonise le poids des monnaies et confirme la pérennité du franc germinal. Les monnaies des pays membres peuvent circuler indifféremment entre eux. Les membres de cette union monétaire décident même de battre une monnaie-or identique : ils vont frapper des pièces de même qualité qui auront cours légal dans les autres pays.
Cela a conduit à la création d’une des seules pièces d’or de thésaurisation belge : le “20 francs”, d’une valeur actuelle de l’ordre de 420 euros, profilant notre premier Roi, et dont la teneur en or fin est exactement celle du napoléon, soit 5,801 grammes ! Mais ce n’est pas tout : la Suisse a, elle aussi, frappé une pièce d’or de la même teneur d’or fin : le 20 francs suisses Vreneli. À l’époque, sur base de la parité en or, un franc belge valait exactement un franc suisse !
Malheureusement, l’Union monétaire latine ne dura qu’une petite quinzaine d’années car la croissance des économies était asynchrone. En déshérence depuis 1914, le système fut abandonné en 1927. De surcroît, la Première Guerre mondiale entraîna un phénomène de thésaurisation suivi par des vitesses d’émission de billets différents selon les pays. La Belgique dénonça l’Union qui fut dissoute en 1927. Il faudra attendre l’année 1944 et les accords de Bretton Woods pour qu’un nouveau système d’étalon-or voie le jour à une large échelle internationale. Ce système céda lui-même le pas aux cours de change flottants en 1973. Aujourd’hui, l’Union monétaire latine n’est plus qu’un lointain souvenir. L’euro l’a ressuscitée, sans référence métallique.