Ne pas tout régulariser n’est pas constitutif d’un faux

Dans un arrêt du 19 novembre 2019, la Cour de cassation tranche une question abondamment débattue qui est de savoir si un contribuable qui s’est abstenu dans le cadre d’une procédure de régularisation « DLUbis » de déclarer certains revenus ou certains capitaux s’est rendu coupable d’un faux punissable pénalement.


Le contexte

L’on se souviendra qu’en octobre 2016, l’Inspection spéciale des impôts de Gand avait introduit une plainte auprès de tous les parquets du pays visant, ce qu’elle qualifiait de blanchiment d'argent portant sur 61.546 dossiers de régularisation fiscale. Le montant total des capitaux qu’elle jugeait blanchis atteignait alors plus de 36 milliards d'euros. Cet enjeu énorme faisait potentiellement de ce dossier le plus important jamais connu en Belgique en matière de droit pénal fiscal et financier.


La plainte visait plus particulièrement les déclarations de régularisation qui, comme c’était l’usage à l’époque, ne renseignaient que les revenus et capitaux non prescrits. L’Inspection spéciale des impôts de Gand considérait que ces déclarations étaient incomplètes, en ce qu’elles ne mentionnaient pas les capitaux prescrits fiscalement, et par là qu’elles constituaient des faux punissables pénalement dans le chef de leurs auteurs.


Cette question fut largement débattue et nécessite de revenir sur les différentes procédures de régularisation qui se sont succédé en Belgique.


Les procédures de régularisation fiscale et leurs effets pénaux

La Belgique a connu quatre procédures de régularisation fiscale[1].


Ces quatre procédures, différentes dans leurs modalités, répondent néanmoins à une trame commune en ce qu’elles offrent toutes une amnistie fiscale et pénale. Et c’est précisément cette dichotomie qui a entraîné toutes les controverses ultérieures. Lorsqu’elles en avaient la faculté, les personnes ayant eu recours aux procédures de régularisation se sont bien souvent contentées de ne viser que les revenus et capitaux non prescrits. Seuls ceux-ci présentaient en effet encore un risque sur le plan fiscal et, du moins au temps des premières procédures de régularisation, le volet pénal était bien souvent négligé. Par ailleurs, jusqu’à l’entrée en vigueur, le 15 juillet 2013, de la DLUter, les procédures de régularisation fiscale ne prévoyaient pas expressément la possibilité de régulariser des capitaux prescrits.


[1] La loi du 31 décembre 2003 instaurant la procédure de déclaration libératoire unique (M.B., 6 janvier 2004) (ci-après « DLU ») ; la loi-programme du 27 décembre 2005 instaurant un régime de régularisation permanente (M.B., 30 décembre 2005, p. 57315) (ci-après « DLUbis ») ; la loi du 11 juillet 2013 modifiant la loi du 27 décembre 2005 et introduisant une troisième procédure de DLU (M.B., 12 juillet 2013, 2ème édition) (ci-après « DLUter ») ; la loi du 29 juillet 2016 instaurant la quatrième procédure de régularisation fiscale (M.B., 29 juillet 2016) (ci-après « DLUquater »)


Peut-on soutenir que, puisque les DLU et DLUbis ne prévoyaient pas expressément la régularisation des revenus fiscalement prescrits, au contraire de la DLUter et de la DLUquater, ces procédures portant exclusivement sur les revenus non prescrits étaient nécessairement « parfaites » ?


La DLU

S’agissant de la DLU, la procédure de régularisation portait notamment sur « les sommes, capitaux ou valeurs mobilières qui étaient placés avant le 1er juin 2003 » sur un compte bancaire étranger, ce qui n’excluait en aucun cas les capitaux prescrits[1].

A l’époque, le Ministre des Finances avait d’ailleurs indiqué que la régularisation visait « des sommes sur lesquelles les créances fiscales sont prescrites »[2].


La Cour constitutionnelle fut également amenée à se pencher sur cette question à l’occasion du recours en annulation introduit par deux contribuables qui, eu égard aux taux de régularisation appliqués, considéraient qu’il existait une discrimination injustifiée entre les personnes qui procédaient à une régularisation spontanée auprès de leur administration fiscale locale et celles qui avaient recours à la DLU. La Cour rejeta le recours et précisa qu’ « il convient aussi de tenir compte de ce qu’en l’absence de la mesure attaquée, eu égard aux règles de droit fiscal en matière de prescription, le risque existe qu’aucun impôt ne soit jamais payé sur les sommes déclarées. Pour autant que la loi attaquée concerne des montants pour lesquels les dettes fiscales sont prescrites, elle permet au déclarant via la déclaration libératoire unique, d’échapper aux poursuites pénales et à l’autorité taxatrice de recouvrer une partie des impôts éludés qui, sans cela, auraient été définitivement perdus »[3].


Il ne fait guère de doute, sur la base cet attendu de l’arrêt, que la Cour constitutionnelle considère que, dans le cadre de la DLU, le prélèvement pouvait frapper les capitaux non déclarés qu’ils soient prescrits ou non.


La DLUbis

S’agissant de la DLUbis, le Ministre des Finances s’était prononcé sur la question de la période de revenus à régulariser au cours des travaux préparatoires de la loi, indiquant qu’une régularisation était toujours possible, après 3 ou 5 ans, mais aussi après 20 ans. Le Service des décisions anticipées[4] et une circulaire de 2010[5] avaient adopté la même position : le déclarant devait choisir lui-même le nombre d’années. Il était donc manifestement possible de régulariser des revenus prescrits, ce que certains ont d’ailleurs fait.


Aussi, le fait que la loi du 11 juillet 2013 ait modifié le régime de la DLUbis (pour en faire la DLUter), en introduisant la notion de « capitaux fiscalement prescrits » susceptibles d’être régularisés, ne signifie pas nécessairement que les capitaux prescrits ne pouvaient pas être régularisés sous la DLUbis. La distinction peut en effet se justifier par la différenciation dans les taux de prélèvement applicables.


Plus récemment, en 2016, le Ministre des Finances avait encore exprimé à la Chambre[1] que les « capitaux noirs fiscalement prescrits n'étaient (pratiquement) pas visés lors des précédentes opérations de régularisation. Lors des deux premières opérations de régularisation, ils sont demeurés entièrement hors du champ d'application. Dans la troisième opération, une ouverture a été faite, qui n'était pas contraignante. On pouvait donc déclarer, mais il n'y avait absolument aucune obligation ».


La position de la Cour de cassation

Le dossier soumis à l’examen de la Cour de cassation portait sur un dossier de DLUbis. Le déclarant avait omis dans sa déclaration de régularisation de mentionner les revenus perçus sur un compte étranger et était poursuivi, par le procureur général de Gand, pour faux en écriture sur la base de l’article 450, alinéa premier du Code des impôts sur les revenus 1992.


La Cour rejette le recours du ministère public en termes très clairs. Se fondant sur une lecture très précise de la loi-programme du 27 décembre 2005 ayant introduit la DLUbis et de ses textes d’application, elle constate que ces dispositions n’impliquent nullement pour le déclarant l’obligation de mentionner dans sa déclaration de régularisation tous les revenus mobiliers non déclarés, d’étendre la régularisation à tous les exercices d’imposition durant lesquels des revenus n’auraient pas été déclarés ou même de procéder à un relevé de tous ses comptes étrangers.


Pour être qualifié de faux, l'altération doit porter sur un écrit protégé par la loi. Le législateur vise les documents qui s'imposent à la confiance publique, de sorte que tous peuvent avoir confiance en ce document. Or, selon la Cour de cassation, une déclaration de régularisation qui n’implique pas d’obligation de mentionner tous les montants, valeurs ou revenus à régulariser ne peut pas convaincre l’administration du fait qu’y sont repris tous les revenus ou les comptes étrangers non déclarés antérieurement.

Une telle déclaration ne peut donc pas porter atteinte à la confiance publique et constituer un faux.


Conclusion

La Cour de cassation tranche, espérons-le définitivement, la question de savoir si, dans le cadre de DLUbis, un contribuable était libre de ne pas déclarer certains revenus ou comptes dont il disposait à l’étranger. La réponse est affirmative et un tel contribuable ne pourrait être poursuivi en raison d’une infraction quelconque commise en raison de cette omission (toute autre est bien évidemment la question des poursuites qu’il pourrait devoir encourir en raison des infractions fiscales antérieures).


Compte tenu des spécificités des différentes procédures de régularisation ayant eu cours en Belgique, il n’est toutefois pas certain que les conclusions de cet arrêt puissent être étendues aux DLU, DLUter et DLUquater.

Affaire à suivre donc…


[1] La loi du 31 décembre 2003 instaurant la procédure de déclaration libératoire unique (M.B., 6 janvier 2004) (ci-après « DLU ») ; la loi-programme du 27 décembre 2005 instaurant un régime de régularisation permanente (M.B., 30 décembre 2005, p. 57315) (ci-après « DLUbis ») ; la loi du 11 juillet 2013 modifiant la loi du 27 décembre 2005 et introduisant une troisième procédure de DLU (M.B., 12 juillet 2013, 2ème édition) (ci-après « DLUter ») ; la loi du 29 juillet 2016 instaurant la quatrième procédure de régularisation fiscale (M.B., 29 juillet 2016) (ci-après « DLUquater »)

[2] Article 2 de la loi du 31 décembre 2013 instaurant une déclaration libératoire unique, M.B., 6 janvier 2014

[3] Doc. parl., Chambre, 2003-2004, n°51-0353/005, p. 106

[4] Cour. const., 20 avril 2005, arrêt 2005/72, p. 3

[5] FAQ n° 5, www.ruling.be

[6] Circ. AOIF n° 28/2010, avril 2010, n°52

[7] CRIV, session du 27 octobre 2016, n° 54 PLEN 137, p. 17



François COLLON

Avocat

Hirsch & Vanhaelst

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