« Si l'industrie lourde européenne disparaît en Europe, qu'il en soit ainsi », déclarait l'ancien économiste en chef de la DG Concurrence. Certes, c'était la position encore défendue il y a 15 ans, mais entre-temps, la Commission a mis sur pied un plan stratégique pour que l'Europe redevienne un foyer pour l'industrie.
La question fondamentale est en effet de savoir s'il y a encore de la place pour l'industrie en Europe. Comme beaucoup le savent, l'industrie avait une mauvaise réputation, souvent polluante, durant toute la première décennie du XXIe siècle. L’Europe préférait alors perdre l'industrie plutôt que de créer la richesse.
Entre 2000 et 2010, 40 % des entreprises de 50 salariés ou plus ont quitté l'Europe en tout ou en partie, principalement en direction des pays à bas salaires. Les problèmes logistiques, des réglementations environnementales exagérées, des charges administratives, les régles fiscales et la prédominance des syndicats ont aussi contribuer à pousser l'industrie vers la sortie. L'industrie disparait … et c'était ainsi.
Le résultat de cet exode est que le poids de l'industrie est inférieur à 20% du produit intérieur brut en Europe. Cette moyenne masque de grandes différences entre, par exemple, des pays comme la Belgique ou la France, où le poids de l'industrie n'est plus que d'environ 15 %, et à l'autre extrémité du spectre, des pays comme l'Allemagne ou des régions comme le Pays basque où l'industrie pèse encoe 25% du PIB.
Pour autant, un conteneur qui voyage depuis la Chine vers l'Europe est devenu beaucoup plus cher ces dernières années, alors que le coût de la main-d'œuvre chinoise a augmenté de 300 % en dix ans (entre 2005 et 2016). Cet exode des industries s'est donc arrêté au cours de la décennie précédente.
Outre la hausse des coûts, la question de l'empreinte environnementale et la sensibilisation des consommateurs ont rendu la délocalisation beaucoup moins intéressante.
Reste qu’une entreprise qui aurait quitté la Belgique, l'Allemagne ou la France en raison du coût salarial ne serait toujours pas en mesure de concurrencer les salaires chinois. C'est vrai. Mais si l'écart salarial demeure un facteur décisif, comme c'est le cas pour la production de masse, n’oublions pas non plus qu’en Europe aussi, il existe des pays à bas salaires comme la Bulgarie, la Croatie ou la Roumanie où les coûts salariaux sont trois fois moins élevés qu'en Belgique ou en Allemagne (14 euros de l'heure contre 42 euros), des pays qui peuvent aujourd’hui facilement concurrencer la Chine ou le Vietnam. Au lieu de subventionner ces pays, nous devrions en faire des places industrielles en Europe.
Digitalisation et compétitivité
Qui plus est, la numérisation à grande échelle signifie que le coûts de la main-d'œuvre représente une part de plus en plus limitée des coûts totaux. Nous pouvons donc rendre l'industrie européenne plus compétitive en poursuivant la numérisation grâce à la coopération, aux alliances et aux écosystèmes.
Un exemple frappant est l'alliance que la Commission a mise en place dans le domaine des puces et des semi-conducteurs. La part de marché de ces produits stratégiques représente à peine 9 % de la production mondiale. En mettant en place une alliance d'entreprises sur toute la chaîne de valeur entre différentes entreprises et différents pays, l'Europe ambitionne de porter celle-ci à 20 % en 2030. L'IMEC de Louvain est à, cet égard, l'un des fers de lance de cette alliance.
Une telle philosophie reflète l'objectif de faire de l'Europe un foyer pour l'industrie comme envisagé dans la stratégie industrielle mise à jour par la Commission en mai 2021. Le fonds de relance de 750 milliards d'euros et le fonds climat de 72 milliards d'euros, financés par les droits d'émission, devraient accompagner l'industrie dans cette démarche.
En réponse à la loi américaine sur la réduction de l'inflation, le green deal a été rebaptisé green industrial deal en début d'année avec pour objectif, « d'améliorer la compétitivité de l'industrie européenne et de faciliter la transition vers la neutralité climatique ».
Dans le cadre de ce plan, les règles en matière d'aides d'État ont également été assouplies - ce que les États membres n'ont cessé d'utiliser depuis - et des fonds supplémentaires ont été débloqués.
L'ambition de l'Europe de devenir le premier continent neutre en CO2 au monde implique-t-elle la poursuite de l'exode industriel ? Non, bien sûr que non. Délocaliser davantage les industries polluantes vers des régions asiatiques, où les réglementations environnementales sont moins strictes qu'en Europe, serait préjudiciable à l'échelle planétaire, mais est également économiquement et stratégiquement irresponsable.
Produire en Chine et servir le marché européen à partir de là n'est pas vraiment le choix écologique le plus pertinent. Les paramètres économiques modifiés et la nouvelle politique industrielle devraient désormais conduire l'Europe à se réindustrialiser.
Une approche globale, comprenant une politique fiscale et une politique adéquate de délivrance de permis de construire et d'exploitation, est nécessaire pour devenir stratégiquement indépendant. Une économie de services à 100 % n'est pas un modèle économique durable pour l'Europe. Un objectif d'une part de 20 à 25 % de l'industrie dans le PIB rendrait l'Europe durable et plus indépendante sur le plan stratégique. Cette indépendance est une nécessité dans le contexte géopolitique actuel. Oui, nous avons désespérément besoin de l'industrie en Europe.