La périurbanisation est un phénomène bien installé dans les évolutions des sociétés occidentales. Elle porte le risque d’augmenter la demande de transport, en périphérie et en direction des centres urbains, à rebours des objectifs de durabilité. Ce travail éclaire le lien entre périurbanisation et demande de transport.
Deux scénarios de développement démographique sont considérés, encadrant le scénario de référence des Perspectives de la Demande de Transport d’avril 2022. Leur effet sur la demande de transport est analysé dans ce Working paper (Auteur : Benoît Laine) - Working Papers
La périurbanisation est un phénomène bien installé dans les évolutions démographiques des sociétés occidentales depuis les années 1960. La Belgique n’est pas épargnée par cette tendance, au contraire, on y trouve des niveaux élevés d’étalement urbain et de dynamique démographique centrifuge. Ce phénomène a connu un regain de vigueur au tournant du millénaire pour ne plus faiblir jusqu’aux dernières observations recueillies en 2021 pour cette étude. En redistribuant la population sur le territoire sans fondamentalement changer la centralité des grandes agglomérations en termes d’emploi et de services, ce phénomène migratoire interne a un impact sur la demande de transport, même à population nationale inchangée. En allongeant les distances des déplacements et dispersant la population plus loin des centres sur le territoire, ce phénomène démographique et géographique porte le risque d’augmenter la demande de transport, tant en périphérie qu’en direction des centres urbains, et de réduire les possibilités d’y satisfaire par des modes de transport collectifs, à rebours des objectifs de durabilité auxquels tendent nos sociétés.
Pour éclaircir le champ du débat sur cette problématique complexe, mêlant choix individuels, aménagement du territoire, et investissements en infrastructures de transport, le présent travail s’est fixé pour objectif d’apporter un éclairage quantitatif sur le lien entre périurbanisation et demande de transport. Deux scénarios de développement démographique contrastés sont considérés à cet effet pour encadrer le scénario de référence publié dans les Perspectives de la Demande de Transport en avril 2022. L’un est caractérisé par une périurbanisation plus intense autour des grandes villes belges, en ligne avec les dernières tendances observées (scénario « haut »), l’autre par un retour aux dynamiques migratoires observées avant la dernière vague de périurbanisation en cours, en 1999 (scénario « bas). Notons que même dans ce dernier scénario, la périurbanisation progresse, bien que plus lentement. Ces scénarios sont simulés à l’aide du modèle de projection démographique du Bureau fédéral du Plan, et les résultats démographiques sont ensuite utilisés en entrée du modèle de projection de la demande de transport PLANET pour juger des effets dans ce domaine.
Les cinq grandes villes belges reprises dans notre analyse – Bruxelles, Anvers, Liège, Gand, Charleroi – ne sont pas affectées de manière identique par les scénarios étudiés. D’une part du fait de leurs tailles différentes, Bruxelles jouant un rôle central particulier au niveau de l’ensemble du pays. D’autre part du fait de dynamiques différentes dans leur développement : d’un côté, la région urbaine de Gand montre un rapide développement démographique récent qui la rend très sensible au scénario « haut » mais limite l’impact du scénario « bas ». A l’opposé, la région urbaine de Charleroi ne montre plus de dynamique propre importante, et est en partie intégrée dans le paradigme périurbain bruxellois. Les scénarios y ont dès lors un impact relativement modeste.
Deux effets de ces scénarios sur la demande de transport se manifestent en parallèle : l’un purement démographique, et l’autre lié à la hiérarchie urbaine, c’est-à-dire au fait que le centre et la périphérie des régions urbaines ont des fonctions sociales et économiques distinctes. Les déplacements essentiellement locaux (à l’échelle de notre analyse : l’arrondissement) sont surtout concernés par le premier effet. Les populations déménagent d’un arrondissement à l’autre emportant avec elles leurs déplacements locaux (déplacements vers l’école, et une majorité de déplacements pour achats et loisirs). Les impacts démographiques des scénarios se traduisent ainsi directement sur la localisation de la demande de transport, qui migre avec la population concernée. Le résultat est différent pour les navettes domicile-travail, pour lesquelles l’effet de centralité dans la hiérarchie urbaine joue fortement. Dans leur cas, la périurbanisation implique un allongement notable des distances parcourues, le lieu de destination restant souvent le centre des agglomérations. Les flux en entrée et sortie d’agglomération aux heures de pointe s’en trouvent significativement affectés.
L’impact sur la répartition modale de ces déplacements découle de plusieurs effets. D’une part, l’allongement des distances à parcourir rend le train plus attractif, en particulier autour de Bruxelles où certains arrondissements de deuxième couronne périphérique sont assez bien desservis. Cet effet est bien capté par le modèle PLANET. Mais d’autre part, rien ne permet de supposer que les nouveaux ménages périurbains seront aussi bien lotis que ceux arrivés avant eux : les localisations les plus accessibles en train dans la périphérie des grandes agglomérations sont déjà largement bâties et occupées, tirant le coût du logement vers le haut, avec le risque de repousser plus loin des gares les nouveaux arrivants. Ce dernier effet est par contre imparfaitement capté par le modèle PLANET dans sa version actuelle.
Quantitativement, les effets observés sont en ligne avec l’intuition et les éléments relevés dans la littérature. La périurbanisation, sur un horizon d’une vingtaine d’années, affecte à hauteur d’environ 0,5% la demande totale de transport national, l’écart relevé entre le scénario « bas » et le scénario « haut » étant ainsi d’environ 1%. Si cet impact global est peu prononcé, les effets locaux (aux abords des villes) et ponctuels (lors des heures de pointe en semaine) sont nettement plus marqués. Ainsi la demande totale de transport depuis les zones périphériques vers le centre des agglomérations varie de plus de 10% entre scénario « bas » et scénario « haut ». La différence atteint 17% pour les déplacements du lieu de domicile vers le lieu de travail, et pour ce motif dépasse même les 20% pour les trajets à destination de Bruxelles depuis sa zone périphérique éloignée. Ces différences dans le nombre total de kilomètres parcourus ne peuvent alors être ignorées lorsqu’il s’agit de prévoir l’offre en transports collectifs ou les impacts sur la congestion routière. On constate également une hausse de la prééminence de la voiture à mesure que la vague de périurbanisation s’éloigne des centres urbains, le coût en temps des liaisons ferroviaires augmentant (temps d’accès à une gare, temps de transport).
Ainsi, on peut conclure, dans les limites imposées par les méthodes et hypothèses de cet exercice, à un impact local significatif de la périurbanisation sur la demande de transport, concentré sur l’entrée et la sortie des agglomérations aux heures de pointes. Dans ce cas particulier, l’écart entre deux scénarios opposés, de nature synthétique mais illustrant les tenants et aboutissants de la périurbanisation, représente 10% à 20% de la demande de transport du scénario de référence en 2040. Dans l’état actuel de l’offre de transport, tout surplus de périurbanisation se solde par un surplus significatif de ces flux, dont le caractère problématique (congestion, émissions) est amplifié par une baisse de la part modale du train.
Sans prétendre à un exercice de projection, on peut avancer quelques éléments en regard de la plausibilité respective des deux scénarios synthétiques évoqués qui encadrent le scénario de référence à la hausse et à la baisse. Le type d’évolutions synthétisées dans le scénario « haut » apparaît ainsi comme plausible sans changement majeur des circonstances politiques et économiques, en particulier au vu des premiers effets mesurés à la sortie de la crise sanitaire. Les évolutions synthétisées dans le scénario « bas », en l’état, nous paraissent plutôt relever d’une situation où des mesures politiques marquantes seraient prises pour ralentir le phénomène de périurbanisation, ou bien à l’irruption d’une crise économique et énergétique majeure dans la décennie à venir dont l’ampleur rendrait le coût supplémentaire du transport associé à la périurbanisation prohibitif pour de nombreux ménages.
Une analyse plus fine pour l’ensemble des régions urbaines, ainsi qu’une meilleure perception de l’impact sur les parts modales, requerrait une autre découpe du territoire dans le modèle PLANET, libérée des frontières institutionnelles et fondée sur la notion de hiérarchie urbaine. Ce type de développement est actuellement à l’étude.
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Source : BNB, 11 octobre 2023
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