Plan cafétéria : vers la fin des rémunérations alternatives ?

La personnalisation de la rémunération

De nombreux employeurs cèdent aux charmes de la personnalisation en ce qui concerne l’élaboration de leurs paquets rémunératoires. Les plans cafétéria ont ainsi pour objectif de permettre aux employés de choisir les éléments qui composent leur rémunération. Le plan cafétéria est censé mieux répondre aux attentes et besoins des travailleurs en termes d’avantages rémunératoires, tout en permettant aux employeurs de mettre en pratique leur politique des ressources humaines.

Les principes qui gouvernent le plan cafétéria

Le concept de plan cafétéria n’est pas juridique mais est utilisé pour se référer à un modèle de rémunération flexible. Bien que le plan cafétéria ne soit pas encadré juridiquement, il convient de respecter certaines contraintes et limites qu’imposent le droit du travail, le droit fiscal ou encore le droit de la sécurité sociale.

Le plan cafétéria offre habituellement le choix entre des solutions de mobilité (voiture, carte essence, place de parking, vélo, abonnement social, carte mobilité), des outils « IT » (ordinateurs, tablettes, smartphone) ou des alternatives offrant un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée (congés extra-légaux, formations, check-up médical).

Certains plans proposent également une intervention de l’employeur dans le cadre du financement de l’épargne-pension des travailleurs (troisième pilier) ou d’une assurance hospitalisation.

Le traitement fiscal et parafiscal du plan cafétéria

Tout en devant respecter la hiérarchie des normes, le travailleur se voit proposer sa participation au plan cafétéria et accepte de renoncer à une partie de sa rémunération (par exemple un bonus en espèce) pour lui préférer un autre type d’avantage. Cet élément du paquet rémunératoire du travailleur suit son propre traitement fiscal et parafiscal. Pour certains éléments des forfaits sont prévus, pour d’autres il convient d’avoir égard au bénéfice réel que représente l’avantage pour le travailleur.

Les limites à la personnalisation de la rémunération

L’émergence et le succès rencontrés par les plans cafétéria sont encore récents. L’administration fiscale et les cours et tribunaux ont maintenant eu l’occasion de se pencher sur la validité de certains plans.

Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem s’est récemment montré particulièrement réservé quant à la tendance à la personnalisation des paquets rémunérations des travailleurs. Il a ainsi rappelé que la réforme fiscale voulue par le gouvernement De Croo vise à opérer progressivement un glissement des formes de rémunérations alternatives vers une rémunération en euros. Il entend donc encadrer la pratique des plans cafétéria. Ce rappel à l’ordre du ministre des Finances intervient dans un contexte particulier.

Au regard de l’augmentation de la consommation d’électricité des ménages (en raison du télétravail généralisé ou de la recharge de véhicules électriques ou plug-in au domicile des travailleurs), certains plans prévoient aujourd’hui la possibilité d’utiliser une partie de la rémunération des travailleurs pour payer la facture d’électricité de ceux-ci (ce que certains fournisseurs d’énergie ont nommé « budget énergétique extralégal »). L’avantage pour l’employé réside dans le fait que l’intervention de l’employeur dans les frais d’électricité des travailleurs est valorisé fiscalement de manière forfaitaire. Si le montant de l’intervention de la facture est inférieur ou égal au forfait, le travailleur serait imposé sur cette base. Si le montant de l’intervention de l’employeur est supérieur au forfait, le travailleur ne serait pas imposé au titre de revenu professionnel sur la différence. En outre, le fournisseur d’énergie offre, en contre-partie, une série d’avantages supplémentaires aux travailleurs.

Un coup de frein politique à la pratique des plans cafétéria ?

Si l’octroi de cette forme de rémunération alternative répond à la réglementation fiscale actuelle, elle n’en demeure pas moins éloignée de la vision du gouvernement De Croo, traduite dans son accord (« la mise en place d’un glissement progressif des rémunérations alternatives vers des rémunérations en euro »).

Ce rappel du ministre des Finances annonce-t-il un coup de frein politique donné à la pratique des plans cafétéria ? Il s’agit certainement d’une évolution qui mérite d’être suivie de près par les employeurs. Une chose est certaine : le législateur compte bien s’emparer du dossier pour mieux encadrer juridiquement la mise en place de tels plans.

Les limites posées par les cours et tribunaux

Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 mars 2019 avait déjà placé certains employeurs dans une situation inconfortable. Cet arrêt concerne le versement par l’employeur d’allocations familiales extra-légales. Dans des circonstances particulières, la Cour considère que les allocations familiales extra-légales payées par l’employeur dans le cadre d’un plan cafétéria doivent être considérées comme de la rémunération.

Selon la Cour, il apparaît que le complément aux allocations familiales compense en réalité la réduction du salaire brut. Suite à cette clarification jurisprudentielle, les services de l’ONSS décident d’adapter leur position administrative et d’apprécier de manière restrictive les compléments à un avantage de la sécurité sociale. Ils vont même plus loin en visant toute construction qui offre une optimalisation salariale, comme dans le cadre d’un plan cafétéria (sans réduction du salaire brut).

L’administration fiscale s’est également penchée sur une méthode qui encourage les travailleurs à réduire leur avantage de toute nature lié à l’usage d’un véhicule de société par la déduction d’une série de dépenses.

En principe, il est vrai qu’une intervention financière personnelle du travailleur/dirigeant d’entreprise dans l’avantage résultant de la mise à disposition d’un véhicule peut être déduite du montant de l’avantage de toute nature imposable. À cet égard, il est fondamental que cette intervention personnelle du travailleur/dirigeant d’entreprise se rapporte à un bien (en l’occurrence un véhicule) qui est mis à sa disposition par l’employeur/entreprise.

À l’inverse, lorsqu’un travailleur ou un dirigeant d’entreprise doit payer une contribution, respectivement à son employeur ou à l’entreprise, pour la réparation de dégâts occasionnés par un accident (par exemple le montant de la franchise de l’assurance qui couvre les dégâts du véhicule), il ne peut pas déduire cette contribution de l’avantage de toute nature imposable.

Dans le cadre d’un plan cafétéria, un employeur avait pris comme position de réduire, voire annuler, le montant de l’avantage de toute nature par le montant de toutes les dépenses relatives à l’usage de la voiture de société. L’administration fiscale, suivie récemment par deux juridictions du travail, a vivement critiqué cette méthodologie en rappelant que la contribution personnelle du travailleur ne peut être déduite que si elle concerne un élément qui est mis à disposition par l’employeur. Les frais de parking, de car-wash ou de péage ne font pas partie de la mise à disposition du véhicule de société, et donc pas non plus de l’avantage. Cette intervention du travailleur n’a donc pas le caractère d’une contribution personnelle déductible du montant de l’avantage de toute nature.

Quelles leçons retenir ?

En l’absence de cadre législatif clair, il est parfois hasardeux de prendre des positions fermes, engageant une société et ses collaborateurs, qui n’ont pour seul fondement que des circulaires ou des instructions administratives. Une circulaire ou une instruction administrative ne dispose ni de la force ni de la pérennité propre à la loi. Elles n’engagent que l’administration qui l’édicte et peuvent évoluer, dans un sens ou dans l’autre, en fonction d’éléments propres à un cas particulier et sans la publicité apportée par le débat parlementaire.

En outre, en cas de contrôle de l’administration fiscale, suivi généralement par un avis de rectification, il appartient au travailleur – contribuable de répondre aux arguments développés à l’encontre des positions qui auront été arrêtées par son employeur. Il s’agit pour lui d’une situation relativement désagréable, d’autant qu’il n’aura, dans la plupart des cas, pas les connaissances requises pour le faire.

Du point de vue de la gestion des ressources humaines, il convient d’être particulièrement vigilant et éviter de faire peser sur ses collaborateurs le risque du retour de bâton fiscal ou social. A défaut, les travailleurs pourraient légitiment faire le reproche à leur employeur d’avoir manqué de précaution.

Les réformes qui pointent à l’horizon en matière de rémunération et d’avantages aux travailleurs et dirigeants apporteront bon nombre de débats qui seront particulièrement intéressants à suivre.

À propos de l’auteur

Nicolas Tancredi, Avocat chez Reliance ⎢ Littler

Source : BECI

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