Pourquoi les nouvelles règles budgétaires européennes sont incohérentes et inadéquates?

L’Europe fait erreur en cherchant à renouer avec une vision austère et protestante des finances publiques qui, entre 2009 et 2012, a failli anéantir toute la zone euro. Les conséquences risquent de se faire douloureusement ressentir.

À quelques semaines des élections, le Parlement européen a validé la réforme des règles budgétaires de l’UE, censées garantir le redressement des finances publiques. De manière certes modulaire, ces autorités européennes remettent donc en avant les barrières budgétaires de Maastricht concernant la dette publique, qui ne doit pas dépasser la valeur de référence de 60% du PIB, et le déficit public qui ne doit pas excéder la valeur de référence de 3% du PIB.
Ces critères relèvent pourtant d’une logique désuète. Celui de la dette publique découle, par exemple, de l’idée que dans un contexte de croissance nominale de 5%, un déficit budgétaire de 3%, censé couvrir le renouvellement des infrastructures publiques, conduirait à un ratio d’endettement public stabilisé à 3%/5%, soit 60%. Avec ces nouvelles règles, un pays comme la Belgique, dont la dette est supérieure à 90% du PIB et qui sera placé immédiatement en procédure pour déficit budgétaire excessif, devra désormais la réduire d’un point de PIB par an, soit une économie de 6 milliards d’euros par an.

Un modèle plus néolibéral

Malheureusement, ce calcul fractionnel élémentaire porte un message politique occulte et extrêmement puissant. En effet, dès les années nonante, il était évident que le coût du vieillissement de la population allait entraîner deux effets négatifs, à savoir une moindre croissance, et surtout une augmentation des dépenses sociales liées à ce même vieillissement.

Que penser de Mario Draghi qui affirma qu’il n’y avait pas d’alternative aux mesures d’austérité et que le modèle social tant vanté de l’Europe était mort?

Ces critères budgétaires avaient donc pour objectif de déconstruire les modèles d’États sociaux, ce qui est toujours la doxa européenne quand elle exige des réformes structurelles, c’est-à-dire l’adoption d’un modèle plus néolibéral. Au reste, les autorités européennes ont toujours promu le concept de «dévaluation compétitive» qui consiste à privilégier le chômage à l’inflation, ainsi que la BCE l’a martelé en 2022. C’est ainsi que certains pays, dont la Belgique, ont dû réduire structurellement les investissements publics pour conserver ce modèle social. Ce fut le cas lorsque Didier Reynders était ministre des Finances: toutes les ficelles et astuces furent explorées pour atteindre l’équilibre budgétaire, dont la vente des bâtiments publics au secteur privé.

De Trichet à Draghi

Les premiers craquements de cette arithmétique se firent entendre lors de la crise bancaire de 2008, puis de la crise des dettes souveraines subséquente. On se souvient de la Grèce, certes coupable d’une mystification budgétaire ahurissante, qui vit la discipline budgétaire être imposée au-delà des choix électoraux.

À cet égard, on rappellera les invraisemblables propos de Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, qui confondait les mots «économie» et «démocratie», tenus en octobre 2011: «Demain, à mon avis, il faut changer le Traité pour être capable d’empêcher un membre de la zone euro de vagabonder et de créer des problèmes pour tous les autres. Pour cela, il faut même être capable d’imposer des décisions à un pays.»

En janvier 2015, Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, avait affirmé, dans la même veine, après la victoire du parti de gauche Syriza en Grèce: «Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens.» Et que penser de Mario Draghi, lui aussi ancien président de la BCE, mais aussi dirigeant de Goldman Sachs, qui, en février 2014, affirma, dans un entretien au Wall Street Journal, qu’il n’y avait pas d’alternative aux mesures d’austérité imposées aux pays de la zone euro et que le modèle social tant vanté de l’Europe était mort? Singuliers propos émanant d’un homme qui sera ensuite Premier ministre d’Italie, alors que ce pays affiche actuellement une dette publique de 140% du PIBet un déficit budgétaire excédant 7% de ce même PIB.

Démarche politique

Mais alors, quel est le fondement de cette décision européenne qui est loin d’être anodine, alors que de nombreux pays, dont la Belgique, sont à des distances stratosphériques de ces critères réaffirmés par le Parlement européen? Est-ce la réhabilitation d’un vieux totem qui n’aura plus d’autre mérite que d’exister? Serait-ce alors une ordonnance divine émanant d’une technocratie olympienne, à la légitimité démocratique contestable, au sein de laquelle des cénacles politiques de rencontre décident de la vie des peuples.

C’est plausible et cela expliquerait la réhabilitation de ces critères alors quele coût du vieillissement de la population commence à submerger les finances publiques et que d’immenses investissements publics doivent être réalisés dans de nombreux domaines, tels que l’énergie et la réhabilitation environnementale.



Il y a une autre façon d’aborder les choses, c’est de réformer en profondeur les systèmes fiscaux et sociaux dans le sens d’une participation plus juste de tous les citoyens aux biens publics et aux dépenses sociales.

--Bruno Colmant, Economiste



Mais, en vérité, l’affirmation de ces critères est le reflet d’une démarche politique soigneusement réfléchie et qui s’inscrit dans la droite ligne de l’action de la Commission européenne actuelle. Il s’agit de forcer les États à orienter leurs finances publiques vers l’abandon graduel d’une solidarité sociale. Le cas des pensions belges est très révélateur. Ce système, d’origine bismarckienne, est fondé sur une solidarité intergénérationnelle, certes coûteuse, mais garante de la cohésion sociale. À cette réalité, les instances européennes préfèrent la migration vers un système d’individualisation de la couverture sociale.

Réformer les systèmes fiscaux et sociaux

Le risque, c’est donc que les instances européennes soient discréditées au motif que leur arithmétique est incohérente avec les réalités sociopolitiques, ou pire, de voir les citoyens rejeter l’Europe et d’attribuer à tort à ces instances la source de tous les maux sociétaux.

L’erreur européenne serait donc de renouer avec une vision austère et protestante des finances publiques qui, entre 2009 et 2012, a failli anéantir toute la zone euro. Durant ces années, l’euro s’était trop apprécié, contribuant à la récession qui avait accompagné la crise des subprimes et la crise des dettes souveraines. L’Europe fait désormais face à des défis budgétaires d’une envergure inouïe, dont son réarmement et sa remédiation climatique. Une contraction budgétaire serait donc de nature à l’affaiblir et à alimenter un risque de récession dont la désindustrialisation est un des symptômes.

Tout ceci ne signifie pas qu’il faille s’abandonner au laxisme budgétaire. Au contraire! Mais il y a une autre façon d’aborder les choses, c’est deréformer en profondeur les systèmes fiscaux et sociaux dans le sens d’une participation plus juste de tous les citoyens aux biens publics et aux dépenses sociales selon leurs moyens. Ce chantier, qui ferait l’honneur de tout gouvernement belge, devrait être son principal objectif.

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