Il n’y a pas si longtemps, dans un chapitre d’un ouvrage que nous consacrions aux règles de procédure applicables aux entreprises et personnes physiques, nous décrivions les avantages que tout contribuable pouvait retirer de l’introduction d’une réclamation fiscale à l’encontre d’une cotisation qui lui était infligée. Déposer une réclamation permettait à tout citoyen de défendre à nouveau son dossier lorsqu’un contrôleur avait maintenu sa taxation. C’était l’occasion de présenter ses arguments à un fonctionnaire « tout neuf » disposant du recul nécessaire et souvent plus réceptif aux arguments juridiques. Ce double degré de juridiction administrative, consacré dans le code des impôts sur les revenus, permettait de voir son dossier réexaminé de manière sereine et d’empêcher certaines taxations arbitraires, précipitées ou excessives.
Dans le plus grand des secrets, violant ces beaux principes, l’administration fiscale s’est dit un beau matin qu’il fallait changer les règles du jeu et s’est fendue d’une instruction à usage interne (même pas une circulaire, bravo pour la transparence…) appelée d’un nom de code qui aurait fait pâlir d’envie les concepteurs du débarquement en Normandie en 1944 : « le processus 110 ». Aux termes de cette instruction, toute réclamation sera à présent rejetée par l’administration sauf si le réclamant sort de son chapeau des griefs nouveaux non exposés lors de la phase de taxation. Il ne reste donc au contribuable qui caressait l’espoir de tirer parti de ce filtre administratif qu’était la réclamation fiscale qu'à aller devant les tribunaux pour obtenir gain de cause, au prix d’une procédure souvent très longue et très onéreuse. Autant le dire tout de suite : un contribuable qui se voit par exemple taxé sur 10.000 EUR de dépenses non admises n’ira pas défendre son affaire en justice. Cette manœuvre de l’administration fiscale justifiée par un pseudo réalisme (« de toute façon l’inspecteur contentieux aurait confirmé la taxation ») et par un souci d’efficacité (« si l’on s’investit trop longuement dans l’instruction d’une réclamation, nous perdons un temps précieux qui aurait pu servir à nos missions de contrôle), est un pur scandale. Rarement un déni de démocratie et de justice n’avait atteint un tel niveau en droit fiscal.
Rappelons, tout d’abord que cette instruction interne heurte à la fois l’esprit et le texte de la loi fiscale qui a institué cette nécessaire seconde chance pour les raisons ci-avant exposées..
Dans une revue fiscale pourtant sérieuse (Le Fiscologue, 2 février 2018, n° 1552, page 1) on peut lire ces lignes : « Ne serait-il pas préférable, dès lors, de réformer l'ensemble de la procédure fiscale et de supprimer la réclamation devenue largement superflue dans les cas où le débat a déjà été épuisé dans le cadre de la procédure de rectification (avis de rectification et notification d'imposition d'office) ? » Cette affirmation a de quoi nous faire sursauter. Nous pensons exactement l’inverse : il convient au contraire de redonner à la procédure de réclamation toutes ses lettres de noblesse, comme ce fut le cas précédemment. S’il est vrai que de nos jours les agents instruisant les réclamations ont tendance à suivre un peu trop docilement le point de vue de leurs collègues taxateurs (quand il ne s’agit pas carrément de la même personne qui taxe et qui instruit !), ce n’est pas un motif pour faire disparaître ce second niveau de juridiction administrative. Le service de conciliation fiscale dont les décisions ne sont pas contraignantes ne pourra jamais pallier cette disparition.
Revenons aux principes qui ont fondé la procédure de réclamation et qui sont aujourd’hui bafoués. Il faut transformer profondément l’organisation de l’administration et permettre à des agents d’un niveau supérieur de réexaminer avec plus d’attention et plus d’indépendance l’ensemble des griefs exposés (anciens ou nouveaux) par un contribuable qui s’est heurté à un mur au stade de la taxation. Il n’est pas acceptable qu’une administration invoque ses propres dérives et turpitudes pour mettre à mal un droit fondamental d’un citoyen. Nous vivons dans un Etat de droit, et ces pratiques sont d’un autre temps.
Aucune "dis" ni « grande dis » pour le processus 110. Mais un zéro pointé.